Petit tour d’horizon des discrets de la Place. (Visuel: Maison Moderne)

Petit tour d’horizon des discrets de la Place. (Visuel: Maison Moderne)

Pour tous les professionnels de la place financière, qu’ils soient médiatiques ou non, les contraintes réglementaires et les ressources humaines restent le principal souci. Face à cela, ils comptent sur la digitalisation, l’IA, une relation client de haut niveau. Et un bon degré d’expérience et de pragmatisme.

La place financière, c’était, à la fin de l’année 2023, 59.352 personnes employées. Dont 30.237 dans les banques, 12.743 dans le secteur des fonds, 14.968 dans les PSF et 1.404 dans les institutions de paiements. Un chiffre en augmentation constante. Moins forte que dans le début des années 2000, mais en progression quand même. En 2023, la place financière aura créé un solde net de 312 emplois. Sans compter les emplois induits directement créés dans les institutions de support comme les cabinets d’audit ou les avocats, pour ne citer que les plus visibles. Selon une étude conjointe de Luxembourg for Finance et Deloitte, la place financière, directement et indirectement, représente 30% de l’emploi national. La place financière, c’est des métiers phares – comme les gestionnaires d’actifs – et des métiers qui attirent moins la lumière – comme les gestionnaires de risques. C’est aussi des «stars», comme les CEO des grandes institutions ou les membres dirigeants des associations professionnelles. Et beaucoup d’anonymes. Et parler d’anonymat n’implique pas que ces gens soient moins importants dans l’écosystème. Certains sont simplement plus discrets que d’autres.

Question de nature. Citons , nommée en juin 2022 directrice de l’Institut de la Banque européenne d’investissement – un catalyseur pour les activités existantes de la BEI dans les domaines sociaux, artistiques et éducatifs –, la première femme à accéder à ce poste. Citons l’avocat d’affaires René Faltz, citons Laurent Lafond, cofondateur et chief development officer de LLC Real Estate, ou encore le directeur de la Compagnie financière de gestion, Sam Reckinger. Des personnes influentes, mais discrètes. Tout comme l’actuel directeur général de Luxempart, .

Le poids de l’expérience

Quelles sont les qualités essentielles pour faire son chemin dans le secteur financier au Luxembourg? Il y en a une qui n’est pas innée, mais acquise avec le temps: l’expérience. Et de l’expérience, on en trouve beaucoup sur la Place, notamment grâce à un vivier d’administrateurs indépendants toujours prêts à partager leurs acquis. Un vivier fortement abondé par les grandes firmes d’audit où les carrières sont courtes. Passé un certain âge – qui ferait pâlir d’envie tout bon syndicaliste –, les managing partners et les membres des comités exécutifs sont incités à tourner la page. Cela a été le cas de Maurice Lam (68 ans) qui est entré chez Deloitte en 1979, d’abord au Royaume-Uni avant de rapidement rejoindre le Luxembourg. Deloitte Luxembourg, où il occupera de 2000 à 2010 la fonction de managing partner. Depuis, il est devenu administrateur indépendant et exerce auprès de la Bil, de Bank Of China (Europe) et d’International Airlines Group, société cotée à Londres. Selon lui, les qualités indispensables pour exercer ses fonctions sont «le bon sens, la résilience et savoir poser les bonnes questions». Des atouts essentiels afin d’anticiper face aux défis de demain qui, selon lui, sont de «pouvoir suivre l’évolution des réglementations et des technologies».

Le sens de l’écoute

Tom Lessel (58 ans) est deputy head of corporate and head of real estate au sein de la Banque internationale à Luxembourg. Une entreprise à laquelle il est fidèle depuis 27 ans. Les qualités indispensables à l’exercice de sa fonction ? «Il faut toujours être à l’écoute des clients et essayer de satisfaire au mieux leurs besoins tout en défendant les intérêts de la banque!» Indispensable pour «réussir à développer et surtout maintenir, au cours des années, une relation de confiance avec de nombreux clients». Le contact direct, la clé pour relever les défis de demain – les mêmes que ceux relevés par Maurice Lam: «Les contraintes réglementaires, les charges administratives en hausse, la digitalisation et la standardisation croissante.»

