La «Doughnut Economy» a été lancée par l’économiste Kate Raworth. (Illustration: mycelium)

La «Doughnut Economy» a été lancée par l’économiste Kate Raworth. (Illustration: mycelium)

Lancée par la Britannique Kate Raworth, la «doughnut economy» est un modèle économique s’appuyant sur la durabilité et ayant comme limites les ressources planétaires et les frontières sociales. Une conférence est donnée lundi 27 février pour expliquer ce concept et les démarches initiées au Luxembourg. 

C’est sur une invitation du Conseil supérieur pour un développement durable (CSDD) qu’a été présenté le principe de la «doughnut economy» au Luxembourg center for architecture (Luca) ce lundi 27 février. Il s’agit d’un concept économique basé sur la durabilité lancée par l’économiste  et développé selon un diagramme qui a la forme de cette pâtisserie.

«Il s’agit d’une représentation nouvelle de l’économie et d’une proposition de principe économique alternatif», explique Géraldine Thiry, professeur d’économie à l’ICHEC, qui intervient également lors de la conférence. «Cette approche s’inscrit dans l’école intellectuelle qui trouve ses racines dans l’économie écologique des années 1970 et 1980. Elle emprunte aussi aux économistes institutionnalistes et aux économies féministes qui reconnaissent que l’économie n’est pas que le marché, mais qu’il y a un ensemble d’acteurs importants à prendre en compte, auquel il faut ajouter ce que les scientifiques de Stockholm appellent “les frontières planétaires”. Sa vision prend aussi en compte le fait que l’économie a des impacts sociaux importants, en termes de redistribution, de justice sociale, et qu’on ne peut pas penser l’économie indépendamment du bien-être et de la prospérité, au sens humain, d’un pays.»

Un diagramme, deux cercles marquant les limites

Convaincue par la force de l’image, Kate Raworth a développé un diagramme inspiré par les «planetary boundaries», développées par les scientifiques et montrant les limites biophysiques qu’il ne faudrait pas dépasser pour vivre durablement sur la planète – comme les changements climatiques, l’acidification des océans, la pollution de l’air, la perte de la biodiversité ou encore la raréfaction de l’eau potable. Ces frontières planétaires constituent donc les limites biophysiques de notre économie. C’est le cercle extérieur du donut.

«Mais Kate Raworth a ajouté une autre dimension, le plancher social, qui est un ensemble de seuils relatifs aux droits humains et droits civiques, tels que le droit à l’éducation, au logement, à la nourriture, à l’eau, la voix politique, l’égalité des sexes…», précise Géraldine Thiry. C’est le cercle intérieur du donut. Ainsi, l’économie devrait se déployer à l’intérieur de ces deux limites, sociale et environnementale, qui ne devraient être pas dépassées, ni dans un sens ni dans l’autre.

L’exemple de BrusselsDonut

La ville de Bruxelles a cherché à entrer dans la chair de ce donut et a développé pour cela le projet BrusselsDonut. Sa mission est de dresser le portrait du donut, de déterminer le cadre, le plafond social et environnemental, à l’échelle d’une ville. Il s’agit donc d’élaborer un ensemble d’indicateurs cohérents, un tableau de bord, qui prend également en considération deux autres angles, l’axe local et l’axe global. On aboutit donc à quatre «lunettes» qui permettent de déterminer les frontières local-écologique, global-écologique, local-social et global-social.

Mais l’objectif est la mise en œuvre de ce tableau de bord d’indicateurs alternatifs, ce qui a commencé à être fait à Bruxelles. Et cela doit passer par la création d’un référentiel commun et une conception de l’économie commune au sein des acteurs bruxellois.

Pour cela, BrusselDonut a travaillé à quatre niveaux pour avoir une vision systémique. Le macro, qui consiste en l’élaboration du portrait du donut, le niveau mezzo qui est un travail avec des administrations publiques pour l’élaboration de politiques adaptées. Puis vient le niveau micro avec l’accompagnement des entreprises qui veulent adopter le donut comme nouvelle boussole pour leurs activités, et enfin, le nano avec une étude d’un objet spécifique.

De bons retours, mais aussi des limites

«Le projet rencontre à l’heure actuelle un certain engouement et intérêt, car on arrive à toucher du doigt des problèmes qui se font de plus en plus importants et qui résonnent chez nombre de personnes», affirme Géraldine Thiry. «Nous allons finaliser le tableau de bord dans le courant du mois de mai de cette année et il constituera un bel outil pour l’avenir.» BrusselDonut souhaite que ce portrait soit porté par des coalitions d’acteurs publics, privés et de la société civile organisée, afin de s’en servir comme d’un outil d’intelligence collective et de démocratie participative à l’échelle locale. 

La méthodologie donut peut aussi être utilisée par des entreprises, ce qui peut remettre en question assez profondément leurs fondamentaux, car elle amène à questionner leur finalité, leur mode de gouvernance et leur réseau, mais aussi les sources de leur financement et leurs structures de propriété.

«L’ampleur avec laquelle ce travail réflexif se déroule change d’une entreprise à l’autre et l’ampleur des changements qui peuvent être opérés dépend aussi de l’environnement concurrentiel de l’entreprise, confirme la chercheuse. Il existe donc des freins systémiques qui peuvent venir contraindre la mise en place de tel modèle économique.

Mais avec cette théorie, on participe à un changement culturel qui remodèle aussi progressivement les imaginaires collectifs pour faire évoluer les conceptions de l’économie. Nous sommes bien conscients que cette vision se heurte à des déterminants structurels du marché qui sont encore très puissants. Nous ne sommes pas naïfs, mais pas sans espoir, car si des personnes puissantes du système sont convaincues de la pertinence de cet outil, elles pourront un peu ringardiser les autres démarches.»