L’identité des individus s’étend aujourd’hui aux objets connectés, avec des conséquences à prendre en compte, relève Benoît Poletti. (Photo: Romain Gamba/archives Maison Moderne)

L’identité des individus s’étend aujourd’hui aux objets connectés, avec des conséquences à prendre en compte, relève Benoît Poletti. (Photo: Romain Gamba/archives Maison Moderne)

Pour ce troisième épisode de notre nouvelle rubrique #Guest où de «nouveaux» experts, dans des verticales très précises, apportent leur éclairage d’une problématique ou leur manière de l’aborder, Benoît Poletti partage son expertise autour de l’identité digitale.

Aujourd’hui, le défi n’est plus «l’informatisation d’un document papier», mais le niveau de confiance accordé à une identité digitale stockée dans un portefeuille numérique.

Un peu d’histoire

Lorsque nous parlons d’identité, la première chose qui vient à l’esprit est évidemment nos documents d’identité, comme le passeport, la carte d’identité ou le permis de conduire.

Une identité est pour autant bien plus que cela. Elle est au cœur de notre existence en tant qu’individu, et détermine notre appartenance, ainsi que la manière dont nous sommes perçus par le monde qui nous entoure.

Elle peut être définie comme «l’ensemble des caractéristiques qui font de nous qui nous sommes», y compris notre nom, âge, sexe, nationalité, mais aussi nos croyances et opinions.

Les passeports, une preuve d’identité courante, sont en fait des documents de voyage dont la première référence peut remonter à plusieurs milliers d’années, permettant aux individus de s’identifier, de traverser les frontières et voyager entre les pays.

Le Livre de Néhémie, datant de 450 avant Jésus-Christ, mentionne l’une des plus anciennes références au passeport. Il s’agit d’une lettre adressée par le roi Perse de l’époque aux gouverneurs de la province de Judée, autorisant Néhémie à traverser leurs territoires.

Le terme passeport a par contre ses racines au XVe siècle, combinant les mots «passe» et «port». Il ne fait pas référence aux ports maritimes, mais plutôt au document nécessaire pour passer les «portes» d’une ville médiévale. Exigeant l’identité du porteur déjà à l’époque, il fut utilisé au fil des siècles pour contrôler le vagabondage et la migration.

Ces anciennes versions du passeport étaient seulement manuscrites, souvent appuyées d’un sceau, bien différentes de nos versions contemporaines, et leur authenticité pouvait légitimement être remise en question.

C’est donc bien la notion de confiance qui est au cœur de l’identité.

L’avènement du passeport électronique et de l’identité digitale

Ce n’est qu’au début des années 2000 que de telles preuves d’identité ont commencé à être électroniques, avec les informations personnelles du propriétaire contenues sous forme numérique dans une puce électronique. Ce procédé utilise des moyens cryptographiques offrant un niveau élevé d’intégrité et d’authenticité de ces données, et permettant ainsi d’augmenter de manière significative le niveau de confiance que l’on peut accorder à ces données.

Le déploiement du passeport électronique et son utilisation au niveau mondial ont été grandement accélérés suite aux attentats du 11 septembre 2001.

Aujourd’hui, le défi n’est plus «l’informatisation d’un document papier», comme au début des années 2000, mais le niveau de confiance accordé à une identité digitale stockée dans un portefeuille numérique. Dans l’Union européenne, ce sujet est actuellement discuté sous le nom de «European Digital Identity Wallet», littéralement le «portefeuille d’identité digitale européen». L’objectif est toujours une notion de confiance: permettre aux citoyens européens de prouver l’authenticité de leur identité et documents officiels, intégralement de manière digitale, donc sans support papier.

Est-ce que le passeport électronique est pour autant amené à disparaître dans les prochaines années au profit d’un document d’identité 100% digital (sur mobile)? Non.

Ce document d’identité 100% digital doit être considéré comme un moyen supplémentaire de permettre d’établir l’identité d’un individu pour d’autres cas d’usage, tels que les contrôles de permis de conduire ou l’achat d’articles réservés aux adultes.

L’identité des individus… mais pas seulement

L’expansion de la société digitale amène aussi aujourd’hui à revoir la notion d’identité, car elle ne se limite clairement plus à celle d’un individu.

Nous parlons désormais d’identité virtuelle et d’identité des objets notamment avec l’industrie 5.0.

À l’ère de l’internet des objets, de nombreux appareils électroniques s’authentifient et communiquent entre eux, partagent des données et sont indispensables au bon fonctionnement de notre société.

Les objets nécessitent donc aussi leur identité; il est donc possible d’imaginer l’émergence d’une véritable société des objets. Qui va gérer à terme leur identité? Eux? Nous? Les objets connectés sont tout à fait capables d’agir de manière autonome. Cette évolution technologique pourrait transformer en profondeur notre façon d’interagir avec les objets qui nous entourent, et ouvrir la voie à de nouvelles applications et de nouveaux services.

Identité et cyberpunk, exploration de la frontière entre le réel et le virtuel

Le futur sera sensiblement encore plus numérisé, ouvrant la porte à des communications entre humains, entre humains et objets, ainsi qu’entre objets, sautant d’une nuance de confiance à une autre, et nécessitant de fournir des preuves d’identités à la fois physiques et/ou virtuelles.

Le lancement d’agents conversationnels utilisant l’intelligence artificielle, comme ChatGPT fin d’année 2022, marque un changement de paradigme dans l’identité digitale: de tels «agents» auront-ils dans le futur une identité à part entière imitant celles des personnes?

L’identité digitale est en constante évolution, et son importance ne cesse de croître dans une société toujours plus digitale. En élargissant encore notre définition de l’identité, nous pourrions donc imaginer des scénarios où un avatar virtuel se voit délivrer une identité officielle, garantissant à son propriétaire l’accès à des lieux ou des services exclusifs virtuels, ou même réels.

Et qui sait… peut-être que tout cela sera mélangé sans équivoque dans ce que l’on nomme «Metaverse», où la limite entre le monde réel et virtuel peine à être visible, où l’identité des avatars et de leurs propriétaires ne feront plus qu’une via un portefeuille numérique qui apportera les preuves nécessaires à tout un chacun pour évoluer dans une société digitale de confiance, sans nuance.

*Benoît Poletti est le directeur général de l’agence publique INCERT, considérée comme un centre d’expertise dans les domaines de la cybersécurité et digitalisation. Cette agence gère des infrastructures informatiques critiques nationales et internationales, ainsi que le développement de solutions utilisées dans le cadre de la gestion d’identité et de la cryptographie. Benoit Poletti représente aussi le Luxembourg auprès d’instances européennes et internationales telles que des agences de l’ONU. Il intervient par ailleurs à l’international pour répondre aux problématiques de gouvernance cybersécurité et digitale de pays émergents.