Edmond de Rothschild est au cœur d’une nouvelle affaire judiciaire: un ancien CEO de Rosneft lui réclame 100 millions d’euros à New York, comme c’est le cas au Luxembourg depuis 2017 et en Suisse. (Photo: Romain Gamba / Maison Moderne)

Edmond de Rothschild est au cœur d’une nouvelle affaire judiciaire: un ancien CEO de Rosneft lui réclame 100 millions d’euros à New York, comme c’est le cas au Luxembourg depuis 2017 et en Suisse. (Photo: Romain Gamba / Maison Moderne)

Après des plaintes au Luxembourg et en Suisse, un ancien CEO du pétrolier russe Rosneft, Sergey Bogdanchikov, en a déposé une nouvelle devant la Cour suprême de New York, qui décrit un vaste système de rétrocommissions, et réclame 100 millions de dollars à Edmond de Rothschild. 

Sergey Bogdanchikov pensait avoir tout vu. Parvenu au sommet de l’empire Rosneft sans être ni ami ni ennemi du président russe, Vladimir Poutine, l’ex-CEO a failli s’étrangler, début juin 2016: le compte de son véhicule d’investissement (Fortinvest) auprès de la banque privée Edmond de Rothschild affichait «seulement» 65 millions de dollars, dont 3 millions de dollars en cash. Problème, selon le dernier relevé, reçu de celui qui fut vice-président en charge du private banking, Carlo Thewes, il devait abriter 122 millions de dollars, dont 104 millions en cash.

Quelques jours plus tard, à Luxembourg, il découvre que de 2001 à 2016, environ 400 transactions, qu’il dit ne pas avoir autorisées pour un montant supérieur à un milliard de dollars, ont été effectuées pour son compte. Un dialogue de sourds s’engage autour de ces investissements parfois spéculatifs, raconte le mémo qu’il nous a fait parvenir.

M. Bogdanchikov insiste jusqu’à octobre 2016, lorsque le Russe se voit signifier, sur ordre d’Ariane de Rothschild, CEO de la maison mère suisse d’Edmond de Rothschild, conseillée par ses avocats, Arendt & Medernach, de ne plus mettre les pieds à la banque.

Celle-ci a procédé, au début de l’été, à un vaste remaniement de son staff. M. Thewes, par exemple, ne fait plus partie du personnel. Il faut dire que . Le changement de management faisait partie du plan de remédiation que la banque avait proposé pour espérer diminuer l’amende.

Entendu cinq fois par la police judiciaire

A-t-il signé ou pas les documents que lui tend la banque et qui permettraient de la dédouaner d’une partie de ses responsabilités, ce sera vraisemblablement le cœur du sujet devant la justice luxembourgeoise, devant laquelle il a introduit une plainte au pénal en avril 2017 contre M. Thewes et toutes les autres personnes d’Edmond de Rothschild Europe et d’Edmond de Rothschild Conseil, puis une autre au civil en octobre 2017 pour obtenir 61 millions d’euros de dommages et intérêts.

Entendu cinq fois par la police judiciaire, à qui il a transmis nombre de documents, l’ancien CEO de Rosneft s’attendait à ce que les choses aillent plus vite.

Chat échaudé craignant l’eau froide, l’homme d’affaires, qui a quitté la tête de Rosneft en 2010, demande sans attendre à récupérer ses avoirs et ouvre un compte à la Bil. Le transfert est effectué et annulé dans la foulée, Edmond de Rothschild prétextant ne pas avoir pu terminer le KYC de son client… en 2001. Me Michel Molitor, l’avocat du Russe au Luxembourg, assigne la banque pour obtenir le déblocage, qui interviendra deux ans plus tard, en juin 2019. Des 122 millions d’euros, il récupère près de 40 millions d’euros et des titres obligataires et dans des fonds alternatifs.

Rétrocommissions orchestrées depuis le Luxembourg

Et c’est à l’occasion de l’opération que M. Bogdanchikov découvre les deux structures américaines de gestion de fortune par où a disparu son argent: Fontanelle Capital, des époux Vladimir et Olga Oblonsky, et OIM Capital, de Mikhail Filimonov, selon la plainte que la Cour suprême de New York nous a fait parvenir.

Les 45 pages décrivent un système de rétrocommissions orchestré depuis le Luxembourg par une partie du staff d’Edmond de Rothschild et via le célèbre cabinet de Panama, Mossack Fonseca. Les avocats américains de M. Bogdanchikov demandent à la justice américaine des dommages et intérêts de 100 millions de dollars au minimum, plus les taux d’intérêt et les frais.

Considérant que la structure luxembourgeoise faisait remonter des dividendes à sa maison mère en Suisse et que cette dernière ne pouvait donc pas s’affranchir des agissements de la structure luxembourgeoise, le Russe a également ouvert une procédure à Genève. Et il dit qu’il ira jusqu’à la Cour européenne des droits de l’Homme s’il ne parvient pas à avoir un jugement équitable, après avoir déjà attendu trois ans.

Bien décidé à continuer à se battre, celui qui a été opéré l’an dernier d’une méchante tumeur au cerveau n’a ni jet privé ni club de football. Et fuit ce bling-bling qui a coûté si cher à tant d’oligarques russes.

Fin mars, la CSSF avait prononcé , en raison de «manquements graves constatés individuellement et personnellement». Cet été, l’institution a reçu une nouvelle amende de la CSSF de 20.000 euros pour des manquements de sa structure d’asset management.

Contactée par Paperjam, elle nous a opposé un «no comment».