Sur la carte de l’Union européenne, le Luxembourg est un des rares pays où les géants de l’accueil privé des personnes âgées n’ont pas encore posé le pied. Selon publiée mi-octobre, aucun des 30 plus gros acteurs européens ne semble avoir d’activité au Luxembourg, confirme celui qui l’a dirigée, Sebastian Franco.
Orpea, prise dans la tempête médiatique liée à la publication du livre «Les Fossoyeurs» par le journaliste indépendant Vincent Castanet, avait prévu d’ouvrir sa première résidence en mars et attend désormais le feu vert du ministère de la Famille. Ce serait presque une première dans l’univers luxembourgeois, où les différentes catégories de maisons de retraite sont largement sous le contrôle d’opérateurs publics, que ce soit l’État, via l’établissement public Servior, les administrations communales, les hospices communaux, des fondations ou des asbl.
Dans , on ne retrouve que trois ou quatre acteurs «atypiques», comme Sodexo Seniors, filiale du groupe de restauration et de services (526 lits), comme Novelia, filiale du groupe Compass (143 lits), ou encore comme le groupe familial Päiperléck – dans lequel on retrouve aussi l’ancien ministre-président adjoint libéral de Sarre et ministre de l’Économie et des Sciences de Sarre Christoph Hartmann (433 lits). Mais les montants en jeu semblent tellement dérisoires qu’ils ne souffrent d’aucun doute: on ne travaille pas au Luxembourg pour faire de l’argent, à la différence de prestataires comme Orpea, qui redistribue grosso modo 58 millions d’euros de ses bénéfices en dividendes chaque année. Cela ne signifie pas non plus que tous les groupes privés posent des problèmes.
220 milliards d’euros d’aide publique par an
Il y a deux métriques financières qui expliquent l’appétit de 30 grands fonds de capital-investissement pour ce secteur d’activité. Chaque année, selon l’OCDE, les États dépensent 220 milliards d’euros en Europe pour assurer un niveau de prise en charge de chaque personne âgée dans ces Ehpad et maisons de retraite de 75% à 100%, le reste étant à la charge des familles ou des personnes elles-mêmes. Et alors qu’il y a aujourd’hui 4 millions d’Européens dans ces structures, il y aura 38 millions de personnes dans le même besoin d’ici 30 ans. À moins, bien sûr, que la technologie ne permette de maintenir ces têtes grises dans leur cocon familial.
De nombreux États se sont progressivement désengagés de ce secteur. Aujourd’hui, 80% des lits en Espagne sont privés, 76% au Royaume-Uni, 49% en Autriche, ou encore 40% en Allemagne, ce qui a permis aux acteurs privés de voir – pour les 25 plus gros – leurs capacités d’accueil augmenter de 22% en quatre ans. Les cinq leaders du marché européen totalisent 242.000 lits en Europe, soit deux fois la population de la Ville de Luxembourg.
2020 a même été une année particulièrement bénéfique pour ces acteurs, qui ont profité des perturbations liées à la crise pour injecter le record de 7,6 milliards d’euros (dont 42% en Allemagne) pour acquérir des structures qui avaient des difficultés à survivre, . En Belgique, les trois quarts des personnes qui sont décédées du Covid sont mortes dans une maison de retraite, la faute à des dysfonctionnements structurels.
La Norvège, elle, a fait une machine arrière musclée vers le «modèle luxembourgeois» depuis les élections municipales de 2015, .
Une rentabilité de 4,6 à 13,1%
«Les chiffres des entreprises sélectionnées font apparaître un taux de croissance annuel moyen du chiffre d’affaires proche de 10%, avec, cependant, une variabilité d’un peu plus de 3%, pour la britannique HC-One, à plus de 20%, pour la française DomusVi. Cela semble indiquer tant une croissance endogène régulière liée à l’expansion du marché qu’une dynamique d’acquisition d’actifs (concentration/consolidation). À part Bupa, les entreprises ayant connu la plus grande croissance sont les quatre leaders français, tous au-delà des 10% annuels (22,2% pour DomusVi, et même un quadruplement de la taille en quatre ans pour le groupe Colisée)», relèvent les CorpWatchers, qui considèrent la rentabilité (le bénéfice réalisé sur chaque produit/service vendu) de ces entreprises comme étant comprise entre 4,6% et 13,1%.
La crise a fait apparaître une autre dimension: la difficulté de trouver du personnel, notamment intérimaire, puisque c’est par ce moyen que les géants réduisent leurs coûts, disent les études des deux consortiums. Un autre volet: la rémunération des personnels des Ehpad privés en France est inférieure en moyenne de 600 euros par mois à celle de ceux qui travaillent dans des structures publiques.
Le Luxembourg n’est pas confronté à la problématique de la même manière, mais MediNation, le site de recrutement de personnels de santé lancé par le serial entrepreneur , affichait ce mardi près de 350 offres, dont 81 pour la Croix-Rouge, 42 pour Servior, 16 pour l’asbl Home pour personnes âgées, 15 pour Zitha, ou encore 6 pour la Fondation Elisabeth, et autant pour Sodexo Seniors. Signe d’un marché déjà sous tension.
Avec l’augmentation des qualifications professionnelles requises par la nouvelle loi de la ministre de la Famille et de l’Intégration (DP), la question risque de devenir encore plus sensible. La ministre devra aussi revisiter son concept de «qualité à la carte», comme le lui suggérait la Chambre des salariés dans son avis en mars 2020. Avant que ne commence la crise. Avant que le scandale Orpea n’éclabousse toute la profession, faute d’indicateurs qui permettraient de séparer les uns et les autres.