Les défis réglementaires

S’il y a un point qui fait l’unanimité des acteurs de la Place, c’est le poids croissant que prend la réglementation. «La complexité croissante des lois et des réglementations représente un défi important pour les professionnels du secteur financier au Luxembourg. Les acteurs du marché doivent être au fait des développements en matière d’éthique des marchés et de lutte contre le blanchiment d’argent. Les conseils d’administration devront s’adapter aux tendances émergentes telles que la diversité et la numérisation», analyse l’associée chez Origo Consulting et administratrice indépendante (41 ans). «Les qualités essentielles requises pour mon rôle sont une connaissance approfondie des lois et réglementations, la capacité de comprendre les questions financières et opérationnelles, la sensibilité culturelle et des compétences interpersonnelles efficaces», poursuit-elle. Une des clés du succès, c’est la qualité de son réseau. «Lorsque je suis arrivée au Luxembourg en 2008, je ne connaissais personne. Au fil des ans, j’ai établi un solide réseau, ce qui est très important dans la carrière d’un administrateur indépendant. Parmi les étapes importantes, j’ai obtenu mon diplôme de l’Insead, j’ai été nommée au conseil d’administration de l’Institut luxembourgeois des administrateurs (ILA) et, plus récemment, j’ai rejoint les CA des fonds de la Deutsche Bank Investment Partners.»

Des compétences techniques, mais pas que…

Associé depuis 2023 au sein du cabinet Loyens & Loeff qu’il a rejoint en 2010, (41 ans) met en avant «une expertise juridique solide conjuguée à une très bonne connaissance du secteur immobilier, la capacité à s’adapter à des contextes différents et souvent complexes, une capacité à travailler en équipe, des compétences de négociation efficaces, un sens du pragmatisme développé et une certaine connaissance du fonctionnement humain» comme les qualités indispensables à l’exercice de ses fonctions. «Le secteur immobilier évolue sans cesse et la crise actuelle du marché démontre l’importance de la diversification nécessaire du métier d’avocat tant en termes de domaines juridiques (droit civil, droit administratif, droit financier…) que du type de missions (transactions, développement de projets, asset management, restructuration)», poursuit-il.

Également avocat associé chez Baker McKenzie Luxembourg depuis 2017 – et inscrit au Barreau de Luxembourg depuis 2000 –, (48 ans) voit comme défis principaux à relever dans les prochaines années «l’intégration de l’IA de la manière la plus efficace et adéquate dans notre quotidien professionnel, ce qui sera un atout-clé. Il faudra également veiller à continuer à donner du sens à notre action et à notre travail, ce besoin de sens étant devenu aujourd’hui une valeur cardinale pour beaucoup. Évidemment, tout ceci devra se faire en continuant les efforts pour le climat et l’environnement.» Outre les qualités techniques, il insiste sur l’importance des qualités managériales dans son quotidien. «Si je ne devais en citer que cinq, je crois que les plus essentielles sont: une grande capacité analytique afin de toujours trouver la solution la plus adaptée, la rigueur, l’intelligence relationnelle, l’engagement et la bienveillance.»

Le sens du commerce

L’avocate associée chez Arendt & Medernach (40 ans) évoque également, outre «la vision et la connaissance du marché», la nécessité pour le professionnel de «développer son activité commercialement» et, «avant tout, de savoir gérer et former des équipes de jeunes avocats qui prendront la relève en temps utile». Pour elle, les ressources humaines sont le nerf de la guerre. «En tant qu’avocats, nous sommes avant tout au service de nos clients pour les assister au mieux. Nous sommes dans une compétition permanente pour attirer et – plus important encore – retenir les meilleurs profils, ce qui représente un des plus grands défis pour les prochaines années pour nous, mais plus généralement pour la place financière. Il faut prendre des mesures attrayantes le plus rapidement possible pour permettre à la Place de rester compétitive.» La gestion des ressources humaines, c’est le quotidien de la COO/chief of staff chez DLA Piper Luxembourg Axelle Ferey (54 ans). Un poste qu’elle occupe depuis 2020.

La place de l’IA

Elle voit trois défis majeurs à relever pour les organisations: un défi technologique – l’intégration et l’utilisation de l’IA: «Utiliser la technologie comme un outil d’intelligence augmentée (augmented intelligence) nécessitera un important investissement dans la formation des équipes et une modification des façons de travailler en profondeur» –, un défi humain – «celui de la capacité à accompagner nos équipes à embrasser le changement sans crainte, mais également à intégrer de nouveaux profils présentant des compétences et une façon d’être différentes, telle que des data scientists par exemple » – et un défi économique et financier – «dans la mesure où nos activités s’exerceront dans des environnements de moindre croissance que sur les décennies précédentes, du moins pour les pays développés, nécessitant de porter une attention plus marquée encore que par le passé aux problématiques d’efficience opérationnelle et de maîtrise des coûts».

