«On réfléchit toujours mieux à deux ou trois cerveaux que tout seul dans son coin», considère le CEO de Steel Shed Solutions, Dominique Lyonnet. (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne)

«On réfléchit toujours mieux à deux ou trois cerveaux que tout seul dans son coin», considère le CEO de Steel Shed Solutions, Dominique Lyonnet. (Photo: Nader Ghavami/Maison Moderne)

Toute carrière cache des détours, des échecs surmontés, des choix décisifs, des réussites imprévisibles et des souvenirs marquants. Cette nouvelle rubrique #Trajectoire en raconte la coulisse. Cette semaine: le CEO du groupe Steel Shed Solutions, Dominique Lyonnet.

À 51 ans, il préfère l’ombre à la lumière. Résolument. Une fois n’est pas coutume, c’est pourtant lui et non son frère , embarqué à ses côtés dans l’aventure de Steel Shed Solutions, parmi les scale-up les plus performantes du pays, qui accepte de se présenter au «confessionnal».

Actif au Grand-Duché depuis 2000, s’est lancé peu après dans le négoce de charpentes métalliques au côté de son père, qui avait déjà posé un pied et demi dans le secteur. L’entrepreneur décide rapidement de devenir distributeur de ses propres produits, sans intermédiaire. Batimentsmoinschers.com, Easysteelsheds.com, Guenstigehallen.de, Tolesmoinscheres.com… Le groupe prospère. Mais l’histoire, pareille à une success-story, n’était pas du tout prévue pour se dérouler ainsi…

Votre premier job? Le tout premier contact avec le monde du travail?

Dominique Lyonnet. – «Un travail d’été en tant qu’ouvrier dans la société de mon père, dans le Grand Est, durant les grandes vacances d’été. Un très bon souvenir. J’étais beaucoup plus jeune, c’était la découverte de la ‘vraie’ vie. Il y avait le plaisir de faire quelque chose à l’aide de ses mains, ainsi que le plaisir d’apprendre d’autres choses que celles enseignées à l’université. J’ai toujours apprécié les visites d’usines, d’ateliers, de fournisseurs. J’aime être dans le concret.

Qu’est-ce qui vous a conduit à vous lancer?

«Je suis diplômé en économie de l’Université de Strasbourg. J’ai beaucoup aimé ce que j’ai fait. Je pensais que la suite logique pour moi serait une banque, une institution financière. Raison pour laquelle je suis arrivé à Luxembourg. Mais j’ai très rapidement compris que cela ne me plaisait pas et que cela ne me conviendrait pas.

Qu’est-ce qui clochait?

«C’était trop abstrait. La finance, les chiffres… Je pensais que ça allait me nourrir suffisamment, mais cela n’a pas été le cas. Quand il s’est agi après les études de passer à la pratique, ce n’était pas du tout ce que je m’étais représenté.

Le comprenant, quel a été le déclencheur pour glisser vers l’entrepreneuriat?

«Un déclic extérieur. En l’occurrence le 11 septembre 2001. L’attentat a déclenché une mini crise financière et l’éclatement de la bulle internet. Mon employeur de l’époque – une banque de la place financière – a proposé aux salariés de mettre leur carrière sur pause, tout en restant dans les effectifs et en percevant un certain pourcentage du salaire de base, avec la possibilité d’exercer un autre emploi à condition qu’il ne se trouve pas dans le même secteur d’activité. Ma petite enveloppe perçue, j’ai ouvert avec l’aide de mon père une entreprise d’outsourcing de constructions métalliques dans les pays de l’Est. J’ai développé un circuit de clients, mon père m’a aidé avec son propre réseau. Le point de départ, c’est ça. C’est cynique mais factuel, le 11-Septembre aura accéléré les choses.

Un mot supplémentaire sur l’influence de votre père, histoire que l’on comprenne?

«Il n’a pas eu la chance de faire des études secondaires. Mon père s’est lancé dans le métal à la fin des années 1970. C’est un domaine qu’il connaissait pour avoir été tourneur-fraiseur. Or il s’est avéré qu’il était meilleur commerçant qu’employé ou ouvrier. Il a rapidement vu le côté: ‘Je produis des pièces, ou j’emploie des gens pour les produire, ou je les achète, je les vends’, et voilà. Dès la chute du mur de Berlin, il a visité les pays de l’Est. Dans les années 1989-1990, il était déjà en Tchécoslovaquie, en ex-RDA, en Pologne, pour voir s’il y avait des opportunités à saisir. Il y en avait.

