Après une année pour le moins chahutée, la relance économique passera inévitablement par d’importants investissements dans le numérique. Il appartient au Luxembourg, s’il veut préserver son attractivité et sa compétitivité, de bien se positionner au cœur de cette économie digitale. «Dans un contexte de relance post-Covid-19, il est dès à présent essentiel de poursuivre les efforts déjà entrepris en matière de digitalisation, et ce à travers un plan ambitieux. Il doit s’établir au niveau du gouvernement et se traduire au niveau des organisations, commente , président honoraire d’ICT Luxembourg, la plateforme de coordination des associations représentant les acteurs du numérique. Nous nous inscrivons dans une course à la digitalisation, qui implique aujourd’hui des moyens conséquents à une échelle internationale.»
Stratégie publique, engagement privé
Remettre sur pied l’économie passera inévitablement par une mobilisation importante de moyens publics en faveur d’investissements stratégiques. Dans ce contexte, les États-Unis et ses géants technologiques entendent préserver leur leadership numérique. Ils sont toutefois plus que jamais challengés par l’Asie, et notamment la Chine, qui mise beaucoup sur l’intelligence artificielle.
Quelles sont les ambitions de l’Europe dans cette compétition? Le plan de relance de la Commission européenne s’affiche à la fois vert et numérique. Il prévoit notamment d’allouer 20% des 750 milliards mobilisés aux enjeux inhérents à la transformation digitale de la société. «Des actions dans ce sens doivent désormais être prises au niveau de chaque État membre. Le gouvernement doit jouer un rôle-clé, de leader conduisant la digitalisation de l’économie et de la société, en définissant des projets stratégiques en la matière, poursuit Gérard Hoffmann. On commence à voir des choses, mais on attend encore un plan clair et structuré, traduisant une vision du Luxembourg digital de demain.»
De leur côté, dans un environnement incertain, les acteurs privés se montrent prudents en matière d’investissements dans le numérique. En 2020, pour maintenir l’activité, beaucoup de projets, liés notamment à la généralisation du télétravail, à la dématérialisation des opérations, au déploiement de nouveaux canaux de communication ou de vente, ont été mis en œuvre. Les budgets 2021, surtout en Europe, semblent traduire des réticences à pousser plus loin la transformation. Or, cette frilosité pourrait coûter cher dans cette course à la digitalisation. «La pandémie a conduit essentiellement à la digitalisation du poste de travail. Cependant, les processus supportant le business n’ont pas pour autant été transformés. Or, c’est tout l’enjeu d’une démarche de transformation digitale, qui vise une refonte des processus de bout en bout, en commençant par la relation client, pour ensuite se décliner tout au long de la chaîne de valeur, commente Vincent Lekens, président d’ICT Luxembourg. Beaucoup d’entreprises ont l’impression d’avoir considérablement engagé leur transformation, que 80% du travail a été réalisé suite à la digitalisation du poste de travail. Or, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, qui correspond en réalité à 40% du processus de transformation numérique.»
Les porteurs de projet peinent à trouver des interlocuteurs susceptibles d’accompagner leur développement, ainsi que des sources de financement.
Soutenir l’innovation
La priorité, plus que jamais, doit être l’innovation. Pour beaucoup d’organisations, cependant, la réelle prise de conscience de cet enjeu doit encore s’opérer. «L’innovation s’initie au niveau des grands groupes, d’une part, qui tirent derrière eux l’ensemble de l’économie, ou émerge, d’autre part, au niveau des start-up, qui constituent des acteurs moteurs de l’économie de demain», poursuit Vincent Lekens. Malgré les efforts réalisés ces dernières années, Luxembourg pourrait encore considérablement renforcer son positionnement vis-à-vis des jeunes structures innovantes. «Les idées ne manquent pas, souligne le président d’ICT Luxembourg. Toutefois, les porteurs de projet peinent à trouver des interlocuteurs susceptibles d’accompagner leur développement, ainsi que des sources de financement.» S’il faut saluer des initiatives comme le Digital Tech Fund, qui a permis de financer quelques projets depuis sa création, l’engagement des secteurs public et privé pourrait être plus prononcé. «L’esprit start-up ne fait pas encore partie de l’ADN du pays, contrairement à des Places comme Israël, Berlin ou Londres, confirme Gérard Hoffmann. Il faut multiplier les outils, parvenir à positionner Luxembourg vis-à-vis des acteurs privés comme un champ fertile pour faire émerger de nouvelles idées.»
