Tous les acteurs de la protection des droits fondamentaux se sont retrouvés lundi pour une journée d’échanges sur les rôles de chacun. (Photo: Paperjam)

Tous les acteurs de la protection des droits fondamentaux se sont retrouvés lundi pour une journée d’échanges sur les rôles de chacun. (Photo: Paperjam)

Candidat au Conseil des droits de l’Homme de l’Onu, le Luxembourg doit montrer patte blanche pour le respect des droits et libertés fondamentaux sur son propre sol.

C’est à un louable exercice d’introspection et d’autocritique – mesurée – que s’est livré le microcosme juridique luxembourgeois lundi, lors d’une conférence organisée par la faculté de Droit, d’Économie et de Finance de l’Université du Luxembourg et l’Observatoire luxembourgeois du droit européen sur «La défense des droits et libertés fondamentaux au Grand-Duché de Luxembourg – Rôle, contribution respective et concertation des organes impliqués».

Il a même fallu transférer une partie de l’auditoire dans une deuxième salle du bâtiment Weicker (Kirchberg) avec retransmission vidéo pour accueillir les plus de 120 inscrits. Il faut dire que le gratin du droit luxembourgeois était présent à la tribune ou dans la salle – les juges à la CJUE et Dean Spielmann, le juge à la Cour européenne des droits de l’Homme Georges Ravarani, les présidents de la Cour supérieure de justice et de la Cour administrative Francis Delaporte, le président de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance Jean-Paul Lehners, l’ambassadeur itinérant pour les droits de l’Homme Marc Bichler, la présidente du Conseil d’État Agnès Durdu, les professeurs de droit Jörg Gerkrath, Stefan Braum, Robert Harmsen (nouveau titulaire de la chaire Unesco), la doyenne de la faculté de Droit, d’Économie et de Finance Katalin Ligeti, le procureur général d’État

Les droits de l’Homme ne sont pas et ne seront sans doute jamais un acquis.
Stéphane Pallage

Stéphane PallagerecteurUniversité du Luxembourg

«Les droits de l’Homme ne sont pas et ne seront sans doute jamais un acquis», introduit le recteur de l’Uni Stéphane Pallage, après avoir livré ses inquiétudes sur l’étouffement de la liberté académique des universités hongroises par le régime de Viktor Orban.

Les droits et libertés fondamentaux sont-ils protégés au Luxembourg et comment le sont-ils en pratique? C’est la question à laquelle s’attachait à répondre la conférence. «La situation au Luxembourg est bonne puisqu’un grand nombre de droits et libertés fondamentaux sont reconnus», détaille le Pr Jörg Gerkrath, professeur de droit public et de droit européen à l’Uni, citant la protection de la Constitution – imparfaite, et justement le projet de révision devait introduire un nouveau chapitre plus étoffé sur les droits fondamentaux –, de la loi, de la Convention européenne des droits de l’Homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, et enfin des traités internationaux ratifiés par le Grand-Duché.

«Comme des pêcheurs sur un chalutier qui ont plusieurs filets (national, européen, international), des violations peuvent échapper à ce réseau de protection si les pêcheurs ne les tirent pas dans la même direction ou si un filet se déchire.»

Une candidature à soigner

Vigilant, le Grand-Duché l’est d’autant plus qu’il veut faire bonne figure en tant que candidat au Conseil des droits de l’Homme de l’Onu pour la période 2022-2024, après avoir siégé au Conseil de sécurité en 2013-2014. Le fait qu’il soit l’un des rares à respecter l’engagement de 1970 de consacrer au moins 0,7% de son revenu national à l’aide au développement «nous vaudra des sympathies» au moment du vote en octobre 2021.

«La promotion et la défense des droits de l’Homme est une priorité du gouvernement luxembourgeois tant au niveau national que dans son action extérieure. Et un multilatéralisme efficace fondé sur l’égalité de droit constitue pour le Luxembourg un cadre pour promouvoir les valeurs universelles et défendre ses propres intérêts au niveau international.»

Le Conseil des droits de l’Homme joue un rôle primordial dans le renforcement de la protection de ces droits. Le Luxembourg soigne sa candidature et le gouvernement a d’ailleurs adopté la semaine dernière la deuxième édition du plan d’action pour renforcer le respect des droits de l’Homme par les entreprises «au sein des organisations et tout au long de la chaîne de valeur économique».

