La plus haute instance de la CJUE interprète le droit de l’UE et évalue si les lois nationales y sont bien conformes. (Photo : Matic Zorman / Archives Maison Moderne)

La plus haute instance de la CJUE interprète le droit de l’UE et évalue si les lois nationales y sont bien conformes. (Photo : Matic Zorman / Archives Maison Moderne)

La Cour de justice précise sa jurisprudence au détour d’une affaire impliquant une célèbre chanteuse de pop aux prises avec l’Administration des contributions directes.

C’est un arrêt sur le fil qu’a rendu la Cour mardi, retoquant une partie de la loi du 25 novembre 2014 tout en confirmant son principe de base.

Retour à l’: l’Administration des contributions directes (ACD) a relayé en 2016 deux demandes de renseignements du fisc espagnol concernant les contrats régissant les droits d’une certaine Shakira, désormais espagnole, résidant en Espagne. La première visait ACE Entertainment, société de production de films et de séries, et la seconde, la banque luxembourgeoise hébergeant des comptes de l’artiste espagnole. Considérant que l’injonction prononcée par l’ACD – sous peine d’une amende de 250.000 euros en cas de non-obtempération sous un mois – viole leurs droits fondamentaux, puisqu’elle n’est pas susceptible de recours d’après cette loi de 2014, les trois parties ont saisi la justice administrative.

Le tribunal leur a donné partiellement raison, le gouvernement a interjeté appel et la Cour administrative s’en est remise à la Cour de justice de l’UE afin de déterminer qui peut soumettre un recours, et surtout de préciser la notion de «pertinence vraisemblable» des informations qu’un fisc peut demander à un autre s’il enquête sur un contribuable qu’il soupçonne de dissimuler des comptes à l’étranger.

Situation différente entre la banque et le contribuable

La avocat général Juliane Kokott avait livré des conclusions tonitruantes en juillet dernier, soulignant une potentielle divergence entre le modèle de convention fiscale dicté par l’OCDE et la Charte des droits fondamentaux.

La Cour emprunte le même chemin en examinant la loi de 2014 à l’aune de l’article 47 de la Charte consacrant le droit à un recours effectif devant un tribunal. Elle opère toutefois une distinction entre les auteurs du recours: une personne morale détentrice d’informations, comme une banque en l’occurrence, «doit pouvoir accéder à un tribunal compétent» et «ne saurait se voir contrainte d’enfreindre une règle ou une obligation juridique et de s’exposer à la sanction attachée à cette infraction». La loi luxembourgeoise oblige de fait une banque à se mettre en infraction en ne livrant pas les informations demandées par l’Administration des contributions directes et à attendre qu’une sanction soit prononcée pour enfin pouvoir contester la demande initiale.

La situation s’avère quelque peu différente pour le contribuable visé, note la Cour de justice. Il n’est pas le destinataire de la demande d’informations et peut attaquer la décision de rectification ou de redressement prise par le fisc de son pays de résidence. La Cour ne s’oppose donc pas à une limitation du droit de recours effectif, d’autant qu’elle reconnaît que «l’objectif poursuivi par la législation nationale en cause au principal constitue un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union», à savoir «la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales internationales, en renforçant la coopération entre les autorités nationales compétentes en ce domaine». Le raisonnement s’applique aussi aux tierces personnes: le recours direct contre une demande d’informations venant de l’étranger n’est pas indispensable tant qu’elles peuvent soumettre d’autres recours en cas de préjudice.

La «pertinence vraisemblable» enfin précisée

La Cour de justice répond ensuite à la demande de précision de la Cour administrative concernant la portée et le contenu que doit afficher la demande d’informations à un fisc étranger pour répondre au critère de «pertinence vraisemblable» évoqué dans (2017, premier issu de la loi de 2014).

Rappelant qu’il n’est pas question de laisser une autorité fiscale procéder à une «pêche aux informations», et suivant l’avis de Mme Kokott, la Cour énumère les éléments suivants:

- «l’identité de la personne détentrice des informations en cause,

- l’identité du contribuable qui est visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations,

- la période couverte par la demande d’échange d’informations,

- des documents (en l’occurrence des contrats, des facturations et des paiements) qui, tout en n’étant pas identifiés de façon précise, sont délimités au moyen de critères tenant, premièrement, au fait qu’ils ont été respectivement conclus ou effectués par la personne détentrice, deuxièmement, à la circonstance qu’ils sont intervenus pendant la période couverte par cette enquête et, troisièmement, à leur lien avec le contribuable visé.»

La Cour continue donc de préciser sa jurisprudence, balançant entre les droits fondamentaux des contribuables et la juste lutte contre l’évasion fiscale.