Il n’est pas évident de rendre compte de la maturité numérique des PME au Luxembourg. Certaines grandes enquêtes, comme l’indice relatif à l’économie et à la société numériques (Desi) et le rapport Digital Decade, établis dans les divers pays de l’Union européenne, présentent des indicateurs de performance autour de grandes thématiques liées à la digitalisation. Ils nous informent, par exemple, du pourcentage de PME présentant au moins un niveau élémentaire d’intensité numérique, autrement dit, celles qui ont recours à au moins quatre technologies parmi celles considérées comme clés par les autorités européennes.
Au Luxembourg, 57,8% des PME (Desi 2024), soit un peu plus d’une sur deux, présentent ce «niveau élémentaire d’intensité numérique». C’est mieux qu’il y a quelques années. Le pays a en effet rattrapé la moyenne européenne (57,7%). Dans le Desi 2022, la part des entreprises ayant un niveau élémentaire d’intensité numérique était de 54% (contre 55% pour la moyenne européenne). Et si l’on va dans le détail? L’adoption des services cloud par les entreprises au Luxembourg, par exemple, progresse, pour atteindre 32,6% en 2023. En la matière, on se situe nettement en dessous de la moyenne de l’UE (38,9%). L’évolution annuelle positive de l’adoption du cloud, de 6%, est, elle aussi, légèrement en dessous de la croissance annuelle moyenne de l’UE (7%).
D’autre part, 32,4% des entreprises luxembourgeoises ont déclaré avoir recours à des approches d’analyse de données. À ce niveau aussi, le pays est moins bon que le reste de l’Europe (33,2%). Au niveau de l’IA, en 2023, l’adoption par les entreprises au Luxembourg a progressé pour atteindre 14,4%, affichant une croissance annuelle moyenne de 5,2%. Sur ce sujet, les entreprises luxembourgeoises semblent en avance, la moyenne européenne se situant à 8%. Ces résultats apparaissent toutefois encore très éloignés des ambitions européennes en matière de digitalisation. L’ambition est que ce «niveau élémentaire» soit atteint par plus de 90% des PME d’ici 2030 et que trois entreprises sur quatre utilisent des services technologiques avancés, tels que le cloud, le big data et l’intelligence artificielle. À l’heure actuelle, 52% des entreprises ont recours à ces trois technologies, ce qui est inférieur à la moyenne de l’UE (54,6%).
Tout pour digitaliser
Sur le terrain, on constate des niveaux de maturité très variables d’une entreprise à l’autre, cela dans tous les secteurs. Ces indicateurs démontrent que c’est principalement sur les enjeux d’adoption des technologies que les efforts doivent aujourd’hui porter. Car, si l’on considère les autres composantes nécessaires pour soutenir la transformation digitale de l’économie, on constate que le Luxembourg a tout pour avancer dans cette direction. En matière de déploiement des infrastructures numériques et de connectivité de pointe – le réseau fibre, le réseau 5G, les centres de données –, le Luxembourg fait figure de bon élève, loin devant les autres pays européens. Au sein de la population, les compétences digitales sont davantage acquises que dans d’autres pays européens.
Les spécialistes des technologies de l’information et de communication représentent 8% de l’emploi, ce qui est nettement supérieur à la moyenne de l’UE (4,8%). «On se rend compte qu’en matière de connectivité, de compétences, d’expertise, le Luxembourg a réuni tous les ingrédients pour permettre aux acteurs économiques, qu’il s’agisse des industriels présents sur le territoire ou des entreprises commerciales ou artisanales, d’opérer une transformation digitale de qualité», commente le senior advisor and digital community coordinator au sein de Luxinnovation, Nicolas Sanitas. «Toutefois, pour beaucoup de dirigeants d’entreprise, les concepts de transformation ou de maturité digitale semblent parfois fort éloignés de leur réalité quotidienne.»
Le Digital Innovation Hub (L-DIH-au Luxembourg), géré par Luxinnovation, joue par exemple un rôle-clé. Il se positionne en première ligne dans la connaissance des avancées en matière de digitalisation des entreprises industrielles. Grâce à son service d’évaluation de la maturité digitale, il permet aux entreprises d’identifier leurs forces et faiblesses et d’élaborer des stratégies adaptées pour accélérer leur transformation digitale. Les nombreux efforts consentis par le ministère de l’Économie, les fédérations et les chambres professionnelles pour inciter les PME à se digitaliser n’ont pas porté leurs fruits.
