People and Organisational Performance
Dans la quête de performance, quelles attributions pour une DRH au côté du CEO? La fonction consiste-t-elle à exécuter une feuille de route, ou à orienter la stratégie d’entreprise?
Edith Brunner. – «Dans la quête de performance, la mission d’un DRH aux côtés du CEO dépasse largement l’exécution d’une feuille de route. La fonction de DRH est avant tout stratégique, avec un rôle clé dans l’orientation et l’alignement de la stratégie d’entreprise sur ses objectifs humains et organisationnels. Sa mission dépasse l’exécution: le DRH influence, oriente et crée des conditions lance des initiatives pour que l’entreprise réussisse collectivement.
En tant que partenaire du CEO, le DRH joue un rôle actif dans: la définition et la mise en œuvre de la culture d’entreprise (il co-construit avec le CEO une vision pour favoriser une culture d’excellence, d’innovation); l’anticipation et la gestion des transformations: qu’il s’agisse de digitalisation, de fusion/acquisition/changements d’actionnaires, ou évolution des métiers, le DRH accompagne les transformations de l’entreprise en assurant la gestion des compétences, le développement du leadership, et l’engagement des employés; la gestion des performances humaines: il mesure la performance, mais aussi le bien-être au travail, la diversité, égalité et inclusion pour aligner les valeurs humaines avec les objectifs de l’entreprise; avec l’essor du télétravail et l’arrivée de l’intelligence artificielle, le DRH repense l’organisation de l’entreprise pour gagner en agilité et en attractivité.
Comment combiner la quête de performance avec des aspirations toujours plus élevées en matière de work-life balance?
«Les attentes en termes de work-life balance au sein de chaque entreprise sont devenues accrues et au centre des préoccupations des collaborateurs depuis la période Covid. Dans notre environnement professionnel actuel, allier performance et besoins individuels d’équilibre vie professionnelle/vie privée requiert une approche agile et adaptée, combinant stratégie et empathie. Les objectifs à atteindre doivent toujours être clairs, précis et réalisables – en ligne avec les priorités et objectifs Business de l’entreprise – avec pendant toute la période de revue au cours de l’année une certaine flexibilité à concéder aux employés dans un cadre équitable pour tous, tout en permettant une certaine personnalisation/prise en compte des besoins individuels lorsque le rôle le permet, impactant directement la productivité et l’engagement des employés pour leur entreprise.
Cela requiert beaucoup de communication, des échanges ouverts et surtout de la confiance, gage fort de reconnaissance et de motivation pour nos employés. Cela peut se traduire par un aménagement des horaires de travail pour accompagner une situation temporaire difficile ou un changement dans la vie du salarié, ou par une utilisation de télétravail modulable, de permission de rendez-vous administratifs/médicaux pendant la journée de travail pour booster l’engagement du salarié et lui permettre une certaine autonomie sur son temps de travail. La combinaison des responsabilités personnelles et professionnelles est un élément primordial pouvant impacter la performance de nos employés, bien sûr il faudra toujours un cadre collectif et le moduler individuellement au besoin par le biais de la responsabilité managériale.
Talent Acquisition
Le marché de l’emploi est dominé par la «guerre des talents». De quelle manière concrète cela se traduit-il dans vos propres processus de recrutement? À quelles difficultés êtes-vous confrontée?
«Nous sommes confrontés à une pénurie de talents multilingues et expérimentés dans le secteur de l’assurance vie. Les spécialisations requises limitent le nombre de candidats qualifiés. Les délais administratifs pour l’obtention des visas et permis de travail, associés a des exigences salariales élevées complexifient nos recrutements et encore plus particulièrement dans les fonctions informatiques. La compétition est féroce dans le secteur financier.
Quelles sont les «armes» déployées dans votre entreprise afin de mener à bien cette bataille? Et de quelles «armes» supplémentaires aimeriez-vous disposer, si vous aviez le pouvoir de faire évoluer les règlements et les lois?
