Paul Reiff, professeur détaché au Statec, est intervenu ce jeudi 5 mai à la CSL sur le sujet crucial des salaires des frontaliers au Grand-Duché de Luxembourg, avec cette question: «Des écarts explicables?» (Photo: Paperjam)

Paul Reiff, professeur détaché au Statec, est intervenu ce jeudi 5 mai à la CSL sur le sujet crucial des salaires des frontaliers au Grand-Duché de Luxembourg, avec cette question: «Des écarts explicables?» (Photo: Paperjam)

Paul Reiff, professeur détaché au Statec, a expliqué ce jeudi 5 mai en marge du colloque sur le travail transfrontalier que si les salaires des résidents de nationalité luxembourgeoise sont 21,5% plus élevés que ceux des frontaliers, le pouvoir d’achat des résidents est, lui, moins élevé.

Ces jeudi 5 et vendredi 6 mai, la Chambre de salariés (CSL) accueille en Europe organisé par le Liser. Après les discours d’introduction du ministre du Travail (LSAP), du président de l’UEL , du directeur de la CSL , du secrétaire général du Benelux Alain De Muyser et de Franz Clément du Liser, la première table ronde était dédiée aux réalités et enjeux du travail frontalier. Paul Reiff, professeur détaché au Statec, est notamment intervenu sur le sujet crucial des salaires des frontaliers au Grand-Duché de Luxembourg, avec cette question: «Des écarts explicables?» S’appuyant sur des chiffres de 2018 afin d’avoir une étude plus globale, il a montré que, le salaire annuel moyen brut au Luxembourg étant de 65.801 euros, celui des résidents se situe à 73.251 euros contre 57.489 pour les frontaliers, soit une différence de 21,5%.

Des écarts différents selon la branche

«Cet écart est stable dans le temps depuis dix ans. Ce que l’on remarque également, c’est qu’il faut distinguer les résidents de nationalité luxembourgeoise et les résidents de nationalité étrangère. Car l’écart entre les salaires des frontaliers et des résidents étrangers est, lui, bien moins remarquable qu’avec les résidents de nationalité luxembourgeoise», note Paul Reiff. «De nombreux résidents luxembourgeois choisissant le secteur public où les salaires sont assez élevés, cela explique ces différences de salaires.»

«Les écarts sont aussi différents selon la branche. Par exemple, dans le secteur des finances, les salaires des frontaliers sont beaucoup plus bas que ceux des résidents, aussi dans l’information-communication. Ils sont par contre assez proches dans l’industrie, l’horeca ou la construction.»

Un écart non expliqué de 13%

Pour réaliser son analyse, Paul Reiff a décomposé l’écart salarial entre résidents et frontaliers avec la méthode dite Blinder-Oaxaca: une méthode de décomposition de la différence de salaire entre un groupe favorisé et un groupe défavorisé (ou supposé discriminé) dans le cadre d’une analyse par régression. «Sur l’écart observé de 21,5%, presque 10% s’expliquent par la branche d’activité au sein de laquelle les travailleurs évoluent. En l’occurrence, les frontaliers travaillent dans des branches moins rémunératrices, contrairement aux résidents de nationalité luxembourgeoise qui évoluent au sein de la fonction publique.»

La taille de l’entreprise explique à hauteur de 2,3% l’écart de salaires, les frontaliers ayant tendance à travailler dans des entreprises plus petites. D’un autre côté, il y a des facteurs qui jouent en faveur des frontaliers «et qui devraient en théorie faire augmenter leur salaire, comme l’âge, donc l’expérience, le niveau d’éducation ou le genre. Il y a en effet plus d’hommes que de femmes parmi les salariés au Luxembourg. Nous trouvons alors un écart expliqué de 8,5%, et il reste un écart non expliqué de 13% par les variables de ce modèle», analyse Paul Reiff.

Des Luxembourgeois frontaliers dans leur pays

Les compétences linguistiques sont un des facteurs qu’il ne faut pas négliger dans le contexte luxembourgeois. L’accès est en effet bloqué à certains postes rémunérateurs, la maîtrise du luxembourgeois y étant demandée, ou même la nationalité du pays étant requise, comme pour les postes de policiers. «Les frontaliers connaissent moins bien le marché du travail luxembourgeois également, ils ont donc moins tendance à négocier leur salaire à l’embauche parce qu’ils ont moins conscience des salaires pratiqués.»

Mais le professeur détaché du Statec relativise toutefois les salaires élevés des résidents de nationalité luxembourgeoise. «On observe une grande différence du pouvoir d’achat entre résidents et frontaliers. Les différences sont particulièrement importantes au Luxembourg, où le pouvoir d’achat est diminué de 23% à cause du coût de la vie, et notamment de celui du logement. Dans le Grand Est, la perte est moindre, de l’ordre de 12%, et le frontalier a ainsi un pouvoir d’achat plus élevé dans sa région d’origine.»

Une autre clé de lecture, qui se situe au début de son analyse, est la présence de Luxembourgeois frontaliers dans leur propre pays, et qui bénéficient donc de hauts salaires, tout en ayant le pouvoir d’achat de frontaliers. «Mais nous ne disposons pas encore de suffisamment de chiffres sur ce phénomène encore très récent», conclut Paul Reiff.