L’accélération surprenante de l’inflation entre 2021 et 2022 a poussé les autorités monétaires à relever agressivement leurs taux d’intérêt directeurs. Aujourd’hui, bien que la stabilité des prix ne soit pas encore assurée, les derniers chiffres d’inflation s’établissant autour des 3% sont encourageants. Alors que certains experts craignaient une récession imminente causée par ce resserrement monétaire, un examen approfondi révèle des facteurs singuliers qui expliquent cette insensibilité aux taux d’intérêt, en particulier aux États-Unis.
La bonne santé financière des ménages et des entreprises
Rappelons le contexte de la pandémie, où les gouvernements ont dû débloquer des fonds pour atténuer les effets dévastateurs des confinements sur l’économie. Les États ont généreusement soutenu les ménages touchés, tandis que les entreprises ont bénéficié de conditions de financement exceptionnelles grâce à des taux planchers et une abondance de liquidités. L’excédent d’épargne qui en résulte et le comportement très dépensier des ménages (revenge spending) ont stimulé la consommation et préservé la croissance économique malgré un environnement de taux restrictif.
Les dépenses publiques en tant que rempart
La politique économique audacieuse de l’administration Biden (dite Bidenomics) ne s’est pas contentée d’alimenter la croissance par le canal de la consommation, mais aussi au travers des investissements. Ainsi, les Bidenomics ont contrecarré les effets potentiellement ravageurs de la politique monétaire restrictive. À travers le Chips Act, l’Infrastructure and Jobs Act ou encore l’Inflation Reduction Act, l’administration américaine a injecté des fonds publics dans des secteurs-clés comme la production de semi-conducteurs, la transition écologique et la santé. Au point que le déficit a atteint des niveaux comparables à ceux des périodes de crise, suscitant des doutes sur la soutenabilité des finances publiques. Bien que les investissements soient traditionnellement très sensibles aux taux d’intérêt, la politique budgétaire expansionniste a créé une dynamique unique où les investissements en infrastructures sont montés en flèche.
Un marché de l’emploi exceptionnellement résilient
La leçon tirée de la pandémie a incité les entreprises à une gestion plus prudente des effectifs. Après des licenciements massifs liés aux confinements, la reprise a entraîné une forte demande de main-d’œuvre. Soutenus par des chèques gouvernementaux, les travailleurs ont gagné en pouvoir de négociation pour la première fois depuis plusieurs décennies et ne se sont pas empressés de revenir sur le marché de l’emploi. Cela a créé une concurrence entre les entreprises, déclenchant une guerre des talents et écartant la réduction des effectifs comme une option à court terme.
Inflation et perspectives pour 2024
L’année qui vient de s’écouler offre donc un cadre d’analyse très intéressant pour les économistes dans la mesure où une désinflation majeure s’est opérée dans un contexte de résilience économique. À première vue, le fameux soft landing semble réussi. Cela soulève naturellement des questions sur les relations traditionnelles entre taux, salaires, croissance et inflation. Pour l’année 2024, les facteurs positifs cités dans les paragraphes précédents devraient tout de même commencer à s’estomper. En particulier, le refinancement des entreprises pourrait devenir un point d’attention au cours du deuxième semestre.
La question de la capacité des banques centrales à effectuer des baisses de taux préventives pour prolonger la durée de vie de ce cycle économique deviendrait ainsi cruciale. Point positif: les taux sont élevés et elles disposent d’une marge de manœuvre conséquente pour soutenir l’économie si besoin. Cela sera-t-il possible? Seulement si l’inflation n’est plus un problème d’ici là.