À côté des start-up, l’innovation peut être mise en œuvre au niveau de chaque organisation. Toutes les entreprises sont concernées. Si elles ne le font pas encore, ou pas suffisamment, c’est peut-être parce qu’elles ne se sentent pas concernées. «Innover n’est pas réservé aux grands groupes, qui ont la possibilité d’investir dans la recherche et développement afin d’obtenir des avantages compétitifs à l’échelle de leur marché, assure Vincent Lekens. Chacun, à son niveau, peut trouver des moyens de se démarquer, d’explorer de nouvelles manières de faire. Cependant, l’ensemble des structures, petites et grandes, pourraient davantage être encouragées à s’inscrire dans cette voie, grâce à la mise en œuvre d’incitants, comme des avantages fiscaux, ou encore des aides financières à l’innovation plus accessibles qu’actuellement.»
Aujourd’hui, les chemins administratifs pour obtenir des aides à l’innovation, s’ils sont maîtrisés par les grands acteurs, apparaissent encore très longs et tortueux pour de nombreuses petites structures.
Initier un mouvement global
«Si l’ambition du Luxembourg est de se présenter comme une nation propice aux acteurs du numérique, il importe que le pays devienne digital lui-même, commente Vincent Lekens. L’État et ses administrations doivent montrer l’exemple et se transformer de fond en comble. Si l’on salue la possibilité offerte de pouvoir entamer des démarches en ligne via MyGuichet.lu, il est important que, derrière, le traitement des demandes soit aussi entièrement digitalisé. Si 200 imprimantes continuent à fonctionner pour assurer manuellement le suivi des dossiers, cela n’a pas de sens.»
En montrant l’exemple, en engageant lui-même la transformation numérique, l’État luxembourgeois peut entraîner de nombreux acteurs dans son sillage. Prenons l’exemple de la facturation électronique. L’État pourrait, par exemple, garantir un paiement plus rapide pour les entreprises qui auraient digitalisé leur facturation. On ne parle pas ici d’envoyer une facture en PDF par e-mail, mais de mettre en œuvre une gestion entièrement digitalisée de l’ensemble des flux liés à une transaction commerciale, pour un traitement automatisé et un suivi plus efficient. «C’est quelque chose que nous réclamons depuis plus de 10 ans, explique , président de l’Association des professionnels de la société de l’information (Apsi). En incitant ou contraignant ses prestataires à opter pour ce mode de facturation, l’État a la possibilité d’engager un très grand nombre d’acteurs dans un processus de transformation digitale, au-delà des opérations de dématérialisation.»
La problématique des talents n’est pas neuve. Elle est pointée depuis une vingtaine d’années.
C’est un enjeu crucial. Si l’on considère le Digital Economy and Society Index de la Commission européenne, qui évalue annuellement les performances numériques des États membres, le Luxembourg accuse un réel retard en matière d’intégration des technologies au cœur des entreprises. Le Grand-Duché pointe en effet à la 19e position du classement. Les raisons pouvant expliquer cette contre-performance, alors que le pays dispose notamment d’un haut niveau de connectivité, résident dans un manque crucial d’expertises ICT et digitale, et dans la trop faible importance qu’accordent certains décideurs à la digitalisation de leur organisation. «La problématique des talents n’est pas neuve. Elle est pointée depuis une vingtaine d’années. Cependant, elle est aujourd’hui plus aiguë que jamais, toutes les entreprises devant s’appuyer sur ces talents pour opérer leur transformation», détaille Jean Diederich. Sans réponse structurelle à ce problème, les organisations pourraient opter pour des solutions offshore ou nearshore, plutôt que d’investir dans le digital localement.
Investir dans les compétences
Si les entreprises sont invitées à innover, à digitaliser leurs processus, elles ne pourront effectivement aller de l’avant qu’en s’appuyant sur les bons profils: experts fonctionnels, analystes business, développeurs, ingénieurs, data scientists, experts de l’expérience utilisateur, ou encore spécialistes du machine learning… Or, ceux-ci manquent cruellement au Luxembourg, comme dans de nombreux autres pays d’Europe.
Quelles réponses structurelles peut-on apporter à cette pénurie? Aux yeux des représentants des acteurs du secteur numérique, une part conséquente des moyens mis à disposition à travers le plan de relance européen doit être orientée vers l’éducation et la formation. «L’apprentissage du numérique, cela commence dès l’école primaire, avec une adaptation des programmes qui va au-delà de la simple introduction des tablettes comme supports de formation, commente le président de l’Apsi. Très tôt, il faut pouvoir aborder les enjeux de la programmation, familiariser les jeunes à diverses composantes du numérique et à la création de valeur ajoutée grâce à la technologie.»
