Edoardo Stoppioni, 31 ans, reçoit 7.500 euros de la société Max Planck grâce à sa thèse, «Une analyse critique du discours du juge de l’OMC et de l’arbitre de l’investissement sur le droit non écrit». (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Edoardo Stoppioni, 31 ans, reçoit 7.500 euros de la société Max Planck grâce à sa thèse, «Une analyse critique du discours du juge de l’OMC et de l’arbitre de l’investissement sur le droit non écrit». (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Edoardo Stoppioni, chercheur au Max Planck Institute Luxembourg, a remporté l’Otto Hahn Medal. Un prix qui lui apporte de la reconnaissance pour ses travaux et assez d’argent pour publier sa thèse, «Une analyse critique du discours du juge de l’OMC et de l’arbitre de l’investissement sur le droit non écrit».

Le  reçoit sa première Otto Hahn Medal. Celle-ci a été décernée par la Max-Planck-Gesellschaft, association allemande pour la recherche fondamentale en sciences dures, sciences de la vie et de la santé et sciences humaines et sociales, qui récompense chaque année les travaux d’une trentaine de jeunes chercheurs. Cette année, 26 ont été sélectionnés, dont 10 en sciences humaines et sociales. Parmi eux, Edoardo Stoppioni.

«Je suis extrêmement content, évidemment», réagit-il le sourire aux lèvres, depuis son bureau du Max Planck Institute au Kirchberg. «Je ne m’y attendais pas du tout.»

De Florence à Luxembourg

Son accent illustre son parcours: franco-italien. «Ma mère est Française et mon père Italien», raconte le jeune homme de 31 ans, né à Florence. Il a grandi en Italie dans des écoles françaises. «Au moment de l’université, je voulais faire de la philosophie, mais mes parents ne voulaient pas, ils préféraient que je fasse quelque chose de plus concret. J’ai donc choisi le droit», se remémore-t-il. Dans un module international, avec deux années à l’université de Florence et quatre à Paris 1, il a obtenu un master de recherche en droit économique international. Sa rencontre avec la professeure Hélène Ruiz Fabri lui a donné goût au droit international. «Puis tout s’est fait naturellement. On m’a proposé de faire une thèse, que j’ai commencée à Paris 1 en plus d’enseigner le droit, en contrat doctoral classique.»

Pendant sa deuxième année de thèse, Hélène Ruiz Fabri est nommée directrice du jeune institut de recherche Max Planck du Luxembourg. «Pour la suivre, je suis d’abord venu en tant que guest. Tout était en train de se construire, c’était extrêmement stimulant.» Si bien que le jeune doctorant décide de rester et d’y terminer sa thèse. D’abord embauché comme research fellow, il est maintenant considéré comme senior. «Cela fait quatre ans et demi que je suis ici», calcule le garçon. Le Grand-Duché lui a tout de suite plu grâce à son «côté international». «J’ai pu sortir du système franco-français et, en droit international, c’est plus intéressant d’avoir un point de vue européen», se félicite-t-il.

Le discours néolibéral de l’OMC et de l’arbitrage d’investissement

Cinq ans et 660 pages plus tard, il a terminé «Une analyse critique du discours du juge de l’OMC et de l’arbitre de l’investissement sur le droit non écrit», la thèse qui lui a valu l’Otto Hahn Medal. Mais que raconte-t-elle?

«L’idée était de vérifier comment ces deux juridictions spécialisées se sont construites sur une idée néolibérale», résume son auteur. Il adopte une posture critique, «un angle d’attaque auquel nous ne sommes pas habitués en langue française», précise-t-il. Il en conclut que ces institutions emploient un discours «néolibéral et hégémonique» issu de l’après-Seconde guerre mondiale et qui a un impact sur leur vision des contentieux. «Il y a des prises de décision où, dans le doute, on va dans le sens de l’investisseur» en privilégiant un «libre commerce» plutôt qu’un commerce «réglementé, respectueux des droits de l’Homme et de l’environnement», estime-t-il.

«Nous sommes à un moment historique particulier, parce qu’il y a une forte critique de ces deux instances qui a commencé en Belgique lorsque Paul Magnette a contesté le Ceta», analyse Edoardo Stoppioni. «On pourrait, à partir de ces critiques, postuler des changements législatifs.» Il préfère laisser ce travail aux décideurs politiques.

7.500 euros

L’Otto Hahn Medal pourra peut-être lui apporter la visibilité nécessaire. Grâce aux 7.500 euros du prix, le chercheur va pouvoir publier sa thèse. Ce qui coûte entre 2.000 et 4.000 euros en moyenne. «Personne n’achète 600 pages en français en droit international économique. Pour publier, il faut avoir un prix de thèse», explique-t-il. «J’ai un contrat avec Brill, une maison d’édition néerlandaise très connue en droit international», se réjouit-il. Mais il attend des réponses définitives d’autres prix de thèses, auxquels il a postulé en France, avant de signer. «Le seul intérêt d’écrire, c’est d’être lu. La publication est nécessaire pour pouvoir prétendre à un certain rayonnement de ses propres travaux.»

Edoardo Stoppioni a atterri à l’institut Max Planck Luxembourg en suivant sa professeure, Hélène Ruiz Fabri. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Edoardo Stoppioni a atterri à l’institut Max Planck Luxembourg en suivant sa professeure, Hélène Ruiz Fabri. (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Son CDD de recherche à l’institut Max Planck Luxembourg s’achève en septembre 2021. Ensuite, Edoardo Stoppioni souhaite poursuivre recherche et enseignement: «Deux composantes du métier qui, pour moi, ne peuvent pas être séparées.»

«J’ai passé l’agrégation de droit public en France pour devenir professeur d’université. J’essaie en même temps la maîtrise de conférences. À côté de ça, parce qu’on ne sait jamais, je fais une habilitation en Suisse pour rentrer dans le système germanophone», détaille-t-il. Dans l’idéal, il préférerait rejoindre Paris. «Ma nationalité académique, c’est quand même la France. S’ils ne veulent pas de moi, on verra.» Et pourquoi pas le Luxembourg? «L’Université est très jeune et petite. Ils pensent à embaucher des professeurs assistants, mais on ne sait pas encore dans quelles matières, c’est très opaque», répond Edoardo Stoppioni.

En attendant, il a déjà de nouveaux projets de recherche. Il souhaite d’abord «appliquer l’analyse du discours au droit international des réfugiés». Puis étudier l’émergence du droit public au Japon, un pays qui le passionne et dont il apprend la langue. «Dans les accords entre l’Union européenne et le Japon, on fait des copier-coller de traités européens, alors que le droit public s’est construit de manière très différente. Pour moi, c’est très problématique», justifie-t-il. En espérant que ces projets lui apporteront le même succès que sa thèse.