Manuel Maleki, économiste chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

Manuel Maleki, économiste chez Edmond de Rothschild. (Photo: Edmond de Rothschild)

Au-delà de la personnalité très différente des deux candidats à la présidence des États-Unis, les élections du 3 novembre prochain prennent place au cœur d’une des pires récessions qu’ait connue le pays.

Pour autant, la réactivité des autorités à travers une forte augmentation des dépenses publiques (près de 2.800 milliards de dollars [Md $] depuis mars 2020) en direction des entreprises et des ménages, ainsi que des actions de la banque centrale, telles qu’une baisse des taux massive et des achats d’actifs, ont permis de faire en sorte que la situation économique actuelle ne soit pas un réel enjeu électoral.

Trump: un bilan économique solide fondé sur sa réforme fiscale de 2018

Les deux candidats, le président sortant Donald Trump et son adversaire démocrate Joe Biden, ont deux stratégies de campagne différentes. Si le dernier a choisi une approche classique avec un programme détaillé présentant de nombreuses mesures précises, le candidat républicain a, quant à lui, joué l’originalité en s’appuyant sur son bilan sans proposer de mesures très précises pour son second mandat.

Ce choix s’explique par un bilan plutôt solide sur le plan économique. En effet, la croissance, entre 2017 et 2019 (hors crise du Covid-19), s’est établie à 2,4% en moyenne, au-dessus de la croissance potentielle du pays estimée aux environs de 2%. Cette performance est due en partie à la réforme fiscale mise en place en 2018 qui a dynamisé les investissements grâce, principalement, à une baisse du taux d’imposition sur les sociétés de 35% à 21%. Un deuxième élément qui a soutenu la croissance américaine à un moment où beaucoup d’observateurs craignaient la récession a été un plan de relance en 2018. L’action combinée de ces deux politiques, et ce malgré un cycle haussier du taux directeur de la banque centrale, a mené le taux de chômage à un niveau historiquement faible (3,6% à la fin 2019). Notons toutefois que la contrepartie de ce dynamisme a été un léger accroissement de la dette publique, qui est passée de 106,6% en 2016 à 108,3% du PIB en 2019.

Dès lors, Donald Trump, fort de ce bilan, propose aux électeurs de jouer la continuité tout en apportant quelques nouveautés, comme un investissement massif dans les infrastructures (2.000 Md $) et un peu plus d’interventionnisme, par exemple dans le secteur de la pharmacie à propos du prix des médicaments.     

Il apparaît donc que le plan de Joe Biden pourrait provoquer un accroissement de la dette publique américaine et mettre sous pression le billet vert.
Manuel Maleki

Manuel MalekiéconomisteEdmond de Rothschild

Biden mise sur les dépenses publiques, les classes moyennes et l’écologie

Joe Biden, quant à lui, propose une offre politique qui s’appuie en premier lieu sur des dépenses publiques massives, estimées à environ 7.000 Md $ sur 10 ans. Les dépenses seraient tout d’abord orientées vers le secteur public avec des investissements importants en infrastructures (1.300 Md $), en R&D et aussi au niveau de la santé. Ce plan de dépenses offre une place de choix à la transition énergétique et l’écologie avec 2.000 Md $ sur quatre ans centrés sur les économies d’énergies, le renouvellement du parc automobile public, le développement des énergies «propres». Le deuxième axe est de soutenir les classes moyennes qui profiteraient, par exemple, d’aides pour les études universitaires. Enfin, son troisième axe est centré sur les petites et moyennes entreprises.

Face à ces importantes dépenses, Joe Biden propose d’accroître les impôts pour les grandes entreprises, en remontant le taux d’imposition de 21% à 28%, et de taxer plus fortement les ménages les plus aisés. Au total, les recettes supplémentaires attendues oscilleraient entre 3.000 et 4.000 Md $ sur 10 ans.

Il apparaît donc que le plan de Joe Biden pourrait provoquer un accroissement de la dette publique américaine et mettre sous pression le billet vert. De plus, son impact sur les entreprises est ambivalent puisque ce plan générerait une hausse de l’activité, mais l’augmentation des impôts pèserait sur les revenus des firmes, rendant le résultat final incertain.

Les secteurs de l’énergie et de la finance pâtiraient d’une victoire démocrate

Cette incertitude rend difficile l’évaluation des secteurs qui profiteraient d’une victoire démocrate. Toutefois, il est très probable que le secteur financier et celui de l’énergie souffriraient d’une présidence Biden, car ce dernier a clairement annoncé sa volonté d’accroître la régulation de ces deux secteurs qui ont largement profité de l’ère Trump et qui en profiteraient encore en cas de victoire du président sortant. Du côté des secteurs gagnants en cas de victoire démocrate, on pourrait trouver ceux liés aux infrastructures, qui profiteraient des importantes dépenses publiques annoncées dans le programme.

Il faut noter que la mise en place des programmes des deux candidats est conditionnée par quel parti va dominer le Congrès. En effet, parallèlement à l’élection présidentielle, les Américains sont appelés à renouveler la Chambre des représentants (435 sièges) et 35 des 100 sièges au Sénat. Sans une majorité claire dans les deux Chambres, il sera difficile pour le président nouvellement élu de totalement mettre en œuvre son programme. Un Congrès sans majorité claire limiterait l’action du prochain président.

Face à l’actuelle crise sanitaire et aux difficultés économiques, il est probable que le premier acte du nouveau président sera de présenter un nouveau plan de soutien à l’économie. En cas de victoire démocrate, ce plan devrait être plus vigoureux et offrir plus de marge de manœuvre aux autorités locales (municipalités, États, etc.).

En cas d’élection de Donald Trump, il serait fort probable que ce dernier continuera d’appliquer la même stratégie et qu’il cherchera donc à mettre encore les pays européens sous pression.
Manuel Maleki

Manuel MalekiéconomisteEdmond de Rothschild

Vue d’Europe, une victoire de Joe Biden permettrait de diminuer la pression sur les tensions commerciales

La question du commerce international et des relocalisations fait assez largement consensus aux États-Unis, tant du côté des démocrates que des républicains. Les deux camps perçoivent la Chine comme leur principal rival et veulent rééquilibrer les échanges avec Pékin. Toutefois, ils veulent aussi revoir leurs relations commerciales avec l’ensemble de leurs partenaires, dont les Européens.

Donald Trump a, dès son arrivée au pouvoir, mis la pression sur les partenaires commerciaux des États-Unis en annonçant qu’il voulait renégocier les accords et favoriser les entreprises américaines. Ceci a tendu les relations entre l’Europe et les États-Unis, qui ont menacé courant 2019 de taxer 25 Md $ de biens en provenance de l’Union européenne.

En cas d’élection de Donald Trump, il serait fort probable que ce dernier continuera d’appliquer la même stratégie et qu’il cherchera donc à mettre encore les pays européens sous pression. Une victoire de Joe Biden pourrait légèrement changer la donne, car ce dernier n’est pas hostile au multilatéralisme et il laisserait sans doute plus de temps à la négociation.

En effet, si une partie des différends sont d’ordre structurel, tels que l’aéronautique, une victoire démocrate pourrait éloigner les menaces qui visent l’automobile. Par ailleurs, une partie des surtaxations, qui visent les secteurs fers de lance européens, pourraient être renégociées dans le cadre plus global d’une évolution des rapports commerciaux des États-Unis. Ainsi, le Vieux Continent pourrait profiter d’une victoire de Joe Biden.