«Nous adaptons nos pratiques en lançant différentes initiatives. Les premières étaient essentiellement la mise en place d’une politique de référencement assez généreuse. Puis nous avons boosté nos possibilités de mobilité interne. Nous collaborons avec des universités pour accueillir et former de jeunes diplômés et proposons des programmes de formation accélérés et spécifiques permettant l’intégration rapide des talents ayant des compétences transférables, mais peu d’expérience dans le secteur de l’assurance vie. Aussi nous nous efforçons de travailler sur une proposition de valeur employeuse forte incluant des avantages non financiers (flexibilité, opportunités de développement…).
Employer Branding
Appliquée à votre organisation, quelle est votre définition de la «marque employeur»?
«Notre définition de la marque employeur est un positionnement de l’entreprise comme un employeur attractif offrant un environnement de travail dynamique et valorisant l’excellence professionnelle.
À la lumière de cette définition, de quel poids pèsent les RH dans la valorisation de cette «marque employeur»?
«Les RH ont un rôle clé et pivot dans la valorisation de la marque employeur considérant qu’ils influencent directement la perception et l’image de l’entreprise des employés actuels et candidats potentiels. Les RH sont en réalité un acteur essentiel pour la marque employeur et sont le garant de l’alignement entre les valeurs de l’entreprise et sa culture à travers différents biais.
Attraction des talents: adopter les meilleures stratégies pour être compétitifs sur le marché actuel. Expérience employé: créer une approche cohérente et optimisée pour les employés en termes de process/procédures/culture/opportunités/communication qui va permettre de moduler le ressenti et la perception des employés quant à leur appartenance à l’entreprise. Les employés sont toujours les meilleurs ambassadeurs d’une entreprise sur le marché et contribuent à la bonne réputation de l’entreprise. Rétention: la stratégie d’engagement, de développement et de reconnaissance des employés est aussi un pilier majeur de la marque employeur.
Re and Upskilling
En matière d’upskilling, quels sont les besoins prioritaires que vous avez identifiés au sein de votre organisation?
«Un des besoins prioritaires identifiés concerne les compétences managériales de nos employés qui gèrent des équipes plus ou moins larges. Les managers sont les acteurs clés de la bonne performance des équipes, de leur motivation et du succès organisationnel. La tâche est complexe pour les managers qui doivent faire face à de plus en plus de challenges pour s’adapter aux demandes de l’environnement professionnel actuel moderne et de ses collaborateurs toujours plus exigeants. Le besoin d’accompagner ces managers doit être une priorité, ces derniers sont eux-mêmes demandeurs pour renforcer leur communication, leur prise de décision, développer leur agilité émotionnelle et sont même en quête de coaching individuel pour les plus aguerris. Investir dans le développement managérial permet de renforcer le leadership, mais aussi d’améliorer la satisfaction employée et de maintenir l’engagement/la motivation des collaborateurs qui continuent de ‘grandir’ et d’affiner leur panel de compétences.
Et quels sont les outils et dispositifs mis en place au sein de vos services pour accompagner la formation continue des collaborateurs?
«Nous avons implémenté il y a deux ans un outil de gestion de la performance – LMS très performant qui est doté d’intelligence artificielle. Cet outil nous aide à mettre en œuvre des plans de formation dédiés et sur mesure à nos collaborateurs. Ces plans de formation contiennent des heures de formation avec des fournisseurs externes, des e-learning, des séances de formation on the job, du peer learning, du mentoring, des exercices ciblés avec les collègues experts en la matière. C’est un ensemble d’activités gérées par le logiciel qui va pouvoir également proposer des formations selon les préférences pré-remplies dans le logiciel.
Talent Retention
La «guerre des talents» se joue-t-elle aussi dans la rétention de ces derniers? Et si oui, quelle est votre conclusion? Qu’aujourd’hui il est aussi complexe d’attirer des talents que de les retenir, ensuite?