«Les dirigeants ont conscience de l’importance des technologies au service de leur développement. Ils savent qu’il s’agit d’un levier essentiel d’amélioration de la compétitivité, de leur productivité», poursuit le SME performance advisor au sein de Luxinnovation, Rémi Grizard. «Beaucoup aussi prennent conscience du risque encouru à ne pas s’inscrire dans une démarche de transformation alors que leurs concurrents, eux, n’hésitent pas à investir.»
Inspirer, s’inscrire dans le concret
«Il est important de comprendre ces freins, pour mieux envisager comment les dépasser», commente Nicolas Sanitas. «Le principal défi est de parvenir à montrer à l’entreprise ce que cela peut concrètement lui apporter, à travers des exemples, des études de cas. On ne peut pas prôner le digital à marche forcée, en appliquant les mêmes approches partout. Il n’y a pas deux cas identiques. Il est dès lors important pour le dirigeant de s’arrêter un moment, de profiter d’un regard extérieur, qui peut montrer ce qu’il est possible de faire, indiquer la manière dont d’autres entreprises ont pu tirer avantage de la technologie. Il s’agit d’inspirer, d’accompagner, de guider. Au final, il faut que le dirigeant s’y retrouve.»
Si le concept d’IA fait beaucoup parler de lui et présente un potentiel de transformation conséquent, la technologie ne sera mise en œuvre que si le dirigeant comprend ce qu’elle peut lui apporter. Des solutions plus élémentaires, loin des derniers buzzwords, doivent permettre à chaque entreprise d’engranger aisément des gains de productivité ou d’évoluer plus efficacement au sein de leur marché.
«Le concept de transformation digitale couvre énormément de domaines. La mise en place d’un logiciel de gestion intégré, par exemple, doit faciliter le suivi des projets, de l’établissement d’une offre à sa facturation, évitant par exemple de devoir réencoder à de multiples reprises la même donnée. On peut de cette manière gagner un temps précieux et accéder à des indicateurs de performance facilitant le pilotage de l’entreprise», poursuit Rémi Grizard. «Nous pourrions aussi évoquer les avantages de la mise en œuvre d’une approche de marketing digital, pour attirer davantage de clients ou réduire ses coûts d’acquisition. Au-delà, l’IA peut contribuer à l’automatisation de nombreux processus. Mais il faut trouver les bons cas d’usage, pour permettre à l’entreprise d’engranger des gains.» Tout au long de l’année, le L-DIH organise des webinaires qui mettent en lumière les expertises luxembourgeoises dans ce domaine et aident à sensibiliser les dirigeants aux opportunités qu’offre la transformation digitale.
Fixer des priorités
Face à toutes ces possibilités, bien appréhender sa transformation digitale implique de fixer des priorités. Pour aider les dirigeants à s’engager et à tirer parti du numérique, des programmes d’accompagnement soutenus financièrement par l’État sont proposés.
C’est le cas de Fit 4 Digital. À travers lui, la PME accède à un conseiller, qui va pouvoir évaluer la maturité digitale de l’entreprise, pour mieux l’orienter dans sa démarche. Le managing partner de la société Vecter, Thomas Bilocq, est depuis plusieurs années consultant en digitalisation des entreprises certifié dans le cadre du programme Fit 4 Digital.
«Au sein des PME, les dirigeants et les collaborateurs sont dans l’opérationnel. Ils ne disposent souvent pas du temps ou du recul nécessaire pour envisager les possibilités offertes par le numérique. C’est aujourd’hui le plus grand frein à la digitalisation», commente le consultant. «Dans un contexte économique difficile, ils ont de nombreux défis à relever. Le numérique, en l’occurrence, doit leur permettre, si ce n’est pas de faire plus, au moins de faire mieux. Autrement dit, il s’agit de mettre en place des solutions qui contribuent à l’efficacité de l’entreprise, à améliorer les résultats sans forcément mobiliser plus de moyens ou d’efforts. L’autre grand volet concerne le renforcement de la visibilité des acteurs en ligne, pour aller chercher de nouveaux clients. Souvent, l’investissement consenti est rapidement rentabilisé.»
