Simplifier les règles, oui, mais comment? fin janvier. Un premier échange sur cette feuille de route a lieu ce mercredi 12 février au Parlement européen, en plénière à Strasbourg. Parmi les enjeux clés: le projet «omnibus» visant à simplifier la publication d’informations sur la durabilité, ainsi que le devoir de diligence et la taxonomie.
À Luxembourg, la Place suit le dossier de très près. «Un omnibus présente l’avantage non négligeable d’aligner différentes réglementations. D’une part, tout est traité simultanément, ce qui permet d’assurer une meilleure cohérence. D’autre part, il offre une opportunité de simplification en finance durable. Mais en pratique, ce ne sera pas facile», estime le représentant à Bruxelles de l’ABBL, l’Aca et l’Alfi, Antoine Kremer. Les services de la Commission européenne travaillent d’arrache-pied pour pouvoir présenter une proposition fin février.
Les partis politiques européens commencent déjà à faire connaître leurs attentes. Le plus grand d’entre eux, le PPE (droite proeuropéenne), juge les législations sur la durabilité des entreprises, telles que la directive sur le reporting (CSRD) et celle sur le devoir de vigilance (CSDDD), «excessives et contraignantes, avec des répercussions considérables sur les PME européennes». Le parti de la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, appelle à des changements substantiels.
Retirer les PME du champ
«La mise en œuvre de la CSRD et de la CSDDD, ainsi que d’autres législations connexes, notamment le règlement sur la taxonomie et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), devrait être suspendue pour au moins deux ans», exige le PPE dans un communiqué publié en janvier. «Durant cette période, une réglementation omnibus devrait limiter la portée de ces lois aux seules grandes entreprises de plus de 1.000 employés, supprimer les effets indirects sur les PME, harmoniser les chevauchements législatifs entraînant actuellement une double déclaration et réduire de manière significative les obligations de reporting pour les grandes entreprises, à hauteur d’au moins 50%.»
Le PPE demande également, fait notable, «une révision de la législation en attente d’application, y compris des actes délégués et d’exécution». Cela impliquerait de modifier des mesures de mise en œuvre «techniques».
Si nous voulons rester compétitifs, la décarbonation doit rester au cœur de notre stratégie.
La gauche ne l’entend évidemment pas de cette oreille. Pour l’eurodéputée néerlandaise Lara Wolters (groupe social-démocrate), la simplification est une préoccupation légitime, mais le – dont la boussole de la compétitivité constitue la traduction – ne soutient pas la déréglementation. Il ne la voit pas non plus comme un moyen d’améliorer la compétitivité.
Chez les Verts, juge «très prématuré» de revoir les règles alors qu’arrive la première vague de reportings extra-financiers: «Modifier la portée des lois avant même d’avoir ces données n’a aucun sens. Oui, il faut soutenir les entreprises, surtout les PME, avec des outils numériques et un accompagnement financier. Mais affaiblir les exigences du Green Deal, remettre en cause la due diligence ou le principe de ne pas causer de préjudice significatif, c’est reculer là où nous devrions avancer.»
Beaucoup d’entreprises ont déjà anticipé ces règles, fait valoir l’élue luxembourgeoise. «Changer les règles du jeu maintenant pénaliserait celles qui ont pris de l’avance. Nos industries ont besoin de stabilité et de clarté, pas de deux pas en avant suivi d’un en arrière, comme à la procession dansante d’Echternach. Pendant ce temps, les États-Unis et la Chine avancent sans hésitation. Si nous voulons rester compétitifs, la décarbonation doit rester au cœur de notre stratégie. Les rapports Draghi et Letta ne disent pas autre chose.»
Il ne s’agit pas de remettre en question l’ensemble des mesures déjà adoptées.
Interpellée sur la position du PPE, qui donne l’impression d’aborder ce débat avec une tronçonneuse, Martine Kemp (CSV, groupe PPE) parle d’une «redirection» plutôt que d’un démantèlement: «Il ne s’agit pas de remettre en question l’ensemble des mesures déjà adoptées, mais de procéder à des ajustements nécessaires. Nous sommes peut-être allés trop loin, à un moment où nous étions trop optimistes, peut-être naïfs de croire que nous pourrions changer le monde et influencer l’économie mondiale avec ces mesures.»
L’environnement est-il le grand perdant? «Il faut adopter une vision plus globale», répond l’eurodéputée. Et de mettre en garde contre le risque d’une désindustrialisation de l’Europe: «Cela conduirait à une augmentation des importations depuis des pays où les normes environnementales sont bien moins strictes. En gagnant de nouveau des entreprises en Europe, nous aurions une plus grande mainmise sur la façon dont elles produisent, avec des critères environnementaux qui restent plus stricts qu’en dehors de l’UE.»
Concernant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), Martine Kemp se distancie du PPE. «Même si l’impact du CBAM sur certains secteurs pourrait nécessiter une attention particulière, personnellement, je n’aurais pas relancé les discussions sur le début de la phase opérationnelle du mécanisme. Celui-ci est essentiel pour protéger notre marché unique. Je doute qu’un ajournement soit dans notre intérêt. D’autres pays utilisent des taxes pour protéger leur marché. Pour moi, l’Europe ne devrait pas se montrer plus frileuse que les autres sur ce point.»
Il faut éviter une instabilité législative où tout devient possible au Parlement.
Au centre de l’échiquier, Pascal Canfin (groupe Renew Europe) souligne un autre enjeu. Le projet d’omnibus de la Commission européenne sera présenté le même jour que le Clean Industrial Deal. Cela pourrait brouiller le message politique. «L’articulation entre ces deux textes pourrait créer une bataille de narration. Certains insisteront sur l’accélération du Pacte vert, tandis que d’autres verront l’omnibus comme un recul», a déclaré l’eurodéputé lors d’un briefing à la presse, mardi 11 février.
Un exemple: le CBAM pourrait, via le Clean Industrial Deal, voir son calendrier d’extension précisé. Cependant, si le paquet omnibus inclut le CBAM, cela pourrait rouvrir le dossier. Cela risque d’engendrer des discussions plus larges sur tout le système. Pascal Canfin estime qu’«il ne faut pas modifier ce texte sans un accord préalable entre les forces politiques pro-européennes pour éviter une instabilité législative où tout devient possible au Parlement».
Ce projet d’omnibus constitue ainsi, à ses yeux, un test crucial pour la solidité de la majorité derrière Ursula von der Leyen. Renew Europe se dit «très offensif» vis-à-vis de la Commission et de ses partenaires politiques pour obtenir une coordination en amont. «Sans cela, la proposition pourrait arriver au Parlement sans aucune stabilité, ouvrant la porte à des suppressions majeures, voire à une alliance entre la droite et l’extrême droite pour aller bien au-delà du cadre prévu par la Commission.»