La première fois que je suis parti dans les ex-pays de l’Est chercher des sous-traitants pour des clients producteurs que j’avais en France ou en Belgique, j’ai éprouvé un sentiment de liberté incomparable.
Dominique Lyonnet

Dominique LyonnetCEOSteel Shed Solutions

Que ressent-on lorsqu’on passe de la place financière luxembourgeoise au commerce du métal dans d’anciennes frontières communistes?

«C’est un saut dans le vide. Mais compte tenu de l’apport de mon père, je sautais en parachute, et en double. C’est un peu moins effrayant par conséquent. La première fois que je suis parti dans les ex-pays de l’Est chercher des sous-traitants pour des clients producteurs que j’avais en France ou en Belgique, j’ai éprouvé un sentiment de liberté incomparable. Être sur les routes à rencontrer des gens, à visiter leurs installations, j’ai eu l’impression d’être à ma place. J’ai encore cette image de moi au volant de ma voiture dans la région de Moravie, dans l’ancienne Tchécoslovaquie, visitant un fournisseur et pensant au fond de moi: ‘Là je suis bien. Je suis à l’endroit où je devais être.’ J’avais 28-29 ans.

Un premier aboutissement?

«Oui et non. Oui, parce que le sentiment était fort. Non, parce que je n’avais pas toutes les clés, tous les clients, et que ça aurait très bien pu mal tourner. Malgré le fait de sauter en parachute en double, il y avait une certaine prise de risque, si ce n’est une prise de risque certaine.

Quel est votre rapport au risque?

«Je ne suis pas très joueur dans la vie. Par contre, quand je sens les choses, j’ai une conviction et une confiance inébranlables dans le fait que quelque chose va se passer. Aucun contour de ce qui deviendrait la société Steel Shed Solutions telle qu’on la connaît maintenant n’était défini. C’était plutôt du bricolage. Le vrai démarrage s’est effectué plus tard, quand mon frère Vincent nous a rejoints.

Avant cela?

«J’emmagasinais de l’expérience, j’emmagasinais des choses, je rencontrais des gens, je rencontrais des fournisseurs, mais il me manquait un petit truc pour que cela décolle. Avec mon père, on a même fait cette drôle d’expérience… Dans les années 2007-2008, on avait obtenu l’exclusivité pour la République tchèque et pour la Slovaquie de la distribution de DVD dans les cinébanks. Je ne sais pas si vous vous rappelez, il s’agissait de films à la location pour 24 heures dans des distributeurs automatiques… Fallait-il se diversifier? Aller vers autre chose? Au bout du compte, je me suis rendu compte que mon domaine de prédilection c’était quand même l’acier, le commerce, la construction métallique, il a été nécessaire de se recentrer. On a abandonné ces machines qui n’ont jamais pris puisque les Tchèques et les Slovaques sont passés directement de la VHS au streaming, sans en passer par le DVD. Là-dessus, s’est greffée la crise des subprimes en 2008. Comme tout s’est arrêté pour les entreprises qui me confiaient des productions à réaliser à l’étranger, tout s’est arrêté aussi pour moi. Plus de clients, plus de fournisseurs. C’est là qu’est venue l’idée de s’adresser en direct aux clients, sans intermédiaire.

Et ensuite? L’impact de votre frère Vincent, avec qui vous continuez de faire équipe commune aujourd’hui encore?

«Sa venue a été un tournant décisif. Disposant d’un bureau d’études, mon père s’est occupé de cette facette, c’est lui qui a commencé la standardisation. Mon frère, lui, s’est chargé de la commercialisation et du digital. D’où le nom pour le site d’origine, batimentsmoinschers.com, vu qu’à l’époque il n’y avait pas de référencement. Il a fallu trouver un nom accrocheur pour «sortir» en premier de l’algorithme Google. Moi, je me suis occupé du sourcing et du développement de produit une fois que la base avait été faite par mon père.

Autre erreur, peut-être: ne pas avoir détecté plus tôt les agissements d’un mauvais salarié qui a fini par quitter la société en volant et en emportant avec lui des documents avant d’établir au Luxembourg une société concurrente.
Dominique Lyonnet

Dominique LyonnetCEOSteel Shed Solutions

«Family Business», donc… Quelle conséquence sur la relation familiale? Entre le père et ses fils, il y a eu un «avant» et un «après»?

