Deux ans avant que le terme ‘fintech’ ne se généralise, Raoul Mulheims (Finologee) avait lancé Digicash, solution révolutionnaire à l’époque. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/Archives)

Deux ans avant que le terme ‘fintech’ ne se généralise, Raoul Mulheims (Finologee) avait lancé Digicash, solution révolutionnaire à l’époque. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne/Archives)

Dix ans après les débuts de Digicash, un de ses fondateurs, Raoul Mulheims, revient sur cinq idées préconçues régulièrement mises en avant à cette période. 2012-2022, deux époques, deux versions.

«Parfois, il faut un peu bousculer les banques.» Dix ans après avoir justement commencé à les bousculer gentiment avec Digicash, le 15 novembre 2012, , aujourd’hui CEO de Finologee, revient sur les prédictions les plus entendues à l’époque et ce qu’elles sont réellement devenues. Et ouvre le champ du futur.

«Les banques vont disparaître»

Raoul Mulheims: «Le terme 'fintech' est apparu en 2014. À l'époque se tenaient les premières conférences et les premières discussions sur l'avenir des banques, pas capables de se réinventer, trop méfiantes par rapport à la technologie... Beaucoup de 'bank bashing'. Certains se faisaient plaisir, surtout les anciens banquiers... On disait que les Big Tech allaient les reprendre, peut-être en sous-estimant que les Big Tech ne se sont intéressés qu’aux parties soit qui font du sens pour leur business de base, soit hautement rentables. Apple Pay utilise sa position sur le marché grâce aux appareils et oblige les banques à lui céder une partie de ce qu’elles touchent pour les paiements par carte de crédit. D’autres domaines, comme le crédit, qui est le fondement de la banque, n’ont pas été touchés. Il y a bien le “buy now pay later” mais pour le reste ni les Big Tech ni les fintech n’y sont allés parce que cela sous-entend des procédures plus complexes, des analyses de risque, etc. On ne voit pas non plus tellement de nouveaux produits lancés par des banques, mais une digitalisation massive, oui. Des coopérations comme la carte Apple aux États-Unis avec Goldman Sachs, des choses comme ça. Les banquiers ont compris qu’il fallait proposer une expérience utilisateur, des interfaces, au goût du jour. C’est surtout là que cela s’est accéléré. Le covid a aussi aidé à faire changer les mentalités, dans les banques, sur les process digitaux, aussi bien pour les consommateurs, qui ne sont plus à l’aise de passer à leur banque pour des rendez-vous plus personnalisés ou détaillés, que pour les banquiers, qui ont digitalisé les canaux. De plus en plus, la pression des coûts et la pression règlementaire pour réduire l’erreur humaine accélèrent la transformation en back-office.

«Le paiement mobile remplacera les cartes bancaires»

R.M. – «Le paiement par carte se compose de deux éléments: le token ou outil d’identification, sur le point de vente ou ailleurs, pour dire que c’est bien moi qui veux opérer la transaction; et le réseau d’échange financier. Il y a eu des avancées sur les deux niveaux. Exemple, Digicash d’un côté, qui se substitue complètement à un paiement par carte parce qu’il utilise un nouveau token pour déclencher le paiement, que de l’autre côté, un nouveau canal – ancien canal en réalité le virement, alternatif à la carte bancaire – opère. Il y a eu les évolutions comme Apple Pay, qui remplace le token carte pour mettre cet élément sur votre smartphone sur l’élément sécurisé et qui continue d’utiliser le réseau de cartes et d’acceptation de cartes. Là aussi, quelle est la difficulté pour aller dans une ou dans l’autre direction, faire évoluer les mœurs et changer l’organisation qui existe? Évidemment, c’est beaucoup plus facile de faire évoluer le token que de dire qu’on passe sur une autre marque de système d’acceptation des paiements par carte.

«Le paiement mobile va être rapidement adopté»

R.M. – «Il y a des commerçants, surtout dans l’e-commerce, qui se disent que plus ils proposent de moyens de paiements, plus ils auront de paiements. Comme l’effort technologique, surtout pour l’e-commerce, n’est pas très élevé, surtout avec le développement des agrégateurs de moyens de paiements, ils y vont facilement. Un des grands acteurs de la grande distribution au Luxembourg me disait qu’il n’était pas là pour favoriser un moyen de paiements au détriment d’un autre, mais pour surfer sur les marchés et les tendances. Mais pour autant… il attendait au moins que deux ou trois banques soient émettrices de cette solution, et que la solution amène un minimum de paiements. En 2012, Cora avait accepté dès le départ de faire partie de l’aventure Digicash. L’affect du consommateur ne joue pas vraiment. Pour lui, c’est une innovation technologique facile à adopter. Le commerçant va adopter non seulement les moyens de paiement, mais aussi les facilités de paiement qui vont avec! Vendre plus sera toujours le critère de référence du commerçant.

