Nicolas Schmit: «La dimension sociale de notre stratégie européenne de reprise devrait avoir une priorité: la jeunesse; un outil privilégié: la formation dans toutes ses dimensions; une méthode: le dialogue — avec les partenaires sociaux, avec les États membres.» (Photo: Matic Zorman / archives Maison Moderne)

Nicolas Schmit: «La dimension sociale de notre stratégie européenne de reprise devrait avoir une priorité: la jeunesse; un outil privilégié: la formation dans toutes ses dimensions; une méthode: le dialogue — avec les partenaires sociaux, avec les États membres.» (Photo: Matic Zorman / archives Maison Moderne)

Durant cet «été pas comme les autres», Paperjam a donné la parole à des personnalités luxembourgeoises engagées au niveau européen, afin qu’elles livrent leur analyse des défis qui attendent l’Union européenne. Suite et fin de cette série estivale avec Nicolas Schmit (LSAP), le commissaire européen à l’Emploi et aux Affaires sociales.

La crise sanitaire que nous traversons n’est pas terminée. D’un point de vue de santé publique, nous commençons seulement à envisager ses implications dans la durée. Au-delà, les conséquences économiques et sociales apparaissent d’ores et déjà absolument majeures. L’économie européenne fera face en 2020 à la pire récession de son histoire en temps de paix; le rebond en 2021 n’est pas acquis et dépendra de la suite de l’épidémie.

Dans ces conditions, l’Union a fait mentir ses détracteurs en adoptant des mesures fortes et en abandonnant sa mauvaise habitude du «too little too late». La Commission, fortement soutenue par la France et l’Allemagne, a su saisir la gravité du moment et les caractéristiques inédites de la crise, pour proposer une étape d’intégration historique suite aux conclusions du Conseil européen du 17 au 21 juillet 2020. Face à un défi commun, à une menace incontrôlable aux frontières, l’Union a décidé de mettre en œuvre de manière solidaire les ressources financières nécessaires à une réaction massive. Ce plan «Next Generation EU» représente sûrement une étape d’intégration décisive que certains ont qualifiée de «moment hamiltonien». En regard de ce «moment hamiltonien», l’Europe a besoin d’un «moment beveridgien». En effet, pour autant que nous ayons collectivement dégagé les moyens d’une réponse macroéconomique à la hauteur des enjeux, le défi des conséquences sociales de la crise reste devant nous – le Socle européen des droits sociaux devrait irriguer systématiquement le plan «Next Generation EU» et, en particulier, la Facilité pour la reprise et la résilience, qui en est la pièce maîtresse. Dans ce contexte, la lutte contre le chômage doit être une des grandes priorités.

Face au Covid, les Européens n’ont pas été égaux, loin s’en faut. Sur le plan sanitaire, le bilan de la crise reste à établir, sans même évoquer celui des possibles répliques. On connaît désormais mieux les facteurs de vulnérabilité (âge, sexe, comorbidité), mais la carte des mortalités en Europe révèle d’ores et déjà des fractures d’un tout autre ordre avec des surmortalités notables parmi les populations socialement plus vulnérables.

Sur le plan des conséquences économiques, il apparaît désormais clairement qu’un retour à la normale n’est pas envisageable à court terme pour des pans entiers de nos économies. Certains secteurs fortement pourvoyeurs de main-d’œuvre moins qualifiée (restauration, tourisme) vont probablement devoir faire face, pendant de longs mois, à un «confinement sans fin, de fait», comme le montre la saison touristique estivale, qui s’achève sur un bilan contrasté. Au-delà de ces secteurs durablement impactés, l’onde de choc du confinement et du ralentissement de l’économie mondiale se transmet progressivement à l’ensemble de nos économies avec un effet désastreux sur la solvabilité des entreprises et donc sur l’emploi. Cette situation est inédite, car les relais habituels pour assurer une reprise «riche en emplois» ne seront probablement pas disponibles, ou tout au moins pas autant qu’au cours des reprises précédentes.

Pour une génération entière de jeunes entrant sur le marché du travail, les perspectives sont donc doublement défavorables: au-delà du handicap habituel qui frappe les entrants en situation de crise, la structure de l’offre d’emploi pourrait être provisoirement déformée à leurs dépens. Cette situation risque d’hypothéquer les perspectives de croissance pour les années à venir. Dix ans après la crise financière et économique, les États européens ne peuvent accepter une nouvelle génération sacrifiée. C’est la raison pour laquelle la dimension sociale de notre stratégie européenne de reprise devrait avoir une priorité: la jeunesse; un outil privilégié: la formation dans toutes ses dimensions; une méthode: le dialogue — avec les partenaires sociaux, avec les États membres.

Une priorité: la jeunesse

Avec le lancement le 1er juillet de l’initiative de soutien à l’emploi des jeunes, Youth Employment Support (YES), ce sont au moins 22 milliards d’euros de fonds communautaires qui pourront être consacrés par les États membres à soutenir l’emploi des jeunes. En particulier, la Commission a proposé que la Garantie pour la jeunesse, mise en place en 2013, et qui a fait ses preuves, soit renforcée pour protéger les jeunes jusqu’à 29 ans, afin qu’aucun jeune ne reste dans une situation où il ou elle est durablement exclu(e) du marché du travail ou d’une offre de formation ou d’apprentissage.

Un outil: la formation dans toutes ses dimensions

Avec l’adoption le 1er juillet d’une stratégie renouvelée en matière de compétences, c’est un véritable changement de paradigme en la matière que la Commission propose de mettre en œuvre, pour renforcer en particulier l’apprentissage et l’alternance, mais également la formation continue. La crise actuelle a accéléré les transformations numériques au niveau des entreprises. En même temps, faut-il progresser dans le sens d’une économie décarbonée? L’investissement dans les compétences devient d’autant plus urgent et indispensable. Des cibles quantitatives ambitieuses ont été fixées pour mesurer les progrès accomplis. Le défi est de taille: d’après nos estimations, ce sont près 48 milliards d’euros annuels qui seraient nécessaires pour faire face au défi de formation de l’ensemble de la population active européenne au cours des prochaines années. Les nouveaux moyens financiers disponibles dans le cadre de «Next Generation EU» devront participer de façon décisive à cet effort.

Une méthode: le dialogue

Pour promouvoir et renforcer la dimension sociale dans la reconstruction de nos économies face au Covid, l’Union dispose de moyens financiers et juridiques importants, mais qui ne sont jamais exclusifs. L’efficacité de nos actions passe par une coopération étroite et un dialogue approfondi avec les autorités nationales et les partenaires sociaux pour financer et encourager les politiques publiques qui ont fait leurs preuves sur le terrain dans chaque contexte local et qui prennent pleinement en compte les besoins de réforme.

Au-delà des annonces récentes, notre action pour approfondir la dimension sociale de l’Union dans la reprise devra suivre un principe directeur: la lutte contre la montée des inégalités, qui mine l’adhésion des citoyens aux valeurs sur lesquelles le projet européen est construit. La poursuite de notre action en 2021, pour lutter contre la pauvreté des enfants, pour renforcer les droits des travailleurs de plateforme, ou pour établir un cadre en faveur de salaires minima dans toute l’Union, devra être vue dans cette perspective. Elle devra être étroitement articulée autour de «Next Generation EU» et des réformes de reprise et de résilience qui seront encouragées dans ce cadre. Nous devons nous assurer que personne ne sera laissé pour compte et que nulle part n’apparaissent des poches de relégation économique, sociale et culturelle. La réussite de la reprise et la cohésion de notre Union sont à ce prix.