Trois éléments clés ont conduit à l’effondrement de la Silicon Valley Bank: le risque à l’actif, le passif et l’assouplissement de la règlementation mis en œuvre en 2018, estime Diane Pierret, professeur adjoint de finance à l’Université du Luxembourg, qui mène des recherches sur des sujets tels que la banque, la politique monétaire, la règlementation et le risque.
Risque de taux d’intérêt non couvert
«La Silicon Valley Bank possédait des actifs très sensibles au risque de hausse des taux d’intérêt. Ces actifs perdent de la valeur lorsque les intérêts augmentent, ce qui est exactement ce qui s’est passé avec le resserrement de la politique monétaire de la Réserve fédérale.»
«Vous avez d’un côté du bilan – le côté de l’actif – le risque d’intérêt, qui n’était pas couvert. La première chose que l’on enseigne aux étudiants qui se destinent à travailler dans une banque est de savoir comment couvrir les risques d’intérêt. Il existe différents outils, différents instruments, qui permettent de le faire. Et apparemment, cela n’a pas été fait. Il s’agit donc probablement d’un échec de l’équipe de gestion des risques» poursuit-elle.
En effet, Laura Izuriet, chef de la gestion des risques de SVB, a cessé d’exercer ses fonctions à la fin du mois d’avril 2022 et a quitté l’entreprise en octobre 2022, selon la circulaire de sollicitation de procurations de SVB pour l’année 2023. Kim Olson a été en janvier 2023.
Des dépôts non assurés, concentrés dans un seul secteur et une seule région
Les banques se financent principalement par les dépôts, mais «nous avons généralement beaucoup de petits dépôts de détail dans la banque. Et la plupart de ces dépôts, parce qu’ils sont de petits montants, sont assurés par le gouvernement. C’est le rôle de la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) aux États-Unis»», détaille Diane Pierret. Le montant standard de l’assurance est de 250.000 dollars par déposant et par banque assurée, comme l’.
Dans le cas de la Silicon Valley Bank, cependant, «le modèle d’entreprise consistait à attirer de très gros dépôts de l’industrie technologique» et, en particulier, de startups technologiques disposant de beaucoup de liquidités provenant de financements en capital-risque, par exemple. «Elles avaient des liquidités à placer et les plaçaient dans cette banque qui payait des taux d’intérêt plus élevés sur les dépôts. C’était donc un moyen d’attirer un grand nombre de dépôts importants, tous concentrés dans un seul secteur, une seule région», développe Diane Pierret.
Cette concentration poserait un problème. «Il est assez clair que c’était déjà une bombe, en ce sens que n’importe quel département de gestion de l’actif et du passif aurait du voir que ce n’était pas un modèle durable. Mais ce qui est vraiment spécial ici, c’est cette très grande base de dépôts non assurés, concentrée dans une seule industrie, une seule région, la Silicon Valley.»
Sachant que la limite d’assurance des dépôts est de 250.000 dollars aux États-Unis, tous ces dépôts n’étaient donc pas assurés. «Vous êtes vraiment exposé à ce que nous appelons le risque de concentration dans votre base de dépôts et vous oubliez complètement les avantages de la diversification».
La diversification des dépositaires n’est pas couverte par la règlementation, précise-t-elle encore. «Il y a des limites introduites par le Comité de Bâle pour l’exposition à une seule contrepartie. Cela dit, si toutes vos contreparties se ressemblent, c’est comme si vous étiez exposé à une seule contrepartie. Et si toutes ces contreparties sont si semblables, elles auront également des besoins de liquidités au même moment, ce qui s’est produit dans le cas présent.»
Réduction de la règlementation aux États-Unis
À la fin de l’année 2022, la Silicon Valley Bank disposait d’environ 200 milliards de dollars d’actifs. «La SVB est surveillée par la Fed, mais pas comme les plus grandes banques américaines, telles que Citigroup ou Bank of America», note la professeure. Après la crise financière de 2008, de nouvelles réglementations ont été mises en place. Mais sous l’administration Trump, il y a eu «une vague de dérégulation qui a également été poussée très fortement par un travail de lobbying des banques, y compris la SVB, pour réduire le fardeau de la règlementation pour les plus petites banques.»
Pour être soumis aux tests de résistance réglementaires de la Réserve fédérale, le seuil était fixé à 250 milliards de dollars d’actifs. Ses actifs étant inférieurs à ce seuil, la SVB n’était donc pas dans le collimateur pour ce type de test de résistance.
Mais il n’y a pas que la question des tests de résistance, il y a aussi celle du ratio de couverture des liquidités, poursuit-elle. «La Silicon Valley n’était pas non plus soumise aux exigences les plus strictes en matière de couverture des liquidités.» Si elle y avait été soumise – le ratio de couverture des liquidités et les tests de résistance – cela aurait été signalé depuis longtemps.
«Ces trois éléments – le risque lié à l’actif, le risque lié au passif qui est très spécifique dans ce cas, plus la déréglementation en 2018 – ont donné tout le champ nécessaire à cette faillite», pense-t-elle.
Cela pourrait-il se produire en Europe?
Il n’est pas facile de donner un seuil spécifique pour chaque pays européen «mais je peux déjà vous dire qu’une banque de 200 milliards d’euros serait soumise à toutes les réglementations les plus strictes en Europe. L’une des raisons est qu’il n’y a pas eu une telle phase de déréglementation en Europe.»
Les tests de résistance sont également menés différemment. «Pour le test de résistance le plus sévère en Europe – et il y en aura un cette année – on prend les banques qui représentent 75% du total des actifs du secteur bancaire.» La banque publique luxembourgeoise Spuerkeess, qui possède 50 milliards d’euros d’actifs, est également incluse.
Des limites aux expositions
«En termes d’expositions interbancaires – une forme directe de contagion – je ne vois pas grand-chose», a répondu Diane Pierret. «L’une des raisons est que des limites d’exposition existent. En tant que banque, vous ne pouvez pas être trop exposé à une seule contrepartie nommée.»
«Encore une fois, les engagements sont complètement différents, et je pense que c’est la clé. Si l’on considère les dépôts non assurés et les dépôts non assurés dans un seul secteur, une seule région, je ne vois pas beaucoup de banques comme cela, et certainement pas les grandes banques. C’est un modèle d’entreprise très différent.»
Ironiquement, le prix Nobel d’économie 2022 a été décerné à Ben Bernanke, Douglas Diamond et Philip Dybvig pour leurs recherches sur l’effondrement des banques, a souligné Diane Pierret. «Les déposants qui ont tendance à fuir sont principalement les déposants non assurés. Le ratio clé à surveiller ces jours-ci est donc le rapport entre les dépôts non assurés et le total des actifs d’une banque.»
Cet article a été écrit pour , traduit et édité pour Paperjam.