À la question des qualités nécessaires pour relever de tels challenges, elle met en avant le fait d’être «agile, dans l’énergie calme et le mouvement maîtrisé, de disposer d’une vision claire et clairement communiquée, de réelles qualités d’écoute, d’anticipation et d’émulation permettant d’agir en tant que trusted advisor d’une équipe dirigeante, mais également d’un haut degré de professionnalisme et d’empowerment des équipes opérationnelles afin de permettre à chacun de donner le meilleur de soi-même en vue de la réalisation d’un projet commun».

Pour le CEO d’Axiomatic, Georges Zahlen (37 ans), l’agilité est une qualité cardinale. «Nous nous retrouvons dans un environnement de polycrise avec un haut degré de complexité et une compétitivité accrue. Il faut donc travailler constamment pour avoir l’agilité et la résilience nécessaires – tant au niveau personnel que de l’entreprise – pour pouvoir naviguer à ce rythme de changement accéléré. La surcharge réglementaire et administrative et son impact sur la compétitivité de l’Europe n’aident pas à améliorer la situation.» Pour lui, les qualités indispensables à l’exercice de la fonction de CEO sont «la persévérance, le pragmatisme, la créativité, de l’empathie humaine et un fort degré d’optimisme».

Banques chinoises: des dirigeants discrets

Au Luxembourg, les banques chinoises cultivent la discrétion. Si leurs dirigeants font profil bas, certains ont davantage de visibilité que d’autres.

Directeur général de la succursale luxembourgeoise de Bank of China depuis 2020, Xu Haifeng a présidé la Chambre de commerce de Chine auprès de l’UE. Il a également été membre du conseil de l’Association des banques et banquiers, Luxembourg (ABBL). «Sa réputation de leader industriel, spécialisé en commerce, investissement et coopération économique, est fermement établie en Asie et en Europe au sein de la communauté financière», lit-on sur son profil LinkedIn. 

Qui dirige les autres banques chinoises? Chez China Merchants Bank, Xue Fei est l’actuel directeur général de la succursale luxembourgeoise et de la filiale CMB Europe SA. Et chez China Everbright Bank, la dernière banque chinoise à s’être implantée dans le pays (2017), Dong Wang dirige la succursale locale et préside la filiale CEB Europe SA.

Au moment du bouclage du magazine, les quatre autres banques chinoises (ICBC, China Construction Bank, Agricultural Bank of China et Bank of Communications) n’avaient pas confirmé que les informations dont dispose Paperjam sont à jour concernant le management local.

Affaires de familles

À l’image, dans l’immobilier, du Groupe Feltes, dirigé par Marc et Nadine Feltes, les réussites familiales sont légion.

CEO du grossiste Grosbusch, en est une autre incarnation. «Le défi est de positionner l’entreprise pour une croissance durable et un succès à long terme dans un environnement commercial en évolution constante», indique-t-il.

«La direction d’un groupe aux activités diversifiées se caractérise par un soin permanent d’alignement des ambitions personnelles, des collaborations internes et externes et des objectifs communs», souligne , administrateur délégué de Prefalux Group, créé en 1972. Il évolue en tandem avec son frère , CEO.

«Je suis particulièrement fier de pouvoir perpétuer l’héritage familial en reprenant l’entreprise qui existe depuis plus de 130 ans, ce qui représente une grande responsabilité», souligne Pablo Moitzheim, le gérant éponyme, depuis 2018, de quatre magasins d’optique.

«Ce qui me remplit de fierté, c’est d’avoir uni nos forces, mon frère Jean-Marie et moi, autour d’une vision commune pour notre entreprise familiale», se félicite le directeur de la boucherie-traiteur Niessen, n.

Gérant depuis 2021 de la Schreinerei Vincent Messerich, Olivier Messerich a pris la suite de son père au côté de son frère Steve: «Cette transition marque non seulement une nouvelle ère pour notre entreprise, mais aussi la continuité d’une tradi-tion familiale établie depuis quatre générations», se réjouit-il.