Vers un «modèle luxembourgeois de développement durable»

Le Grand-Duché se fait d’ailleurs fort de distiller le renforcement de la protection des droits de l’Homme dans sa politique de coopération au développement. Même si la mise en œuvre n’est pas aisée. «Les traditions et les idées sont différentes entre les cultures par rapport à l’interprétation des droits fondamentaux», relève le Pr Stefan Braum, professeur de droit pénal à l’Uni, en exposant son expérience d’un projet porté par l’Uni au Laos.

Le défi étant de déterminer ce qui peut justifier dans une autre culture de renforcer les droits fondamentaux par la loi, comme l’expérience de l’injustice ou de la souffrance causée par un État. «Le Laos fut l’un des pays les plus bombardés durant la guerre du Vietnam. Il a reçu 2 millions de tonnes de bombes, qui provoquent encore aujourd’hui des accidents.» C’est là que se profile un «modèle luxembourgeois de développement durable», mêlant droits de l’Homme et développement, et surtout «tenant compte des implications concrètes d’une culture».

J’espère que la nouvelle Constitution comprendra une clause transversale prévoyant que toute restriction apportée aux droits et libertés fondamentaux doit être prévue par la loi et satisfaire au principe de proportionnalité.

Agnès DurduprésidenteConseil d'Etat

Sur le territoire luxembourgeois, les droits de l’Homme sont garantis au niveau légal par plusieurs gardiens. D’abord par le Conseil d’État, qui veille à ce que les projets et propositions de loi ainsi que les projets de règlements grand-ducaux n’affectent pas les droits et libertés fondamentaux. «Ils sont régulièrement au centre de nos avis», affirme Agnès Durdu, présidente de la Haute Corporation, qui vérifie la conformité des textes proposés aux normes supérieures (Constitution, traités internationaux).

C’est ainsi que le Conseil d’État a retoqué le texte prévoyant des contrôles d’identité si peu encadrés qu’ils auraient pu devenir systématiques. Il a également incité l’État à renforcer sa protection au détour d’autres avis – en commençant par la promotion du suffrage universel au début du 20e siècle. «J’espère que la nouvelle Constitution comprendra une clause transversale prévoyant que toute restriction apportée aux droits et libertés fondamentaux doit être prévue par la loi et satisfaire au principe de proportionnalité», conclut Mme Durdu.

C’est ensuite à la justice d’intervenir si l’application d’une loi fait apparaître d’autres effets néfastes sur les droits de l’Homme. La Cour constitutionnelle examine la conformité de la loi à la Constitution qui «n’est pas moderne, mais qui garantit les droits et libertés fondamentaux depuis 171 ans dans notre pays», souligne Francis Delaporte, président de la Cour administrative et vice-président de la Cour constitutionnelle. «C’est le nation branding le plus important que nous puissions avoir!» L’instance suprême a ainsi pu, en 21 ans d’existence, renforcer le droit au recours effectif – notamment pour les contribuables –, l’égalité devant la loi, la non-rétroactivité des lois, etc.

Peu importe la source de droit, ce qui compte est que les droits de l’Homme soient protégés, surtout en ces temps d’incertitude et de montée de l’intolérance.

Me Noémie Sadleravocat à la Cour

Les juges ordinaires s’emparent également de plus en plus des normes supérieures pour trancher, expose ensuite l’avocate à la Cour Noémie Sadler. «Les juridictions commencent leur raisonnement en s’appuyant sur les lois, et c’est seulement si celles-ci présentent des lacunes que les avocats et les magistrats se penchent sur les sources européennes, voire internationales.» En ignorant parfois la Constitution. «Elle est partiellement obsolète, c’est pourquoi les magistrats se penchent plutôt sur la Convention européenne des droits de l’Homme ou la Charte des droits fondamentaux de l’UE.» Mais au final, «peu importe la source de droit, ce qui compte est que les droits de l’Homme soient protégés, surtout en ces temps d’incertitude et de montée de l’intolérance», conclut Mme Sadler.

Des acteurs non juridictionnels interviennent aussi dans la protection des droits et libertés fondamentaux: l’Ombudsman Claudia Monti, le Centre pour l’égalité de traitement, la Commission nationale pour la protection des données, la Commission consultative des droits de l’Homme, l’Ombuds-Comité pour les droits des enfants ou encore la Ligue des droits de l’Homme (ALOS-LDH asbl). Autant d’acteurs qui doivent travailler ensemble pour préserver le respect des droits et libertés fondamentaux au Luxembourg.