La boule Colonniale de la collection Lemon Insect a été imaginée par Michaël Cailloux qui a revisité les abeilles de Napoléon. (Photo: DR)

La boule Colonniale de la collection Lemon Insect a été imaginée par Michaël Cailloux qui a revisité les abeilles de Napoléon. (Photo: DR)

Un savoir-faire, ça se protège. À Longwy, on veille jalousement à protéger les «Émaux de Longwy», même s’il n’existe pour l’instant pas de garde-fou qui empêche d’en fabriquer ailleurs et de les vendre en tant que tel. Le président de la Manufacture des Émaux de Longwy 1798, Martin Pietri, donne son point de vue sur le sujet, tout en revenant sur un litige qui a fait renaitre ce serpent de mer. 

En 2015, , alors placée en redressement judiciaire. Très vite, l’entrepreneur doit défendre les intérêts de cette entreprise historique du patrimoine longovicien devant la justice face à un concurrent qui marchait sur ses plates-bandes. Ce litige soulève une problématique qu’il qualifie lui-même de «vrai serpent de mer»: comment protéger ce savoir-faire si particulier – et inscrit à l’Inventaire du patrimoine culturel immatériel français – que nécessite la fabrication des Émaux de Longwy? 

En 2016, après avoir rebaptisé sa nouvelle entreprise Manufacture des Émaux de Longwy 1798, Martin Pierti dépose une demande de marque de l’Union européenne pour les signes «Manufacture ÉMAUX DE LONGWY depuis 1798» et «ÉMAUX DE LONGWY».

Deluxe Group, société holding domiciliée au Luxembourg, fait opposition à ses deux demandes, au motif qu’elle est titulaire des marques antérieures (donc déjà déposées) «Longwy 1798» et «LONGWY-PARIS – MAITRES ARTISANS DEPUIS 1798», qu’elle considère comme identiques, ou au moins similaires, à celles dont la Manufacture demande le dépôt. 

Candidat malheureux à la reprise de de la Faïencerie Émaux de Longwy, Deluxe Group, dirigé par un entrepreneur et conseiller en stratégie français, spécialiste des marques de luxe, a reporté son intérêt sur la Faïencerie d’art des Émaux de Longwy les Récollets, une autre faïencerie qui produisait des émaux et qui avait été fondée en 1983 par des ouvriers issus de la manufacture historique – celle qui a été reprise par Martin Pietri. Seulement la faïencerie des Récollets est placée en liquidation judiciaire en 2019, puis finalement radiée en 2021. 

L’héritier légitime

Les oppositions formées par Deluxe Group en 2016 n’ont pas abouti car Martin Pietri est en réalité titulaire de marques déposées par la Faïencerie Émaux de Longwy (la marque la plus ancienne date de 1989) bien avant qu’il ne la reprenne, la reprise ayant entraîné le transfert de la titularité de ces marques sur la tête de son héritière, la Manufacture des Émaux de Longwy 1798.

En 2022, la faïencerie des Récollets et Deluxe Group ont été condamnées par le tribunal judiciaire de Nancy à verser chacune 50.000 euros à la manufacture historique de Martin Pietri. Les juges ont considéré qu’avec ses marques qui comprenaient les expressions «Longwy» et «1789», Deluxe Group incitait le public à penser que la faïencerie des Récollets était l’héritière de la manufacture historique des Émaux de Longwy créée en 1789. Selon eux, la première avait ainsi profité indirectement du travail et de la réputation de la deuxième. «Mon avocat est en train de voir si le jugement peut être appliqué au Luxembourg, où le Deluxe Group est domicilié», précise Martin Pietri.

Un consensus nécessaire 

Si l’histoire se finit plutôt bien pour la Manufacture des Émaux de Longwy 1798, cette affaire soulève tout de même un problème majeur quant à la protection du savoir-faire longovicien: elle n’existe pas. Dans un mémoire d’appel datant de mars 2018 et transmis à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) par Deluxe Group, celui-ci déclare explicitement qu’il «ne produit pas exclusivement à Longwy», ce qui est, en soi, tout à fait légal.

Puisqu’ils ne bénéficient pas d’indication géographique protégée (IGP), les Émaux de Longwy, dont les caractéristiques sont pourtant intimement liées au lieu géographique où se déroule sa production, peuvent être fabriqués n’importe où dans le monde. On trouve d’ailleurs de nombreuses de contrefaçons sur le marché.

Martin Pietri admet qu’il est «très compliqué de mieux protéger ce savoir-faire» et que le sujet de l’IGP «est un vrai serpent de mer. Il était sur la table bien avant que je reprenne la Manufacture.» Pour lui, «le véritable enjeu dans cette histoire est qu’il faut que les trois manufactures encore existantes [Manufacture des Émaux de Longwy 1798, Faïencerie Saint-Jean l’Aigle et Émaux Leclercq Longwy, ndlr] se mettent d’accord.» Pour obtenir une IGP, elles doivent, ensemble, préparer un cahier des charges bien précis auquel devront répondre les produits souhaitant bénéficier de ce label européen. «S’il n’y a pas de consensus, ça ne marchera pas», explique Martin Pietri avant d’ajouter qu’il est «toujours ouvert à la discussion sur le sujet». 

Le président de la manufacture historique préfère pour l’instant miser sur la notoriété que son entreprise est en train d’acquérir. «Je pense que ce qui nous protège le mieux, c’est la force de notre marque auprès du public, le fait que nous travaillions avec de grandes marques de luxe comme Dior, Saint Laurent, Max Mara, ou encore avec des décorateurs pour Cartier. À mon sens, notre renommée est notre meilleure protection.»

À la conquête d’une renommée internationale

Mais ce n’est pas encore gagné. Lorsque l’EUIPO a en premier lieu accueilli l’opposition du Deluxe Group, il considérait «qu’une partie non négligeable du public français ne connaîtra pas ce lieu [Longwy] et qu’une partie encore plus importante n’y associera aucune réputation pour les produits en cause [les émaux]». On n’en est donc pas encore à la réputation de la cristallerie Baccarat que Martin Pietri cite comme exemple pour illustrer son objectif. 

Mais le président a de belles ambitions. Pour les années à venir, il annonce de grands projets: poursuite de la collaboration avec la maison Dior «notamment pour Noël 2023», des discussions en cours avec Le Bon Marché pour l’ouverture d’un pop-up store pendant les fêtes et un projet avec une maison de la haute horlogerie basée en Suisse.

«Nous sommes aussi en train de développer notre réseau à l’international», ajoute Martin Pietri. «Nous avons un partenariat commercial avec la chaîne de grands magasins japonais Takashimaya et nous devrions pouvoir ouvrir notre premier corner permanent en 2024 dans leur magasin historique de Tokyo. Nous avons aussi trouvé un distributeur en Chine.» Il conclut en déclarant avec fierté: «Grâce à notre détermination, notre travail et le talent de nos artisanats, nous sommes en train de revenir dans le jeu.»