Le droit à la déconnexion entre dans le Code du travail luxembourgeois. Même si son application pourra différer d’une entreprise à l’autre… (Photo: Christophe Lemaire/Maison Moderne)

Le droit à la déconnexion entre dans le Code du travail luxembourgeois. Même si son application pourra différer d’une entreprise à l’autre… (Photo: Christophe Lemaire/Maison Moderne)

Le droit à la déconnexion va être inscrit dans le Code du travail, selon le projet de loi voté ce mardi 13 juin à la Chambre. À chaque entreprise ensuite d’établir son propre régime. Ce qui laisse craindre d’éventuelles inégalités, notamment pour les plus petites PME, qui n’ont pas de délégués du personnel.

Mise à jour: le projet de loi a bien été voté, mardi 13 juin, en fin d’après-midi, avec 59 voix pour et un seul non-votant. Une motion a été déposée pour l’«évaluation du droit à la déconnexion au sein des entreprises trois ans après son application».  Le projet de loi est désormais en attente de dispense du second vote constitutionnel.

Peut-on envoyer des messages à son employé à minuit? Ou pendant ses congés? Doit-il répondre? Peut-on utiliser une application extérieure comme Whatsapp? Le Code du travail définissait déjà la durée du temps de travail, mais pas vraiment la notion de droit à la déconnexion.

Une section 8 spécifique l’intégrera à la législation en vigueur, après le vote de ce mardi 13 juin après-midi à la Chambre des députés.

Si le texte répond bien à sa mission, , «d’inscrire expressément» cette problématique dans le droit du travail luxembourgeois, il comporte certaines limites qui poussent à s’interroger sur sa capacité à réellement protéger tous les salariés face au «développement de la digitalisation et à la généralisation des outils informatiques».

Un régime défini par l’entreprise

L’article 312-9 précise que «lorsque les salariés utilisent des outils numériques à des fins professionnelles, un régime assurant le respect du droit à la déconnexion en dehors du temps de travail adapté à la situation particulière de l’entreprise ou du secteur doit être défini au niveau de l’entreprise ou du secteur en question».

Doivent être déterminées dans ce régime: «les modalités pratiques et les mesures techniques de déconnexion des outils numériques, les mesures de sensibilisation et de formation et des modalités de compensation dans le cas de dérogations exceptionnelles au droit à la déconnexion.» Il peut être défini par convention collective ou par accord subordonné. Et «en l’absence d’une convention collective de travail ou d’un accord subordonné, le régime spécifique est à définir au niveau de l’entreprise, dans le respect des compétences de la délégation du personnel s’il en existe.»

L’introduction et la modification de ce régime se font après la conclusion d’un commun accord entre l’employeur et la délégation du personnel dans les entreprises de 150 salariés ou plus, et après leur simple consultation pour celles qui en emploient moins.

En cas de non-respect, l’Inspection du travail et des mines (ITM) peut prononcer des amendes administratives, allant de 251 à 25.000 euros.

Pas de règles précises

Cela signifie-t-il que si le chef d’une petite entreprise sans délégués du personnel décide d’inscrire dans son «régime déconnexion» la possibilité de contacter ses salariés à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et pendant leurs congés, avec ou sans compensation, la loi ne le lui interdit pas? «C’est le problème. Il n’y a pas de garde-fou», admet (déi Lénk), députée membre de la Commission du travail, de l’emploi et de la sécurité sociale. «Si on a une convention collective, ce sera réglé par les syndicats. Dans d’autres entreprises, par les délégués du personnel. Mais pour celles qui n’en ont pas, l’employeur peut faire ce qu’il veut.»

Pour rappel, la présence de délégués du personnel s’impose à partir de 15 salariés.

«Avant, on sortait du bureau et on était à la maison. Le week-end, c’était le week-end», poursuit Myriam Cecchetti. «Aujourd’hui, même chez soi, on a toujours le travail à côté. Avec la digitalisation, tout le monde reçoit presque toutes les informations sur son téléphone personnel.» À cause de la «concurrence entre salariés» et de la «peur de se faire licencier», difficile de déconnecter et de ne pas répondre.

Pourquoi ne pas avoir publié de lignes directrices, comme l’obligation de fournir un téléphone professionnel ou l’interdiction d’appeler ses salariés en dehors de leurs heures de travail, sauf en cas d’exceptions bien définies?

«Ce n’était pas possible avec cette majorité», regrette la députée. Contacté, l’auteur du projet de loi, (LSAP), n’a pas répondu à la demande d’interview de Paperjam.

«C’est mieux d’avoir quelque chose que rien du tout», relativise Myriam Cecchetti. Même si le texte ne pourra pas totalement «éliminer la non – déconnexion» selon elle. En cas de problèmes avec le règlement de leur entreprise, la députée conseille aux salariés de contacter les organisations syndicales.

Des sanctions dans trois ans

précise tout de même que «dans tous les cas, ce régime doit assurer le respect des dispositions légales ou conventionnelles applicables en matière de temps de travail». Celles-ci étant déjà définies par le Code du travail.

Pour l’avocat en droit du travail , qui défend les employeurs, le texte n’aurait pas pu aller plus loin «car il aurait été impossible de tenir compte des particularités de chaque secteur et de chaque entreprise.» Il rappelle que le droit à la déconnexion vient d’un «souci de protection de la santé et de la sécurité des salariés». Il a été reconnu par la jurisprudence luxembourgeoise «dans un arrêt du 2 mai 2019 qui reconnaissait à un salarié un droit à la déconnexion pendant son congé de récréation, lui permettant ainsi de ne pas réagir aux instructions et appels de son employeur pendant ce temps.»

Prévu dans l’accord de coalition, le projet de loi à la Chambre ce mardi 13 juin résulte de travaux tripartites, ayant eux-mêmes abouti à . La Chambre des salariés (CSL) l’a d’ailleurs approuvé dans son

Les sanctions ne s’appliqueront que trois ans après la publication au Journal officiel, même si la loi entrera en vigueur «quatre jours après sa publication», rappelle Guy Castegnaro. «Entre-temps, les employeurs devront mettre en place une procédure relative au droit à la déconnexion et les tribunaux du travail pourront en principe condamner les employeurs pour non-respect du droit à la déconnexion, même en l’absence d’application de sanctions administratives.»