Dominic Williams a le physique d’un surfeur californien, mais le Britannique devance surtout… la vague technologique depuis un quart de siècle: une Dropbox dix ans avant la Dropbox (1998), un outil de partage de documents alors que d’autres peinent à envoyer un fax (2001), un jeu vidéo mobile pour des milliers de joueurs en simultané (2010). Pas besoin de se tartiner de crème solaire ni même de replacer des cheveux rebelles, non, ce véritable premier de la classe – il a obtenu des mentions spéciales rarissimes –, Bachelor en informatique du King’s College de Londres dans les années 1990, a d’autres chats à fouetter.
Sur la scène principale de Nexus2050, jeudi 27 – et probablement sans que beaucoup des spectateurs assommés par la chaleur poisseuse ne le comprennent vraiment –, le directeur de la fondation suisse Dfinity, qu’il a mise sur pied en 2015, évoque pour la première fois publiquement «Utopia», acronyme de «unstoppable», «tamperproof», «open», «platform», for «independent», «autonomy».
Une armée de 270 développeurs stars méconnus
Le projet répond à une question: «Un réseau public peut-il exécuter des logiciels inarrêtables, infalsifiables et autonomes, offrant une alternative décentralisée et supérieure aux infrastructures informatiques traditionnelles, étendant l'internet public, de sorte qu'en plus de nous connecter tous, il fournisse également une plateforme sur laquelle le monde peut construire ses futurs systèmes et services?» S’il pose publiquement la question, évidemment, c’est qu’il y a répondu, général d’une petite armée de 270 développeurs qui ont plus d’appétit pour les mathématiques que pour les Big Mac, presque tous issus des Google, IBM, Facebook et du monde du chiffrement. Une armée qui a tiré la quintessence de 1.600 papiers de recherche, de 100.000 citations académiques et de 250 brevets.
«Nous ne sommes pas vraiment une start-up», dit-il, animé du feu sacré, en face du stand de PwC, «mais plutôt une sorte de spin-off qui n’a pas ‘besoin’ d’argent: la fondation sans but lucratif que j’ai créée et qui nous soutient a déjà réuni 1,5 milliard de dollars» avec certains grands noms de l’investissement dans la tech, comme a16z, le fonds américain de capital-risque de Marc Andreessen et Ben Horowitz.
Pourquoi le Luxembourg devrait s’intéresser à ce passionné? Parce qu’à partir des mathématiques plus qu’avec des méthodes de chiffrement qui finissent toujours par être craquées, Utopia propose et proposera de plus en plus de solutions souveraines en open source. «Souveraines» signifie qu’elles ne sont pas soumises aux lois américaines. Les données et les échanges sont hors de portée non seulement de la justice américaine mais aussi des services de renseignements ou même des cybercriminels. De quoi mettre à mal «un marché» astronomique, dit-il sans préciser ses sources, à 9.200 milliards de dollars en 2024 pour le cybercrime, 5.060 milliards pour les dépenses IT, 2.000 milliards pour le personnel IT, 1.000 milliards pour les logiciels ou encore 184 milliards pour la cybersécurité.
La menace de l’IA
Sur la scène luxembourgeoise, il évoque Passkey ID pour l’identité, DocuTrack pour la conservation et le partage de documents ou encore Messaging. Il assure aussi que sa solution de cloud souverain décentralisée prend déjà en compte les risques que les solutions de cloud souverain qui émergent n’ont pas réalisés: les cyberattaques de plus en plus sophistiquées, les sabotages étatiques des data centers, le terrorisme, la guerre, les désastres environnementaux ou les événements de Carrington. Ces derniers, découverts en 1859, auraient aujourd’hui un impact calamiteux, parce que nos technologies sont ultrasensibles aux perturbations électromagnétiques.
«Et l’intelligence artificielle va aggraver le cybercrime à un niveau absolument épique!», glisse-t-il avec emphase. «C’est déjà très mauvais! L’informatique est dans une impasse, et c’est dû à la nature fondamentale et à la conception de nos systèmes. L’informatique ne peut tout simplement pas fournir la sécurité dont vous avez besoin. Il n’existe pas de systèmes de cybersécurité, pas de meilleurs logiciels contre les logiciels malveillants. Nous allons résoudre ce problème parce que personne ne peut accéder au logiciel, personne ne peut accéder aux données, l’infrastructure décentralisée assure qu’un nœud viendra apporter de la résilience si un nœud était touché.»
Et comme le discours ressemble parfois aux discours de tous les experts en cybersécurité, qui dessinent le pire pour vous pousser dans leurs bras, il faut parler de quantique. D’une autre tendance émergente, encore très anecdotique: le calcul quantique pourrait-il craquer aussi une solution mathématique réputée inviolable parce qu’appuyée ? Il vous oppose la paume de sa main droite pour vous arrêter. «Nous y travaillons déjà», sourit-il. «Mais je ne veux pas aller plus loin pour le moment. Pour le moment, nous finalisons dans notre solution la possibilité d’utiliser l’intelligence artificielle générative pour que vous puissiez prompter ce dont vous avez besoin et notre solution vous fournira la vôtre, inviolable. Nous démontrons cela dans quelques semaines. Et si vous avez besoin de fonctionnalité supplémentaire en cours de route, cela permettra d’upgrader la solution sans aucun effort et instantanément. Évidemment, nous aurons une fonction ‘retour en arrière’ si jamais la nouvelle version donne un résultat moins intéressant que ce que vous pensiez.» Une back-door, comme aux meilleures heures des logiciels américains? «Non, pas du tout, juste un retour, une étape avant, un rollback.»
Une productivité multipliée par cinq
L’autre aspect de cette technologie est aussi de rendre de la productivité aux ingénieurs. «Puisqu’il faut aujourd’hui 10.000 lignes de code pour installer, configurer et administrer des serveurs web, des serveurs de base de données, l’orchestration du cloud, les sauvegardes ou la cybersécurité et que nous le faisons en moins de 2.000 lignes de code, nous multiplierons la productivité par cinq.»
Pourquoi venir pitcher au Luxembourg si vous n’avez pas besoin d’argent, si votre technologie est si avancée, si votre équipe est si riche de superstars de la programmation et des mathématiques. «Le Luxembourg est un pays européen qui, avec la Suisse, parle de plus en plus de souveraineté technologique…», dit-il, lui qui aura déjà fait Londres-Palo Alto/Silicon Valley et Silicon Valley-Suisse.