«Fils, on le reste toujours, donc ça, ça ne change pas. Ce qui change, c’est comment on évolue professionnellement, comment un père voit ses enfants se développer, engranger de l’expérience, challenger des choses dans des directions où lui ne serait pas allé. La relation avec mon frère n’en a été que renforcée. Vincent exerçait auparavant en région parisienne, dans la régie publicitaire. On se voit tous les jours, on s’est rapproché. On n’est pas d’accord tout le temps, mais on est drivé par le même ADN. On a sur certains sujets des positions qui peuvent être opposées, mais ce qui nous ramène toujours vers un équilibre c’est le fait qu’en tant que frères on a les mêmes réflexes, une enfance commune, une culture commune, un terrain commun.

De ce début de carrière, quelle erreur commise aimeriez-vous voir disparaître pour que l’on ne s’en souvienne plus?

«Plusieurs erreurs… La première: ne pas me disperser dans les machines vidéo, que je viens d’évoquer. C’est un métier à part entière, la preuve qu’il vaut parfois mieux rester dans le métier et le domaine que l’on connaît, tant pis pour la diversification. Si aujourd’hui je me diversifie, je vais le faire autour du bâtiment, de la construction, du métal, du profilage, de la sous-traitance. Autre erreur, peut-être: ne pas avoir détecté plus tôt les agissements d’un mauvais salarié qui a fini par quitter la société en volant et en emportant avec lui des documents avant d’établir au Luxembourg une société concurrente. Cette concurrence a duré quelques années avant la faillite de cette personne qui depuis a été condamnée. Cela a pris énormément de temps. C’était un film. Sur le moment, je n’ai pas voulu me résoudre à me dire que c’était en train d’arriver.  On écrit une histoire ensemble, je crois sincèrement en la bonté des gens, je ne pouvais pas imaginer quelque chose comme ça. Depuis, j’ai beaucoup mûri là-dessus. J’ai compris qu’il était inutile de chercher à retenir des collaborateurs contre leur gré, mais que l’on pouvait essayer de participer à la construction d’employés passant par chez nous. Aujourd’hui, on a souvent des retours d’anciens salariés qui passent une tête pour nous dire: ‘C’était bien, j’ai appris beaucoup de choses, cela m’a permis ensuite de faire ceci ou cela’…

Quels sont vos leviers pour affronter et surmonter les moments difficiles, les coups durs, les flottements qui jalonnent la vie d’entrepreneur?

«Mon tempérament, c’est de ne pas me résigner quand une catastrophe se produit. Si je n’ai rien à me reprocher et que j’ai l’intime conviction d’avoir tout fait et tout essayé, ce qui doit arriver arrive… Je n’ai pas à me lamenter. Pour en revenir à la situation précédente, l’une des priorités depuis quelques années c’est d’être dans la transmission vis-à-vis des jeunes collaborateurs, les accueillir, les faire grandir, les former, leur laisser entrevoir ce que peut faire une entreprise en matière de management et d’accompagnement. Après, s’ils ont envie de continuer ailleurs, ils continuent ailleurs… Ce n’est pas pour rien si l’on a modifié notre phrase d’accroche: ‘Construisons votre avenir’. Cela vaut pour les clients comme pour les collaborateurs.

De quoi êtes-vous le plus fier dans votre parcours?

«La famille, mon père, mon frère… Qu’on en soit arrivé jusque-là. Mais ce dont je serai le plus fier est encore à venir.

C’est déjà identifié?

«Oui, c’est la mutation et la transformation de la société. Les éléments ayant fait que l’on a pu se hisser jusque-là ne sont pas les mêmes que ceux qui vont nous amener plus loin encore. Ce dont je pourrai être fier à l’avenir c’est d’avoir pu adapter mon mindset à une nouvelle taille d’entreprise, un nouvel échelon. Je n’ai pas envie d’être le dernier vieux con de la société. Celui qui dit non à tous les projets, toutes les évolutions possibles. Nous sommes dans une grande phase de structuration en termes de personnel et d’organisation pour atteindre des objectifs toujours plus ambitieux. Ça fait du bien de regarder dans le rétroviseur, mais je n’aime pas trop m’appesantir. J’ai sur le bras un tatouage qui me le rappelle chaque jour: «Move forward» (il retrousse ses manches de chemise, désignant l’encre sur sa peau). Toujours aller de l’avant…

Quel est le meilleur conseil que l’on vous ait donné?