Le système éducatif doit donc évoluer pour répondre aux besoins en compétences d’une société numérique. Si un tel chantier doit être mis en œuvre sans tarder, en commençant par former les enseignants, comme le souhaitent les fédérations patronales depuis une vingtaine d’années, il faudra du temps pour produire les compétences numériques de demain. Il faut donc, par ailleurs, trouver des réponses à court et moyen termes. «L’Université, avec le SnT (Interdisciplinary Centre for Security, Reliability and Trust, ndlr), attire et forme de nombreux étudiants. La difficulté, à ce niveau, est de les convaincre de rester sur place, en leur offrant des perspectives attractives», assure Jean Diederich. Mais malgré cela, le nombre d’étudiants qui sortent de l’enseignement supérieur au Luxembourg ne suffit pas pour répondre aux besoins en compétences du marché. «Dans un contexte de pénurie, il faut pouvoir importer massivement des profils de pays qui en produisent beaucoup. En Ukraine, par exemple, plus de 30.000 jeunes diplômés sortent chaque année des universités en pouvant faire valoir des compétences numériques, poursuit le président de l’Apsi. L’enjeu est de donner des opportunités à ces profils pour les inciter à venir au Luxembourg, comme le font très bien d’autres pays européens, à l’instar de la Pologne ou de l’Allemagne. Il faut aussi faciliter leur installation et les accompagner.» Par ailleurs, des collaborations avec des universités européennes, du moins de la Grande Région, pourraient augmenter le pool de compétences disponibles pour l’économie nationale.
Supercalculateur
Plus que jamais, la transformation numérique s’envisage dans un contexte européen. «Il est important, pour le développement numérique du Luxembourg, de tenir compte des grandes tendances européennes et des opportunités qui en découlent. Nous ne pouvons plus nous considérer comme un îlot isolé au cœur de l’Europe. Le Luxembourg a tout intérêt à se positionner au cœur des grands projets envisagés à l’échelle internationale, comme Gaia-X, pour tenter de faire valoir et de préserver son leadership dans des domaines-clés pour son économie, ajoute Jean Diederich, par ailleurs membre du board du réseau international Digital Europe. Dans ce contexte international, il faut pouvoir faire les bons choix, en connaissance de cause, et se positionner avec les bons experts.»
Le Luxembourg, par exemple, a joué un rôle déterminant dans le projet de high performance computing déployé par plusieurs pays européens. Le pays s’est doté d’un des plus puissants superordinateurs d’Europe: Meluxina. Cette nouvelle machine, qui doit être opérationnelle au printemps 2021, est capable de traiter de gros volumes de données et d’effectuer 10 millions de milliards d’opérations par seconde, soit une puissance de calcul de 10 pétaflops. Les applications de l’outil sont nombreuses: la modélisation, le développement de nouveaux produits, les prévisions, ou encore le big data.
Au service de la communauté scientifique, il sera dédié à des applications dans le cadre de la médecine personnalisée et de projets e-health. Il répondra également aux besoins des entreprises, en particulier des PME et des start-up, en vue de renforcer l’innovation nationale et européenne. Mais Meluxina pourrait également représenter une aubaine pour la place financière, puisqu’il accompagnera la transition numérique de l’économie. Le mastodonte calculateur va contribuer à la mise en place d’une économie digitale, durable et fiable, en rendant le calcul de haute performance accessible aux entreprises de toutes tailles.
Gaia-X: la souveraineté de la donnée
Au niveau de l’Europe, un autre projet majeur réside dans la mise en œuvre de Gaia-X, une nouvelle infrastructure de données efficace et compétitive, sécurisée et fiable pour l’Union européenne.
Au Luxembourg, cette initiative a été suivie de près par les représentants du secteur numérique (Cloud Community Europe – Luxembourg, l’Apsi, ICT Luxembourg et la Fedil), qui en ont été de fervents promoteurs auprès des acteurs locaux et du gouvernement. Leur conviction est aujourd’hui largement partagée, puisque, début mars, le Luxembourg était le quatrième pays européen à supporter pleinement cette initiative, en lançant son hub régional luxembourgeois Gaia-X, qui sera coordonné par Luxinnovation. «La donnée est le principal carburant de l’économie numérique. Il importe pour les acteurs qui évoluent en son sein d’en avoir la parfaite maîtrise, commente , président de Cloud Community Europe — Luxembourg. Or, si l’on parle du cloud, les grandes plateformes, de type ‘hyperscaler’, appartiennent le plus souvent à des acteurs sous juridiction non européenne, ce qui soulève des questions cruciales en matière de souveraineté européenne.»
