Difficile à comprendre, la distribution de clés quantiques? Imaginez que vous vous fassiez livrer une pizza et qu’un affamé intercepte le message sur l’heure et l’endroit de la livraison pour la détourner à son profit. Si cela s’était passé il y a 20 ans, vous n’auriez jamais vu la couleur de votre pizza.
Imaginez que vous envoyiez un message très important sur internet et qu’un pirate s’en empare pour essayer de vous faire chanter ou vous demander de l’argent. C’est aujourd’hui un business en plein boom. Année après année, les experts en cybersécurité ont essayé de rendre la transmission des messages et leur contenu de plus en plus chiffrés pour que personne ne puisse les intercepter… sans y parvenir vraiment, alors que les ordinateurs vont être capables, à assez court terme, de déchiffrer à peu près tout à coups de millions d’opérations et de calculs en une fraction de seconde.
La situation géopolitique nous rappelle chaque jour combien ce sujet est primordial pour l’Europe!
Une nouvelle idée a commencé à devenir plus concrète il y a cinq ans, à partir de recherches qui datent du milieu des années 1980: la distribution de clés quantiques via une particule de lumière, le photon. Deux personnes qui voudraient se parler utiliseraient un système de chiffrement quantique s’appuyant sur deux clés qui leur arriveraient par le photon. Tout intrus interromprait la communication en altérant le photon, et donc plus question de se glisser au milieu…
Un premier satellite lancé en 2024
L’Agence spatiale européenne travaille sur le sujet depuis 2017 dans le cadre d’une initiative dont SES a pris le leadership depuis le début, de manière assez visionnaire. Ce jeudi, à l’occasion du Congrès international d’astronautique, le CEO du leader mondial des opérateurs de satellites, , a signé un contrat avec le directeur de l’ESA, Josef Aschbacher.
Pour 130 millions d’euros, SES et huit États membres de l’ESA (l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg, l’Italie, la Suisse, la République tchèque, l’Autriche et la Belgique) devront développer une plateforme de distribution de ces clés et un premier satellite de 300 kilos, Eagle-1, qui devrait être lancé en 2024. Technologie, satellite, plateforme opérationnelle (à Luxembourg) et stations au sol devront permettre d’engranger de précieux retours d’expérience avant que le projet passe à une phase plus commerciale ensuite.
Il était important de pousser l’Europe non seulement à être présente, mais aussi à développer des technologies très avancées, qui permettent d’exercer notre leadership.
Il pourrait servir à l’industrie financière, mais aussi à protéger des infrastructures sensibles nationales, comme celles qui permettent de délivrer passeports, cartes d’identité ou permis de conduire. Tout est à créer dans cette perspective, mise sur des rails concrets depuis la déclaration d’intention de l’Union européenne en 2019 et baptisée .
La sécurité des télécommunications par satellite est aussi une des priorités fixées par le directeur de l’ESA, qui finalise avec confiance les enveloppes budgétaires dont l’Agence aura besoin au cours des trois années à venir. «La situation géopolitique nous rappelle chaque jour combien ce sujet est primordial pour l’Europe», a-t-il rappelé à Paris. D’autant que le vice-président de la Commission européenne, Thierry Breton, a annoncé l’an dernier le lancement d’une constellation de satellites pour doter l’Europe d’une solution de connectivité venue du ciel, face aux projets privés bien connus comme Starlink, OneWeb ou Amazon Kuiper.
Arrivée de SES dans la «basse orbite»
«Il y a d’autres compétiteurs et il était important de pousser l’Europe non seulement à être présente, mais aussi à développer des technologies très avancées, qui permettent d’exercer notre leadership», a dit la directrice des télécommunications et des applications intégrées de l’ESA, Élodie Viau – ancienne ingénieure de SES. «Sans des participations publiques, aucun acteur ne pourrait financer ces développements.»
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Cette rupture technologique est aussi une rupture dans le business model de SES: Eagle-1 sera lancé à une centaine de kilomètres de la Terre, à basse orbite – à laquelle l’opérateur luxembourgeois a toujours préféré les hautes et moyennes orbites. «Nous avons toujours dit que nous lancerions sur l’orbite qui ferait le plus de sens», nuançait Steve Collar, en marge de la cérémonie de signature. La basse orbite diminue la latence, et donc le temps d’exposition d’un message à un éventuel pirate, d’où son intérêt, mais la couverture qu’elle propose est assez réduite par rapport aux deux autres.
Pour le CEO de SES, une constellation d’Eagle devrait voir le jour à moyen terme, «de cinq à dix satellites», précisait-il avec prudence, au moment où ceux qui veulent amener de la connectivité à haut débit lancent des milliers de satellites pour y parvenir.
Double concurrence de la Chine et de Singapour
Les Européens vont forcément rencontrer les mêmes problèmes que leurs principaux concurrents: les Chinois. . Et même si les représentants de l’ESA font mine d’ignorer les développements, ils n’ignorent probablement rien de la difficulté à transmettre des clés en plein jour, parce que le «bruit» de la lumière du soleil perturbe le processus, ni même de l’impossibilité de livrer plus que les clés nécessaires à une centaine de clients en même temps.
Mercredi, l’ESA a signé un autre accord, avec l’Agence spatiale de Singapour, pour monter un partenariat avec , le National Quantum-Safe Network. L’idée étant de permettre au réseau européen de tester les collaborations avec d’autres acteurs, nous confie-t-on. Dans un «mood» moderne de l’espace qui préfère aussi souvent que possible les partenariats à la guerre Ouest-Est.