Eliane Fuchs a réalisé une grande partie de sa carrière dans le secteur financier: d’abord dix ans chez Deloitte, en tant que réviseur d’entreprise, puis 18 ans chez Banque BCP en tant que dirigeante. En 2008, elle décide de changer totalement de cap. Elle crée et gère le centre Vitalvie durant huit ans, puis lance le concept Ladiesphere.
Empowerment-Labs lui permet depuis 2018 de s’impliquer dans la recherche pour le mieux-être des personnes et des organisations. Très impliquée pour la cause féminine dans le milieu des affaires, mais aussi en termes humains, elle est cofondatrice depuis 2007 et toujours présidente de l’association Femmes Leaders Luxembourg et présidente d’honneur du POG – groupement de professionnels des RH –, qu’elle a présidé de 2004 à 2010.
Quels sont les principaux défis que vous avez rencontrés en tant que femme administratrice indépendante?
«S’insérer dans un monde dominé par les hommes il y a maintenant plus de 30 ans. J’ai été perçue d’abord comme une intruse, en tant que femme. Mais avec persévérance et en osant, j’ai pu progressivement m’imposer comme incontournable.
Comment gérer les éventuelles résistances?
«Rester soi-même, naturelle, aller au bout de ses idées, s’imposer avec tact et intelligence et avoir une vision claire de ce que l’on veut
Pensez-vous que l’égalité hommes-femmes progresse au sein des conseils d’administration?
«Oui, l’égalité progresse, mais il y a encore beaucoup de barrières, notamment psychologiques, de la part des hommes et des femmes.
Que pensez-vous des quotas pour les femmes dans les conseils d’administration?
«Femmes Leaders Luxembourg avait lancé la première au Luxembourg, avec le ministère de l’Égalité des chances de l’époque, un grand débat sur les quotas. C’était le début de l’évolution que nous connaissons aujourd’hui. Les quotas peuvent être intéressants dans un premier temps pour faire bouger les mentalités, mais on ne devrait pas être aujourd’hui encore à se demander s’il faut des quotas, les femmes devraient pouvoir s’imposer plus facilement. Or, nous constatons qu’il y a encore des freins à l’accession des femmes aux conseils d’administration; le changement des mentalités est lent.
En tant que femme administratrice, vous sentez-vous investie d’une responsabilité particulière dans la défense de la parité et de l’inclusion?
«Toutes ces questions de parité, d’inclusion, doivent aujourd’hui faire partie des réflexes naturels d’un administrateur ou d’une administratrice. Personnellement, j’ai toujours inclus les femmes dans la gestion globale d’une entreprise, car une entreprise qui veut réussir doit trouver ses talents, sans distinction de sexe ou de race, ou de quoi que ce soit.
Selon vous, comment la diversité influence-t-elle la performance d’un conseil d’administration?
«Cela enrichit, donne un équilibre, dynamise les échanges et les décisions.
Selon vous, quelles solutions ou quelle politique pourraient encourager une meilleure parité?
«Il n’est pas simple de changer des mentalités, des habitudes; cela se fera progressivement, avec des actions comme sensibiliser de manière ludique les jeunes aux réflexes anciens et désuets (par le théâtre, des échanges), sensibiliser les couples dans l’éducation de leurs enfants (workshops ludiques organisés dans les communes), accompagner systématiquement les femmes dans leur carrière (Adem, entreprises, réseaux – Femmes Leaders du Luxembourg en est un), voire une obligation d’accompagnement. Il faut suivre les femmes jusqu’au bout, car on en perd beaucoup en cours de route! Créer un réseau de ces femmes suivies, en évaluer l’efficacité et/ou les freins éventuels afin d’ajuster les politiques à mettre en place. Il y a beaucoup de petites initiatives privées, il faudrait une initiative nationale de grande envergure.
Quel conseil donneriez-vous à une femme qui hésiterait à se lancer?
«Se faire accompagner par un professionnel pour évaluer ensemble les craintes, les freins éventuels, pour donner des conseils personnalisés et pour soutenir les premiers pas. Les conseils: oser, avoir confiance en soi, connaître ses valeurs et avoir une vision claire.
Pour finir, avez-vous une anecdote ou un moment marquant dans votre parcours qui illustre la réalité d’être une femme dans ce rôle?
«À mon premier poste, remarque du président du conseil d’administration à un de mes collègues: ‘On a enfin trouvé l’homme qu’il nous fallait!’
Que conseilleriez-vous concrètement à une jeune femme qui voudrait se lancer? Que lui déconseilleriez-vous?
«Briguer un poste d’administrateur est quelque chose de sérieux, il faut de l’engagement, des connaissances approfondies et la responsabilité est grande; donc il faut se former professionnellement, trouver des soutiens en interne (homme et/ou femme), rechercher des soutiens externes (réseaux, mentoring).
Je dis aux femmes qui veulent prendre leur place dans la société de foncer, car nous sommes entrés dans une nouvelle ère où les femmes ont un rôle important à jouer. Je crois qu’après l’ère de la force et du mental, c’est l’ère du cœur qui est à notre porte, une ère parfaite pour réconcilier masculin et féminin et voir émerger un leadership d’un nouveau genre. Trouvons ensemble les moyens pour intégrer progressivement ce changement au sein de nos entreprises en cherchant comment amorcer une autre façon de travailler, de coopérer pour une entreprise et un monde plus durables, d’autres systèmes d’organisation, d’autres philosophies de vie qui ne sont plus axées sur le pouvoir, la guerre, la performance, le profit à tout prix. Cela passe par être autrement et faire autrement. Que les femmes prennent leur place, non par la force, mais naturellement, avec conviction et détermination.»