Les administrations fiscales développent l’automatisation de la collecte, le stockage et la vérification des données des contribuables, afin de mieux cibler les contrôles fiscaux, de traiter le volume croissant d’informations plus rapidement et d’utiliser le Big Data comme outil de gestion.

En 2020, les administrations fiscales luxembourgeoises, dont l’Administration des Contributions Directes (ACD) et l’Administration des Domaines de l’Enregistrement et de la TVA (AEDT), employaient plus d’un millier d’agents pour traiter les plus de 700.000 déclarations et dossiers physiques, représentant plus de 14 milliards d’euros de recettes d’impôts directs et indirects dans cette année. Ces nombres ont encore crû en 2021.

 Afin de maximiser l’utilisation des ressources des administrations fiscales, plusieurs initiatives ont été prises. L’ACD a lancé un appel d’offres fin 2020 pour la mise en place d’une plateforme de gestion des risques. Aujourd’hui, les contrôles sont effectués en partie manuellement. Les systèmes construits en silos ne permettent que dans une certaine mesure l’échange et le croisement de données. Demain, la plateforme permettra à l’ACD de cibler les situations où un risque a été identifié. Les données seront collectées auprès de plusieurs sources d’informations dont les formulaires de déclarations fiscales électroniques ainsi que les comptes annuels déposés au registre du commerce. Le champ des données collectées et analysées sera étendu au fur et à mesure de l’avancée du projet et de l’utilisation de la plateforme par l’ACD. À plus long terme, il est prévu la mise en place d’outils basés sur l’intelligence artificielle qui permettront d’anticiper les situations à risques. Les contrôles seront donc plus rapides, plus précis et plus efficaces.

À plus long terme, il est prévu la mise en place d’outils basés sur l’intelligence artificielle qui permettront d’anticiper les situations à risques. Les contrôles seront donc plus rapides, plus précis et plus efficaces.
Frederic Wersand

Frederic WersandPartner, Tax Transformation and Indirect Taxes leaderPwC

L’AEDT n’est bien sûr pas en reste et développe ses propres outils de contrôle fiscaux. Dès la fin des années 1990, elle utilise le même logiciel spécialisé que d’autres administrations fiscales étrangères, Eskort. De manière régulière, des analyses automatisées des risques sont faites, ainsi que des contrôles utilisant les Fichiers d’Audit Informatisé de l’AEDT (FAIA). Ces fichiers, regroupant la quasi-intégralité des données stockées dans les systèmes informatiques utilisés par les sociétés, sont utilisés pour vérifier des gros volumes de données et identifier des incohérences ou erreurs. Le recrutement récent de data scientists a permis à l’administration de développer un projet d’analyse du web destiné à détecter les commerces en ligne susceptibles d’être soumis à des obligations TVA. Dans le cadre de ce projet pilote, le webscrapping a permis d’identifier un nombre de commerces en ligne potentiels parmi les plus de cent mille noms de domaine sous l’extension nationale «.lu».

Un projet de loi permettant à l’AEDT d’avoir un accès sur demande ou de manière automatisée aux informations d’autres administrations est également en discussion devant la Chambre des députés. Son champ d’application est relativement large et permettra notamment de collecter des renseignements auprès de l’Adem, la CSSF, le Centre commun de la sécurité sociale, et d’autres ministères, administrations, services et établissements publics de l’État. Ces informations permettront entre autres à l’AEDT de comparer les sociétés de taille et d’activités similaires, de contrôler le parc automobile des assujettis à la TVA, de vérifier l’exacte perception de la TVA et de la taxe d’abonnement auprès des entités soumises à la surveillance de la CSSF, etc.

La TVA étant un impôt uniformisé au niveau européen, il est important de suivre les développements hors du Grand-Duché. En effet, des projets de digitalisation se multiplient au niveau des pays frontaliers, mais également au niveau de la Commission européenne. L’une des approches les plus plébiscitées actuellement concerne la collecte des données de facturation en temps réel ou «régime de facturation électronique». Cette dernière va au-delà de la simple émission de documents sur support dématérialisé. Les entreprises qui seront soumises à cette obligation devront en principe émettre leurs factures par l’intermédiaire d’une plateforme de dématérialisation auquel aura accès le client. Une fois mise en œuvre, cette méthode donnera aux administrations concernées un accès direct et en temps réel aux factures émises et reçues par les sociétés afin de faciliter et d’accélérer les contrôles. Des régimes de ce type sont en vigueur dans différents pays tels que la Hongrie, l’Italie ou encore l’Espagne et devraient être introduits bientôt dans d’autres pays, tel que la France à partir de 2024. 

L’une des approches les plus plébiscitées actuellement concerne la collecte des données de facturation en temps réel ou «régime de facturation électronique».
Frederic Wersand

Frederic WersandPartner, Tax Transformation and Indirect Taxes leaderPwC

Les économies de nos pays étant interdépendantes et les possibilités de fraude transfrontalières importantes, les administrations se doivent de coopérer afin de vérifier les traitements fiscaux retenus au-delà de leurs propres frontières. On peut citer encore les exemples des directives DAC6 et DAC7 qui imposent aux sociétés de se conformer à de nouvelles obligations de reporting, sans oublier le futur Cesop («système électronique central concernant les informations sur les paiements») qui permettra aux administrations des pays de l’Union européenne de stocker, d’agréger et de recouper des informations sur les bénéficiaires de paiements transfrontaliers qui seront communiquées par les prestataires de services de paiement. Même si la plupart de ces outils juridiques ont pour but de limiter la fraude, ils ont aussi pour objectif essentiel de permettre une meilleure coordination des États pour contrôler efficacement des groupes qui ne sont plus réellement limités par des frontières géographiques.

On peut donc observer un déploiement rapide d’outils et de ressources digitales et une collecte de données plus nombreuses dans les administrations fiscales. Le défi numéro un pour les entreprises est d’assurer leur conformité aux nouveaux types de reporting, mais également leur capacité d’identifier elles-mêmes leurs zones à risque par anticipation à un contrôle, et gérer les redressements éventuels. Lorsque les ressources qualifiées manquent, cette tâche peut en partie être déléguée à un tiers dans un modèle d’outsourcing, co-sourcing ou Managed Services.