Les digues entre droite et extrême droite cèdent peu à peu. Une chose qui paraissait impensable en 2000 lorsque le FPÖ de Jörg Haider accède au pouvoir en Autriche – une expérience qui durera deux ans et qui se finira après des élections anticipées en 2002 durant lesquelles l’extrême droite s’effondrera – et que concomitamment perçaient la Ligue du Nord, en Italie, et l’UDC, en Suisse. Ces partis surfaient sur un discours xénophobe et anti-islam qui bornait une frontière infranchissable avec les droites traditionnelles.
C’est sur ce terrain que les digues cèdent aujourd’hui. Mais deux autres sujets servent maintenant de lieu de rapprochement, de point de contact: le wokisme et le changement climatique.
Les discours sur l’égalité des droits et la défense très – peut-être trop? – active des droits des minorités, quelles qu’elles soient, choquent la majorité dite «silencieuse». Ce qui favorise les chocs en retour. La lutte contre le «wokisme» devient porteuse dans l’opinion publique. Le terme même devient un repoussoir mobilisateur facile. On peut trouver une traduction concrète de ce rejet aux États-Unis où la discrimination positive (Affirmative Action) est en train d’être remise en cause par la Cour suprême.
Le coût politique de la transition verte
Pour ce qui est du changement climatique, si personne ne remet encore en question la nécessité d’une transition écologique, les populistes surfent sur ses effets sur le mode de vie et le pouvoir d’achat. Des effets réels.
Et ça marche. Aux Pays-Bas, le Mouvement agriculteur-citoyen (le BoerBurgerBeweging) de Caroline Van der Plas qui a fait campagne lors des élections régionales de mars dernier sur la lutte contre le plan de réduction drastique du cheptel néerlandais pour raisons environnementales, est devenu le premier parti du pays. Alors que des élections législatives anticipées vont se tenir ce 22 novembre, cette victoire fait des partis d’extrême droite locaux – une extrême droite très morcelée – des partenaires possibles.
Un tel rapprochement semble s’amorcer à Bruxelles où les observateurs font état d’un rapprochement au Parlement européen entre le groupe du Parti populaire européen (PPE) dirigé par Manfred Weber et celui des conservateurs et réformistes européens (ECR, la droite nationaliste et eurosceptique dont la principale composante est Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni) en vue de la nouvelle législature qui s’ouvrira après les élections de juin 2024.
Circulation des idées
Cette hybridation de la droite et de l’extrême droite s’accompagne d’une stratégie de normalisation.
En France, cette dédiabolisation est à l’œuvre depuis des années et porte ses fruits. Si au premier tour de l’élection présidentielle française, le score de Marine Le Pen a peu augmenté, par rapport à l’élection de 2017, il progresse fortement au deuxième tour. Le signe que le choix devient «acceptable» pour les électeurs. Un choix d’autant plus «acceptable» que ces partis ne font plus de l’Union européenne un repoussoir et qu’ils amendent leurs programmes économiques. L’Italienne Giorgia Meloni illustre à merveille ce propos. Les 200 milliards d’euros destinés à l’Italie par le plan de relance européen auront sûrement contribué à cet adoucissement…
Cette hybridation est également favorisée par le morcellement de l’offre politique. Ce morcellement affaiblit les grands partis qui se voient contraints d’élargir leurs cercles d’alliances classiques.
Le scénario d’accord de gouvernement avec l’extrême droite est donc dans l’air du temps. À travers l’Europe, la circulation des idées de l’extrême droite vers la droite s’accompagne d’un nombre croissant d’accords de coalition.
Giorgia Meloni, cheffe de Fratelli d’Italia, préside le gouvernement italien depuis octobre 2022. En Suède, le gouvernement du Premier ministre Ulf Kristersson est soutenu par l’extrême droite, les Démocrates de Suède, devenus après le scrutin du 11 septembre 2022 le deuxième parti du pays. Un soutien sans participation. En Finlande, les «Vrais Finlandais» participent avec le Parti du peuple suédois de Finlande et le mouvement des chrétiens-démocrates à la coalition gouvernementale. Dans ces deux derniers cas, les acquis des politiques liées à l’asile et à l’État providence ont été remis en cause.
Un système politique de nature centriste
La question des alliances devient incontournable pour les futurs scrutins dans toute l’Europe. Est-ce le cas au Luxembourg? Si le suffrage proportionnel favorise l’émergence des extrêmes, le système luxembourgeois avec la possibilité de partager ses voix entre partis et personnalités limite pour l’instant les débordements.
Surtout, le système politique luxembourgeois est par nature centriste. Centriste en ce sens que les quatre partis de gouvernement arrivent toujours à s’entendre pour monter une coalition gouvernementale sans avoir besoin de recourir à des partis placés aux extrêmes de l’échiquier, tant à gauche qu’à droite. La culture politique est plus celle du dialogue que celle du conflit.
Si on en croit les données du sondage Politmonitor, les quatre partis de gouvernement ont plusieurs possibilités pour conclure un accord de gouvernement. À eux quatre, ils totalisent 50 sièges sur les 60 à pourvoir. Le phénomène de morcellement politique, s’il se développe, ne bloque pas pour l’instant les institutions. Et sur le plan des idées, ces quatre partis restent suffisamment proches pour que des compromis soient possibles.
Il n’y a pas de partis extrémistes au Luxembourg
Face à cela, l’ADR se veut, selon les mots de son président (ADR), le seul parti d’opposition au Luxembourg. Un parti d’opposition et «pas un parti extrémiste» comme il le martèle. «Il n’y a pas de partis extrémistes au Luxembourg.»
Mais certains points de son programme témoignent au minimum de cette circulation des idées de l’extrême droite vers la droite évoquée plus haut.
Le parti veut rompre avec une croissance économique portée par la croissance démographique et donc l’immigration. Une des premières mesures que prendrait l’ADR s’il venait aux responsabilités, c’est de consulter les électeurs sur la question de la pertinence d’un Luxembourg a un million d’habitants.
Pour ce qui est de la lutte contre le changement climatique, Fred Keup ne le nie pas. Mais il estime que ce ne seront pas les efforts faits – imposés – aux Luxembourgeois qui changeront la donne. Il se dit pour le maintien du tourisme à la pompe «qui rapporte un milliard d’euros» aux caisses de l’État et il se dit opposé à toute politique de mobilité qui serait imposée. «L’ADR est le parti de l’automobile». Une prise de position porteuse quand on connait l’amour des Luxembourgeois pour les belles mécaniques.