«Le smartphone doit avoir une valeur ajoutée suffisante pour être adopté»

R.M. – «À l’époque, on disait déjà qu’on avait un ordinateur très puissant dans la poche avec lequel on pouvait faire plein de choses. Le désavantage est qu’il y a différentes couches de contrôles depuis l’appareil: le constructeur, l’opérateur mobile, l’émetteur d’une carte ou d’un moyen de paiement et l’acceptation du côté du commerçant. Autant d’acteurs qui peuvent nuire à l’expérience utilisateur. Si aujourd’hui, il faut passer son smartphone sur le côté et vérifier que c’est bien vous pour délocker le téléphone, c’est que ce sont des terminaux de Wordline, qui ont remporté plein de prix de design mais qui ont été conçus à une époque où on n’utilisait pas le smartphone pour payer… Le téléphone pour l’authentification avec la reconnaissance faciale n’a pas été conçu pour le moment du paiement. À terme, et prenez l’expérience des paiements de factures, elle est très puissante avec un QR code. Puissante en reconnaissance, en rapidité et en exécution… Il faut travailler sur les détails. Plus vous contrôlez de la chaîne, mieux c’est. C’était le but avec Digicash: tenter d’influer sur tout ce qu’on pouvait, expérience de la banque, expérience du commerçant, ce qu’on ne pouvait pas forcément toujours faire, d’où l’intérêt d’utiliser les smartphones. À l’époque, on ne pouvait pas utiliser la puce NFC, Apple s’y opposait! Aujourd’hui, c’est partiellement possible, mais nous avons dû passer des QR codes quand même alors qu’on savait que l’expérience ne serait pas meilleure qu’avec une carte ou qu’avec Apple Pay. Avec des géants comme Apple ou Google, vous n’avez pas toujours la main. D’où la difficulté d’apprécier l’expérience utilisateur. Est-ce qu’elle sera suffisante pour convaincre? Pour convaincre le consommateur et le commerçant? On disait qu’il fallait qu’elle soit au moins trois fois meilleure que toute autre expérience pour avoir un effet de masse. Parfois l’expérience n’est pas forcément meilleure, mais les consommateurs – s’ils en disposent parce qu’ils l’utilisent dans différents contextes – peuvent très bien l’accepter. Si votre expérience n’est pas nettement meilleure que les autres, vous aurez beaucoup plus de mal à percer.

«Les wallets remplaceront les comptes bancaires»

R.M. – «Aujourd’hui, on a ajouté plein d’usages supplémentaires au mot “wallet” par rapport à l’époque mais avec un point commun: maintenir une valeur d’un compte bancaire. Toute autre approche – que ce soit FlashIZ ou Satispay pour les paiements ou que ce soit dans les cryptos, les NFT ou d’autres security tokens – est hors du cadre bancaire. L’alimentation d’un wallet à partir d’un compte bancaire depuis 2012 est devenu quelque chose de plus facile. Il y a les prélèvements automatisés, comme la néobanque Revolut. Quand vous regardez ce qu’ils acceptent pour alimenter votre compte! Ils paient même les frais de carte de crédit quand vous voulez mettre 100 euros dessus. Avec les paiements instantanés, vous pouvez déclencher et la PSD2 et une alimentation de wallet plus facilement qu’à l’époque où ça prenait un ou deux jours jusqu’à ce que ce soit crédité. Si c’était par carte de crédit, les frais étaient exorbitants, donc il fallait vraiment sponsoriser ou subventionner les modèles qui se lançaient là-dedans… Nous nous sommes demandé à l’époque combien de problèmes nous pouvions résoudre, combien de batailles nous pouvions mener en même temps? Il faudra établir une nouvelle marque de moyen de paiement, relever le défi technique, le défi règlementaire et tenter de contrôler le compte – partir dans une logique de monnaie électronique, donc de wallet – parce que vous allez avoir beaucoup de difficultés à trouver des banques partenaires qui vous laissent toucher aux comptes. Et ils n’avaient pas tort. Mais nous sommes tombés sur une banque qui avait un appétit certain, la Spuerkeess, parce qu’elle pouvait se placer dans une logique “pourquoi ne pas déclencher le paiement à partir du compte?” Après, nous avons fait nos calculs, nous avons regardé ce que cela nous coûterait, combien d’investissement il faudrait y consacrer et combien de défis on relèverait en même temps. Il ne fallait pas oublier le commerçant. Nous avons renoncé à ce contrôle du compte pour nous reposer sur les banques partenaires, pour qu’elles assurent la promotion et qu’elles soient le gage de la sécurité et de la confiance du consommateur. Les wallets, dans des contextes différents, peuvent faire sens mais ça n’est pas toujours le cas.

De quoi parlera-t-on en 2032?

R.M. – «Je parie sur une identité générique qui vous permettra de faire des paiements et de stocker toute information nécessaire à la vérification de votre identité dans un environnement central, que ce soit pour votre identité, vos paiements ou votre permis de conduire. Ce n’est plus le smartphone. À l’inverse de ce qu’on disait il y a dix ans, le wallet ++ version 2032 sera probablement un wallet de stockage quelque part. L’identité biométrique pourra être l’appareil que vous avez sur vous et cela déclenchera presque automatiquement ou de manière complètement automatisée le paiement, le droit d’accès ou peu importe quoi.»