Les CGI, ces influenceurs entièrement créés à partir d’intelligence artificielle, prennent progressivement l’ascendant sur des influenceurs capricieux. Le début d’une lame de fond controversée, entre éthique et usages intelligents. (Photo: Shutterstock)

Les CGI, ces influenceurs entièrement créés à partir d’intelligence artificielle, prennent progressivement l’ascendant sur des influenceurs capricieux. Le début d’une lame de fond controversée, entre éthique et usages intelligents. (Photo: Shutterstock)

Knox Frost a annoncé cette semaine son partenariat avec l’OMS pour récolter des dons pour la lutte contre le coronavirus. Sauf que l’influenceur, nouvelle star de l’intelligence artificielle, n’existe pas.

On se croirait à Gstaad. Ou à Megève. Le chalet est cosy. Cette enseigne de grande distribution s’est donné du mal. Le chef cuisine à l’extérieur dans quelques centimètres carrés. Le sommelier compte les verres avec l’index et ajuste ses bouteilles au millimètre. Les propriétaires de cet endroit au cœur de Luxembourg piaffent d’impatience. Une vingtaine de convives, sept plats, et autant de whiskies nécessitent une organisation sans faille. Le thème de la soirée a attiré la crème de la crème des influenceurs locaux.

«Vas-y! Je te fais la lumière!», propose l’une d’entre elles à sa «collègue», accroupie en face d’une déco, ou plutôt d’une mise en situation. Le premier iPhone est en mode torche, le second immortalise le moment. Les deux jeunes femmes échangent ces bonnes pratiques, puis repartent à table… pour trinquer au plus célèbre des sodas américains, sans tremper les lèvres dans aucun des précieux nectars écossais, pourtant vedettes de la soirée. En «cyber-instantané», elles racontent la vie rêvée de celles et ceux à qui elles s’adressent. Même pas celle qu’elles vivent.

L’influence, un enjeu pour les marques, qui savent qu’il vaut mieux quelques dizaines de milliers de fans sur Instagram qu’une coûteuse campagne de marketing: plus facile de cibler à qui l’on s’adresse et pourquoi. Un sac à main par-ci, un week-end par-là, une voiture ou un produit pendant trois semaines contre un post totalement désintéressé sur le réseau social racheté par Facebook, l’offre ne connaît pas de limite. Certains en ont fait un juteux business.

Chacun y trouve son compte.

Lil Miquela, l’idole des jeunes

Tout a commencé avec Trevor McFedries. «DJ Skeet Skeet» – son nom de scène à ses débuts – bricole des sons, mi-musicien, mi-informaticien, à l’âge d’or de la musique électronique.

À Los Angeles, ce VRP d’artistes pour Spotify décide de mettre un coup de pied dans la fourmilière du marketing en accouchant de stars aussi binaires que virtuelles, élevées aux hormones de l’intelligence artificielle. Ces bébés-éprouvette «new age» grandissent mieux que tous les chimistes de l’ADN n’osent l’espérer dans leurs rêves les plus fous.

En 2016, McFedries lâche tout pour lancer Brud, sa start-up de «content-generated imagery», de contenus générés par ordinateur. Sa première égérie, Lil Miquela, compte aujourd’hui plus de 2 millions d’abonnés.

La jeune «femme», 19 ans à vie, a 2,1 millions de followers sur Instagram, et ses posts déclenchent jusqu’à… 2 millions de vues. L’idéal pour toute marque qui aurait besoin de visibilité à moindres coûts.

La «bonne nouvelle» – tout est toujours question de point de vue –, c’est que tous les avatars n’ont pas le même succès. Les deux amis de Lil, propulsée dans une téléréalité américaine, et , n’ont pas la même audience, même si elle reste très respectable.

Avant la crise, ce nouveau business de l’influence généré par des Kim Kardashian virtuelles était supposé atteindre plus de 2 milliards de dollars cette année, même si c’est un phénomène relativement ancien.

50 ans d’évolutions technologiques

Le premier film d’animation généré par un ordinateur date de... 1958!

Évidemment, depuis, la technologie a tellement progressé que le résultat permet non seulement de générer des images animées entièrement fausses… mais aussi de faire en sorte que . Seul un adolescent sur cinq suit un CGI sur un réseau social. 41% en ignorent l’existence, et le reste préfère rester à distance de ces personnages qui semblent issus des Sims…

D’où l’incroyable essor de ces nouveaux personnages, auxquels les adolescents sont particulièrement sensibles. Cette semaine, la nouvelle star CGI Knox Frost (1 million de followers), américaine, elle aussi, a annoncé son partenariat avec l’Organisation mondiale de la santé pour inviter à donner pour la lutte contre le coronavirus.

«Comme nous l’avons tous vu dans les médias, la génération Z et la génération Y doivent prendre cela à cœur. Avoir une voix comme celle de Knox augmentera certainement la sensibilisation, renforcera les meilleures pratiques Covid-19 et générera des dons pour l’OMS», assure le CEO d’Influential, Ryan Detert, dans un communiqué de presse. «À l’ère de la distanciation sociale, les influenceurs virtuels apparaissent rapidement comme une nouvelle partie innovante du paysage des influenceurs, nous sommes donc ravis d’avoir Knox Frost à bord pour participer à notre campagne avec l’OMS.»

Une limite est franchie, celle d’une organisation internationale qui donne du crédit à un personnage 100% numérique au moment où tout le monde se débat contre la professionnalisation des fake news et leur impact sur la vie publique et politique.

Et dans le même temps, près de 85% des interactions d’humains avec des entreprises pourraient y gagner, .

L’équilibre, toujours, ne tient qu’à un fil.

Si vous voulez être: 

- tendance, ;

- intelligent, préférez ;

- has been, il reste , qui, avec ses 165 millions d’abonnés, regarde ces petits nouveaux avec mépris.