Qu’avez-vous ressenti en voyant les images de l’arrestation de George Floyd?
Monica Semedo. – «J’ai été choquée et très touchée. La violence policière aux USA, on sait qu’elle existe, mais on espère en même temps que cela va s’améliorer, qu’on ne verra plus jamais cela. On craint aussi toujours que cela ne survienne vers nous. La police est là pour défendre tout le monde, mais il y a tout de même eu des cas récents de débordements en France, en Belgique, aux Pays-Bas…
L’Europe est bâtie sur des valeurs – l’égalité, la liberté, la sécurité… – dont il faut faire la promotion.
Les discriminations seront-elles encore une réalité durant de longues années en Europe?
«Il ne faut jamais détourner le regard de ce qui se passe, et, oui, certaines discriminations sont une réalité en Europe. Mais l’Europe est bâtie sur des valeurs – l’égalité, la liberté, la sécurité… – dont il faut faire la promotion. C’est pour cela que j’ai rédigé, avec deux autres députées, une lettre à Ursula von der Leyen, lui demandant de faire, au nom de la Commission, une déclaration claire contre le racisme. 118 autres députés ont signé cette lettre.
On sent l’Europe mal à l’aise sur le sujet…
«Une chose est effarante: cela fait 11 ans que la directive anti-discrimination est au point mort. Proposée en 2008 par la Commission, elle a été adoptée en 2009 par le Parlement. Depuis lors, c’est le blocage au niveau du Conseil européen. Je pense qu’il est temps de trouver un moyen de faire pression sur les États membres pour enfin avancer. Il faut que cette directive sorte du tiroir dans lequel elle se trouve, et la présidente de la Commission veut cela aussi. J’ai apprécié cette attitude. Le temps est venu d’aller de l’avant.
Mais ce ne sera pas simple…
«Hélas. Il faut un vote à l’unanimité. La directive veut interdire toute discrimination fondée sur l’âge, le handicap, la religion ou les convictions et orientations sexuelles. On sait que certains pays ne sont pas d’accord avec cela.
Vous avez vous-même connu le racisme et la discrimination?
«Oui, et j’en ai des souvenirs précis. Notamment des remarques de parents envers leurs enfants qui posaient des questions sur moi dans un parc, j’étais alors adolescente. À table aussi, avec la famille d’un ami, des remarques ont fusé sur les étrangers, puis on m’a dit que, moi, je n’étais pas concernée, que j’étais une exception. Généraliser, puis vous dire que vous êtes une exception, je trouve cela scandaleux. En tant que journaliste aussi j’ai connu des contrôles dans les aéroports plus longs pour moi, alors que mon cameraman passait sans problème, et que nous étions ensemble.
À une occasion, j’ai eu des craintes pour ma vie.
Avez-vous déjà eu peur?
«Je prône toujours le dialogue… Mais, oui, j’ai une fois eu très peur. C’était lors d’un concert d’un cover band dans la Moselle. J’ai senti que les choses ne se passaient pas normalement. J’ai été entourée par une quarantaine d’hommes. J’ai voulu discuter, mais l’un d’eux m’a montré un tatouage raciste sur son bras… Là, ce n’était plus possible. Avec mon amie, on a réussi à prendre la fuite. Mais j’ai eu des craintes pour ma vie.
Vous vous sentez bien au Luxembourg?
«Oui! C’est mon pays! La diversité y est une réalité, tout le monde peut y avoir sa chance. Je crois aussi beaucoup en l’éducation, et j’ai eu la chance de croiser le chemin de gens formidables tout au long de mon parcours. Notamment mon institutrice de troisième primaire, très engagée, qui avait une classe avec deux tiers d’enfants issus de la migration. J’avais huit ans, et elle nous avait fait écrire un texte sur nous. J’avais commencé avec ‘Je suis Monica Semedo. J’ai une jolie peau noire…’ J’avais aussi écrit que mon institutrice avait ri quand j’avais dit que nous étions tous des Luxembourgeois. Mais elle avait noté en dessous: ‘Nous sommes tous des êtres humains’. Je lui dis merci, car c’est grâce à elle que je vis aujourd’hui comme je vis.
Vous engagez-vous personnellement pour plus de tolérance?
«Ceux qui me connaissent peuvent témoigner de mon engagement pour plus d’intégration, de tolérance, de diversité… Je défends des valeurs, je me bats pour elles. Si je peux être un exemple, tant mieux. Notamment pour l’engagement en politique, qui est une solution pour faire bouger les choses. En tout cas, le temps est venu d’agir, et celui d’être silencieux est révolu. Je le dis aux jeunes: défendez vos valeurs!»