«Lorsqu’il est difficile de recruter certains profils, il est également aussi challenging de les retenir ensuite au vu du marché actuel et de certaines méthodes de débauche des talents. La rétention ne s’opère plus sur autant d’années que par le passé, il faut accepter que parfois la rétention la plus optimale sera temporaire, il est donc tout aussi complexe, voire parfois même plus complexe, de retenir les talents. Les promesses d’embauches devront être appliquées en termes de développement, carrière et évolution, mais aussi il faudra rester à l’affût des besoins évolutifs de l’employé, pas toujours réalisables ou raisonnables, au risque d’impacter l’équité interne.
Quelles ont été les principales évolutions, ou quelles sont celles en cours, dans le «parcours employé» de votre entreprise?
«Toutes les actions entreprises ces dernières années montrent aujourd’hui un résultat avec un taux de turn over en continuelle baisse depuis deux ans. Nous pouvons aussi démontrer la réussite des certains employés ayant eu des parcours de mobilité interne très différents (verticale-horizontale-promotion préparée).
New Way of Working
Flexibilité, télétravail… Depuis la crise sanitaire, les aspirations à de nouvelles manières de travailler sont plus prononcées que jamais. Comment répondre à ce changement de paradigme sans entraver les performances de l’entreprise?
«Le télétravail est maintenant bien intégré dans l’entreprise. Les règles sont très strictes dans le secteur de l’assurance afin de respecter le risque d’établissement stable et chaque employé a bien compris les contraintes. Elles sont intégrées dans le programme d’onboarding et un elearning obligatoire doit être suivi afin de rappeler les règles du homeworking. Chaque manager est libre d’organiser le temps de présence de ses équipes et l’organisation n’a pas détecté de baisse de performance, bien au contraire.
Dans le même temps, comment répondre également au défi de l’engagement des collaborateurs, dont les études indiquent qu’il va en s’effondrant?
«La flexibilité est un avantage très important pour nos salariés ainsi que le développement personnel. Nous avons déployé beaucoup de moyens dans ces deux initiatives comme préciser dans les questions précédentes et notre taux d’engagement ne fait que croître depuis deux ans.
Droit du travail
Quel est votre regard sur les textes? En l’état actuel, le Code du travail luxembourgeois vous semble-t-il un partenaire des employeurs? Ou au contraire quelque chose comme un adversaire?
«Le Code du travail luxembourgeois donne un cadre aux employeurs afin d’assurer équité, conformité et structure dans les entreprises. Comme tous les droits aujourd’hui il peut paraitre de plus en plus restrictif (i.e droit européen à transposer localement, etc.), mais reste un partenaire des employeurs car il fournit de la clarté pour évaluer et minimiser nos risques ainsi que protéger nos intérêts et notre réputation. Il nous permet d’avoir un environnement de travail stable et structuré notamment pour éviter certains conflits ou les résoudre au besoin. Il vaut mieux le voir comme un partenaire qui nous permet de trouver des solutions et de développer notre agilité lorsque les textes évoluent.
Même exercice de fiction que tout à l’heure… Si vous en aviez le pouvoir, quelle disposition supplémentaire souhaiteriez-vous introduire au droit luxembourgeois pour répondre plus efficacement à vos nécessités?
«Je pense que je souhaiterais renforcer le droit à la flexibilité en modernisant les pratiques de travail pour mieux répondre aux attentes des talents et augmenter l’attractivité de l’entreprise.
Digitalisation
De quelle manière êtes-vous en train de transformer la digitalisation en alliée de la fonction HR?
«Dans un contexte où l’innovation technologique transforme profondément le monde du travail, nous avons fait de la digitalisation un levier clef pour renforcer l’efficacité et l’impact stratégique de la fonction RH (automatisation des tâches administratives pour recentrer les RH sur des missions à forte valeur ajoutée, adoption de solutions self service, optimisation de la formation grâce aux technologies dotées d’intelligence artificielle [LMS] et analyse des compétences prédictives, lancement de plateformes de communication internes qui requièrent du feedback sur les employés, apprentissage en ligne et elearning fortement déployé pour l’apprentissage en continu et autonome, suivi des KPI’s HR régulier).
