Wall Street s’inquiète des conséquences possibles de la guerre des investisseurs autour de l’action GameStop. (Photo: Shutterstock)

Wall Street s’inquiète des conséquences possibles de la guerre des investisseurs autour de l’action GameStop. (Photo: Shutterstock)

Comment l’action d’une chaîne texane de jeux vidéo est-elle en train de faire trembler Wall Street? Par la guerre que des investisseurs, ligués via les réseaux, mènent face aux hedge funds spécialistes de la vente à découvert.

L’affaire GameStop, du nom de cette société de jeux informatiques cotée à Wall Street, provoque un véritable séisme dans les milieux financiers outre-Atlantique: hedge funds coincés et contraints de s’endetter, boursicoteurs qui amassent des fortunes rapidement, gendarmes financiers dépassés par le mouvement, jusqu’à certains parlementaires qui commencent désormais à exiger une réforme de Wall Street.

Pourquoi GameStop?

La société basée au Texas vend des jeux vidéo à travers sa chaîne de magasins Micromania. Prise de vitesse par le développement des jeux en ligne, ses activités se sont essoufflées, et son cours de bourse a connu un lent déclin. Depuis quelques mois, elle est ainsi devenue la cible de hedge funds qui estiment sa faillite probable et font le pari de la baisse de son action par des actions de vente à découvert, ou «short selling».

La vente à découvert, c’est quoi?

La pratique, très à la limite de l’éthique, consiste à emprunter des actions pour les revendre au prix du marché sans les posséder. Les hedge funds qui pratiquent ce type d’opérations sont convaincus que la cote de la société ciblée va s’affaisser – ce qui se réalise déjà partiellement par le nombre d’actions qu’ils injectent à la vente. Leur objectif final est de racheter les actions vendues lorsque le prix a chuté pour pouvoir les rendre à leurs prêteurs. Entre-temps, ils auront empoché une plus-value équivalente à la différence entre le prix de la vente et celui du rachat.

Qu’est-ce qui a coincé avec GameStop?

Depuis le début de l’année, des boursicoteurs américains se sont coalisés via les réseaux sociaux pour contrer la stratégie des hedge funds. Réunis au sein du groupe WallStreetBets et actifs sur le forum Reddit, ils ont fait le jeu inverse des vendeurs à découvert en misant sur la hausse du cours.

Des nouvelles rassurantes venues de l’entreprise au milieu du mois de janvier – changements au sein du conseil d’administration et virage de la stratégie vers le digital – ont donné un sursaut au titre, que les achats massifs de ces petits investisseurs ont littéralement fait s’envoler ces derniers jours. Venu de 20 dollars début janvier, il valait 327,5 dollars à l’ouverture de Wall Street ce lundi 1er février, après avoir atteint 483 dollars en séance le 28 janvier dernier.

Outre le fait que ces boursicoteurs se soient rapidement enrichis, la première conséquence est sans doute les pertes colossales de certains hedge funds, qui ont dû racheter des actions en train de flamber pour rendre celles qu’ils avaient empruntées.

La revanche de David sur Goliath?

Pour beaucoup, cette opération «anti short sellers» fait figure d’acte de rébellion de petits investisseurs contre des géants qui faussent les règles du jeu. «Comme le disait Keynes, il y a deux types d’investisseurs: les fondamentalistes, qui regardent les fondamentaux de l’entreprise, et les spéculateurs», note Philippe Ledent, expert économiste chez ING Belux. «Mon impression est que, dans ce cas-ci, on a plutôt affaire à une nouvelle catégorie d’acteurs, mais que je placerais quand même plutôt du côté des spéculateurs. Je ne pense pas qu’ils se soient beaucoup intéressés aux profits ou à la croissance de GameStop avant d’avoir jeté leur dévolu sur cette action.»

Quelles conséquences sur les marchés?

«Ils ajoutent du bruit sur les marchés et ne font que renforcer la volatilité», estime l’économiste, qui regarde ce groupe comme «un autre hedge fund, en quelque sorte, qui essaie de contrarier la stratégie des short sellers pour leur revendre leurs actions très cher». Ils déploient donc la stratégie inverse et jouent, eux, sur la hausse du titre. «Mais au final, l’investisseur traditionnel, qui regarde, lui, les fondamentaux, sera victime d’une spéculation encore plus forte.»

Des règles trop laxistes?

Ce week-end, les débats autour de GameStop ont poussé la sénatrice démocrate Elizabeth Warren à demander une enquête de la SEC, le gendarme financier américain. L’affaire GameStop «ne fait que nous rappeler ce qu’il se passe depuis des années à Wall Street», a-t-elle insisté. «C’est un jeu truqué, un ensemble d’acteurs manipulent le marché.» La SEC a confirmé, de son côté, qu’elle vérifiait «les malversations potentielles».

Pendant ce temps, la plateforme de trading sans commission Robinhood, par laquelle passent les membres de WallStreetBets, a suspendu, jeudi 28 janvier, ses achats d’actions GameStop, ainsi qu’une dizaine d’autres titres fréquemment shortlistés (Nokia, BlackBerry) pour faire cesser le mouvement. Une initiative qui a été vue comme une manœuvre pour fausser le marché en empêchant l’accès des investisseurs à certaines actions.

«Je ne suis pas convaincu que ce mouvement contribuera à nettoyer le marché des vendeurs à découvert», conclut Philippe Ledent. «C’est une stratégie contre une autre, et c’est à qui aura les moyens financiers les plus importants pour faire plier l’autre.»