Le principal défi est de parvenir à montrer à l’entreprise ce que cela peut concrètement lui apporter.
Dynamique vertueuse
Dans le cadre d’un accompagnement Fit 4 Digital, le conseiller va prendre le temps, avec un dirigeant et ses équipes, de comprendre l’activité de la PME, ses processus, d’identifier les points de friction au niveau de ceux-ci. «En deux jours, le plus souvent, on peut remettre à plat les éléments afin de mieux se projeter. Au départ des éléments identifiés, des enjeux de l’entreprise, il est alors possible de proposer des solutions et de planifier leur mise en œuvre afin de permettre à l’activité d’avancer plus efficacement», poursuit Thomas Bilocq. «Au-delà de l’identification des solutions, de leur intégration au sein de l’environnement de l’entreprise, il est aussi important de veiller à l’accompagnement du changement, en adaptant les processus et en s’assurant que tout le monde s’inscrive dans cette démarche de transformation.»
Une fois lancée, la dynamique conduit souvent à la mise en place de projets successifs, dans une démarche d’amélioration continue. C’est ainsi que les entreprises élèveront progressivement leur maturité numérique et gagneront en performance.
33%
Un rapport d’analyse de l’Observatoire de l’entrepreneuriat intitulé La transformation digitale des PME au Luxembourg (2022), présenté par la Chambre de commerceet l’Université du Luxembourg, révèle que la «transformation digitale» constitue «une priorité majeure» pour 33% des entreprises et «une priorité normale» pour 40% d’entre elles. Pour 15% des acteurs, elle n’est toujours pas considérée comme une priorité.
Mesurer l’«intensité numérique»
L’indice d’intensité numérique (DII) est une mesure statistique développée par Eurostat pour évaluer le niveau d’adoption du numérique au sein des entreprises de l’Union européenne. Il classe les entreprises en fonction de leur utilisation des principales technologies numériques selon divers critères. Les critères et technologies concernés sont les suivants:
Parmi ces critères, on retrouve:
- l’utilisation des médias sociaux;
- l’utilisation d’un site web;
- l’utilisation des services de cloud computing;
- l’emploi de spécialistes en TIC;
- le recours à un ERP;
- le développement du commerce en ligne;
- l’utilisation de l’IA;
- l’analyse des big data;
- le déploiement d’un logiciel de gestion de la relation client (CRM);
- l’intégration d’outils et de technologies numériques avancées.
Un niveau élémentaire d’intensité numérique implique le recours à quatre de ces technologies. La volonté est notamment de soutenir l’usage du cloud, de l’analyse des données et de l’intelligence artificielle.
Les raisons pour passer le cap
Les raisons de s’engager dans un processus de transformation digitale sont nombreuses. Toutefois, pour plus de 60% des entreprises, c’est l’amélioration de l’organisation et des méthodes de travail (collaboration, télétravail, amélioration des processus…) qui demeure la principale motivation des entreprises.
La réduction des coûts (pour une entreprise sur deux), le renforcement de sa visibilité sur le marché et l’acquisition de nouveaux clients (pour 50%), l’amélioration de la connaissance du client (+/- 45%), l’amélioration de la communication et la gestion des connaissances internes (+/- 25%), le développement de nouveaux services (un peu plus de 20%) sont aussi cités comme des raisons de se digitaliser. Il est aussi intéressant de préciser que le développement durable semble être un élément qui prend de l’ampleur parmi les raisons d’opérer une transformation digitale, puisque 15,58% des entreprises l’évoquent.
Si les raisons de s’engager sur cette voie semblent évidentes, il y a lieu de se demander quels sont les principaux freins à la transformation des PME. Si l’on écoute les dirigeants, ceux qui sont le plus souvent évoqués sont: les coûts, la complexité, l’incompatibilité des processus, le manque de compétences, la sécurité et la réglementation, la gestion du changement…
Cet article a été rédigé pour le supplément de l’édition de parue le 11 décembre. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. .
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