À quels obstacles continuez-vous toutefois de vous heurter à ce stade?
«Les systèmes d’information utilisés ne se ‘parlent’ pas toujours et le double encodage reste parfois de rigueur.
Avantages
De quel poids pèse aujourd’hui l’attractivité salariale dans le recrutement et la rétention de talents?
«Il est primordial pour certains profils et moins important pour d’autres. Nous devons être à l’écoute constante des besoins de nos collaborateurs via leurs managers et encourageons des ‘stay interviews’ afin d’être constamment informés des requêtes des collaborateurs.
À côté de la rémunération, quels sont les éléments sur lesquels s’appuyer pour gagner en attractivité?
«La flexibilité et le développement. Les activités diverses (team building, petits déjeuners, l’offre de 4h de temps libre pour s’adonner à un travail pour des associations) sont très appréciées.
Mobilité & Fleet
Flotte de véhicules électriques, incitation aux transports en commun… Dans votre société, quelles ont été, quelles sont, ou quelles vont être les dispositions prises en matière de mobilité?
«Notre atout est essentiellement l’offre de parking pour chaque salarié. La flotte de véhicule de fonction va petit à petit se renouveler uniquement à l’électrique.
Plus globalement, quels sont les points de vigilance que vous retenez en termes de transition verte?
«Le passage au tout-électrique reste compliqué du fait de l’absence (ou du manque) de bornes de recharge.
RSE
Quels sont les plus gros défis posés pour votre organisation en matière de nouvelles obligations RSE?
«La mise en conformité avec la directive CSRD et les exigences en matière de transparence, aussi il faut investir dans des systèmes permettant de faire des reportings. Il faut transformer les dispositions en actions et les rendre visibles.
Comment ces mêmes obligations impactent-elles vos process d’upskilling en interne ou de recrutement extérieur?
«Tous les collaborateurs doivent maîtriser ces concepts donc il faut déployer des elearning et former tous les employés.
Gen Z
On la dit moins engagée, plus exigeante, et peut-être même difficile à saisir… La gen Z est-elle réellement en train de bouleverser l’environnement de travail?
«Bouleverser est un grand mot, mais cette génération challenge. Il faut essayer de la comprendre, identifier ses leviers et appétences pour mettre en place un cadre de travail collectif le plus adapté possible au plus grand nombre. La communication et la pédagogie restent un point clé, mais une certaine flexibilisation croissante doit être envisagée pour ne pas passer à côté de cette génération exigeante. L’équilibre et le compromis sont toujours des moyens efficaces d’accompagner ce type d’évolution. Il faut faire attention de ne pas léser les autres générations en se concentrant uniquement sur leurs besoins/attentes. Ici aussi, c’est un challenge supplémentaire pour les managers qui doivent être accompagnés pour comprendre et appréhender ces collaborateurs.
Quels conseils donnez-vous aux jeunes de 25-30 ans nouvellement recrutés?
«D’être plus patients et de ne pas hésiter à solliciter des discussions au besoin, encourager une communication ouverte pour comprendre leurs besoins et leurs attentes, mais d’accepter également qu’une entreprise doit veiller aux intérêts de tous ses employés, toutes générations confondues. Ils peuvent exposer leurs idées, mais doivent accepter les décisions finales.
Diversity, Inclusion, Equity
En tant que DRH, comment définiriez-vous vos rôle et responsabilités face aux enjeux DIE?
«Mon rôle est de m’assurer que tous les collaborateurs aient la même compréhension de ce que DE&I signifie pour notre entreprise (donc de les former) puis de m’assurer que les bonnes pratiques soient respectées dans la gestion des équipes et que les comportements inappropriés soient dénoncés. Il faut donc mettre à dispositions des outils qui permettent de gérer au mieux les collaborateurs dans un esprit de DE&I.
L’entreprise «exemplaire» est-elle une utopie ou un objectif envisageable?
«On doit se rapprocher au mieux de l’entreprise exemplaire. Personne n’est parfait, il faut se rapprocher le plus possible de cet objectif.»