(À nos lecteurs: ce décryptage est la suite d’un paru le 20 septembre dernier)
Raoul Thill est fair play. Avant de débuter l’interview, le professionnel en communication rappelle qu’il a «un petit historique concernant les campagnes électorales». «J’ai fait des choses pour les verts et les socialistes, tant au niveau communal, national qu’européen», explique-t-il.
Aujourd’hui, avec Acidu, son agence de changement inclusif et durable, il «travaille entre autres pour des ministères sur des projets de transition sociétale». Il ajoute qu’il tentera de rester «objectif sans essayer d’insuffler une tendance politique».
«Le défi est de se faire comprendre par un maximum de citoyens»
Pour notre expert, l’objectif d’un slogan politique est «de se positionner en faisant appel aux émotions des électeurs». Cependant, dans un pays comme le Luxembourg, «il est difficile de créer des slogans dans une langue assez pauvre en vocabulaire», de plus dans un État où le multilinguisme est de mise. Il y a donc un réel «défi de se faire comprendre par un maximum de citoyens».
Le professionnel en communication précise aussi qu’il «n’y a pas vraiment de culture publicitaire» au Luxembourg. «On attend d’un slogan qu’il fonctionne sur tous les canaux et supports», précise-t-il. Il donne l’exemple des affiches placardées le long des routes, avec lesquelles il faut essayer de toucher l’électeur en quelques secondes «en espérant qu’il se passe quelque chose dans sa tête» au moment où il devra voter.
LSAP: «#Zesummen», «# Ennerschee d»
«Je connais la stratégie, on part de mots et ensuite on essaye de les remplir avec du contenu», explique ensuite Raoul Thill. Cette méthode mène à de nombreuses interrogations. «Est-ce que #Zesummen met en avant la coalition des trois partis qui gouvernent actuellement?» ou «#Ensemble avec les citoyens? On ne sait pas», déplore l’expert en communication. Pour lui, utiliser des «hashtags comme slogans pour faire preuve d’un style contemporain ne laisse pas vraiment une impression forte de volonté politique», mais témoigne «d’un appauvrissement rhétorique». C’est à se demander si «on est encore capable de créer une phrase», fustige-t-il.
En ce qui concerne le slogan #Ennerscheed, Raoul Thill se demande par rapport à qui veut-on faire la différence.
DP: «No bei dir»
Avec ce slogan, «on essaye de donner une réponse à la perception de plus en plus généralisée parmi les citoyens que le monde politique est éloigné des gens», explique Raoul Thill. Cependant, «c’est un peu mettre le doigt dans la plaie» pour l’expert en communication qui pointe du doigt l’utilisation du tutoiement. Cela veut également dire “je suis quelqu’un comme vous”. Ça devient presque spirituel, ça me dérange». En résumé, «c’est très mauvais» et «ça n’évoque rien du tout». M. Thill ajoute même: «Ça me fait penser à du “Schlager”, la chanson populaire allemande, et ça me rappelle du Mireille Mathieu». Pour les plus mélomanes, voici la chanson en question.
Déi Gréng: « Mir schafen Zukunft »
«J’ai l’impression que les Verts se focalisent moins sur le slogan, ce que j’estime être une évolution positive.» Raoul Thill explique que «c’est quelque part admettre que les défis du futur ne peuvent pas se résumer dans un slogan de quelques mots». C’est un slogan efficace puisqu’«on peut dire que ce slogan se soucie du futur et explique entre les lignes que, le futur, c’est maintenant». Si on analyse de plus près ces quelques mots, M. Thill remarque que «schafen» veut également dire «créer» ou «avancer par le biais d’un effort personnel» ou encore «travailler». Pour lui, «cela signifie que le “bright future” ne tombe pas du ciel». «C’est un slogan politique fort qui fonctionne et qui fait appel à l’action», déclare l’expert en communication.
CSV: «Zait fir eng nei Politik»
Pour Raoul Thill, il est «plutôt étonnant pour un parti de droite» de choisir un slogan proposant le changement lorsqu’il est «représenté par un homme de la génération des politiciens d’il y a dix ans». C’est «un lapsus stratégique» selon lui. «À leur place, j’aurais joué sur l’expérience, la sagesse, les valeurs solides». Il aurait fallu «tout simplement assumer le côté conservateur», conclut M.Thill.
Déi Lenk: «Alles ze gewannen»
«Je comprends la démarche», mais «ça me fait rire» «on dirait qu’on est à la Schueberfouer où chaque billet est gagnant», plaisante Raoul Thill.
Il précise que «c’est un peu le piège, essayer de trouver le slogan magique en trois mots (…), mais d’un point de vue rhétorique, cela laisse trop de marge à l’interprétation». Dans le cas de déi Lénk, ce «slogan ne contribue pas» à dessiner «un profil plus clair ou compréhensible».
ADR: «Lëtzebuerg gär hunn»
Ce slogan évoque une «adhésion à une identité commune, un territoire que nous partageons» de l’avis de Raoul Thill. «Cependant, la faiblesse de la devise tient dans l’expression “gär hunn’’ qui fonctionne aussi bien avec du Kachkéis, notre fromage traditionnel, ou une paire de sneakers.»
Piraten: «Gerecht Léisunge fir haut a muer»
Le thème de la justice est mis en avant dans ce slogan, «c’est un concept noble» selon M. Thill. «Il y évidemment une double lecture signifiant que voter pour les autres partis serait voter pour des solutions injustes», précise l’expert en communication qui ajoute que les Piraten sont de ces partis qui mettent en avant le «sens commun».
L’expert estime aussi qu’«en ce moment, on entend beaucoup parler de transition juste, où l’on combine le social, le durable et l’équitable». Dans ce sens, le slogan est «plutôt réussi avec le seul bémol que “des justes solutions” ne veut pas dire grand chose».
Fokus: «Zesumme staarck»
De l’avis de l’expert en communication, chez Fokus il y a «un mix entre le “Zesummen” du LSAP et le concept de “Gerecht” des Piraten». «Est-ce que cela veut dire qu’à la fin c’est toujours le bien qui gagne?», s’interroge Raoul Thill, face au slogan «‘Gerecht gewënnt!». «Encore une fois, c’est un peu biblique.»
«Il y a de bonnes intentions, en termes de réussite on est loin du compte»
Lorsqu’on lui demande s’il ne trouve pas l’exercice du slogan désuet, il répond: «Je n’ai pas de problème par rapport au slogan en soi», mais la question est: «Comment trouver un slogan qui puisse positionner un parti de manière juste, dans un environnement de “polycrise”?». «C’est un exercice impossible», selon Raoul Thill.
Si l’expert en communication reconnaît dans le débat politique actuel, «une certaine élégance, une capacité d’écoute, un dialogue respectueux», «dans l’ensemble, je trouve que les slogans de l’édition 2023 manquent de pertinence. C’est du mou et du flou généralisé». Raoul Thill se dit «surpris que les partis ne montrent pas plus de courage en se dotant de profils plus nets, plus clairs. Ceci est également vrai pour les slogans». Même s’«il y a de bonnes intentions, en termes de réussite on est loin du compte», conclut l’expert.