«Savoir s’entourer des compétences dans les domaines où on ne les a pas. Faire confiance aux gens. Accepter de ne pas savoir, de ne pas être expert en tout.

Et quelle critique a été la plus délicate à encaisser?

«Au moment où l’entreprise commençait à grossir en taille et que des gens sont partis de chez nous avec du savoir-faire sous le bras… À un moment, j’ai manifesté une certaine méfiance, une certaine rigidité. On m’en a fait part, je le regrette. C’était un épisode comme ça, je n’ai pas envie qu’il perturbe ou pollue mes relations avec les collaborateurs actuels qui n’ont rien à voir avec ces personnes indélicates.

Si j’avais la possibilité de modifier quelque chose, ce serait d’être un petit peu plus présent pour mes deux aînés lorsqu’ils étaient encore petits, en classes primaires. J’ai été là. Mais j’aurais pu l’être davantage.
Dominique Lyonnet

Dominique LyonnetCEOSteel Shed Solutions

Avez-vous déjà pris des décisions sur un coup de tête? Est-ce dans votre tempérament?

«Être impulsif, c’est beaucoup dans mon tempérament, oui. Aujourd’hui, on est entouré de beaucoup de spécialistes dans la société. Quand je soumets une idée et qu’il s’avère que je me trompe, je l’accepte facilement et volontiers. Cela ne me gêne pas de faire machine arrière ou d’adapter ma décision.

Q’est-ce que votre parcours vous a appris sur vous-même?

«Il m’a appris que je n’étais pas la personne que je pensais être. Je pensais être quelqu’un d’assez timide, anxieux ou angoissé, d’un abord un peu froid. Finalement, je me retrouve bien dans les échanges humains avec les collaborateurs et dans une certaine convivialité. Je m’y retrouve aussi dans la résistance au stress, avec une certaine résilience que je n’imaginais pas par rapport à la pression. Je l’ai découvert à force d’expérience. Avec l’âge, j’ai appris à travailler là-dessus.

Qu’aimeriez-vous dire au Dominique Lyonnet d’il y a 20 ou 25 ans?

«De ne pas hésiter à demander des conseils ou de l’accompagnement. Et de ne pas hésiter à faire appel à des spécialistes quand le besoin s’en fait ressentir. Non pas pour que ces spécialistes prennent la décision à sa place, mais pour qu’il viennent alimenter la réflexion. On réfléchit toujours mieux à deux ou trois cerveaux que tout seul dans son coin.

Et que penserait l’ancien étudiant en économie du quinquagénaire que vous êtes devenu?

«Il serait fier du parcours accompli. Il signerait des deux mains si on lui disait: ‘Tu as réussi à atteindre ça…’ Au fond de lui, je pense qu’il savait que c’était ça qu’il voulait.

Si néanmoins vous pouviez changer quelque chose dans votre parcours?

«Chaque expérience a sa place. Bonne ou mauvaise, elle a contribué à quelque chose d’autre. Je suis père de trois enfants. Si j’avais la possibilité de modifier quelque chose, ce serait d’être un petit peu plus présent pour mes deux aînés lorsqu’ils étaient encore petits, en classes primaires. J’ai été là. Mais j’aurais pu l’être davantage.

S’il y avait un moment que vous pouviez capturer pour le revivre indéfiniment, comme en boucle?

«Deux visites de terrain. Un, le premier déplacement en Côte d’Ivoire pour rencontrer des clients avec qui jusqu’alors les contacts n’avaient eu lieu qu’au téléphone, en visio ou par e-mail. On y dispose de bâtiments, des gens s’en servent comme outil de travail. Quand on se rend sur place, on se rend compte de ce à quoi on a participé… Deuxième moment: lorsque je suis allé visiter un grand client en Guyane française. Il a conçu une zone d’activité commerciale avec une dizaine de bâtiments, un centre auto Midas, une salle de sport de crossfit, un supermarché, un centre de contrôle technique, des magasins… Toute une vie s’est créée et c’est nous qui avons fourni l’enveloppe permettant d’accueillir l’ensemble de ces activités. Jusque-là, ce n’étaient que des plans, ce n’était que du papier. Quand on vient sur place, c’est concret.»