L’industrie allemande, se rendant compte de l’enjeu, a souhaité apporter une réponse concrète, facilitant la valorisation des volumes croissants de données tout en assurant leur maîtrise. C’est ainsi qu’est née, dès 2018, l’initiative Gaia-X. L’année dernière, cette volonté de développer une infrastructure de données répondant aux exigences de transparence, de sécurité et de souveraineté a pris une dimension européenne. «Nous avons commencé à nous y intéresser en janvier 2020. Rapidement, la France a rejoint le programme, élevant les ambitions à un niveau européen, poursuit Yves Reding. L’Europe a raté le premier train de la digitalisation, qui a donné naissance aux géants américains de la tech. Il s’agit de ne pas rater le deuxième, celui de l’IA, qui est directement liée à l’explosion du volume de données générées. L’ambition n’est autre que de créer l’Airbus de l’intelligence artificielle.»
La comparaison permet de bien rendre compte à la fois de l’ambition et de la complexité du projet. Airbus, en effet, a constitué un projet mobilisateur à l’échelle européenne au cœur des années 70. En partant de rien, des acteurs engagés sont parvenus à créer un leader mondial dans le secteur de l’aviation et une filière industrielle qui rayonne dans toute l’Europe. La volonté, désormais, est de reproduire cela dans le domaine du numérique, le tout en offrant la possibilité à tous les acteurs de l’économie de partager et de valoriser des données en disposant de toutes les garanties de gouvernance, de sécurité et d’interopérabilité. «Gaia-X est une initiative ouverte à tous les acteurs, qu’ils viennent d’Europe ou d’ailleurs, à partir du moment où ils adhèrent aux valeurs du projet, poursuit Yves Reding. Elle vise, d’une part, la création d’une infrastructure et, d’autre part, le développement de nouveaux cas d’usage autour de la donnée. La volonté est de rassembler des acteurs pour développer, au départ de cet écosystème, de nouvelles applications, des services ou produits innovants s’appuyant sur le partage et la valorisation de la donnée.»
Pour le Luxembourg, il était particulièrement important de prendre part à cette initiative et de porter d’autres projets dans des domaines-clés pour son économie. «Sur des thématiques-clés, l’enjeu est de parvenir à construire des écosystèmes de confiance, facilitant le partage de la donnée et l’innovation, poursuit le vice-président d’ICT Luxembourg. Au-delà du secteur financier, le Luxembourg, qui se positionne comme une plateforme transfrontalière au cœur de l’Europe, a une belle carte à jouer. Des projets interrégionaux, notamment dans le domaine de la santé ou encore de l’énergie, pourraient trouver un intérêt à se développer autour d’une plateforme comme Gaia-X. Au niveau du spatial, comme domaine d’activité transversal générant des quantités impressionnantes de données, le Luxembourg nourrit aussi de fortes ambitions.»
La transformation numérique de l’économie ne pourra bien s’opérer que si l’on veille à garantir la confiance de l’ensemble des acteurs qui la portent. «À ce niveau, il est important de poursuivre les efforts entrepris dans le domaine de la cybersécurité, assure Gérard Hoffmann. Face à des risques croissants, nous devons nous assurer de la fiabilité des acteurs numériques qui se déploient au départ du Luxembourg. C’est un enjeu essentiel, contribuant à la confiance que l’on peut avoir, demain, dans un Luxembourg digital. Il s’agit, ni plus ni moins, de se prémunir de toute propagation de virus, digitaux cette fois, qui nuiraient à une société de plus en plus dépendante de la technologie.»
Faire de la contrainte une opportunité
Quand on parle de transformation numérique, l’activité financière luxembourgeoise, qui représente un tiers du PIB national, fait l’objet d’une attention particulière. Ces questions sont notamment discutées au cœur du Haut Comité de la place financière, qui rassemble acteurs publics et privés représentant l’ensemble de l’écosystème pour mieux pourvoir à son avenir.
Depuis quelques années, plusieurs initiatives, comme la Luxembourg House of Financial Technology, soutiennent l’émergence de nouveaux acteurs innovants dans le domaine financier. Ces sociétés de la fintech portent de nouveaux modèles, envisagent de nouvelles activités ou contribuent à faire évoluer les acteurs traditionnels. Elles agissent de manière complémentaire aux prestataires de services informatiques dédiés au monde financier luxembourgeois que sont les PSF de support. «Avec le numérique, les frontières qui prévalaient par le passé tombent une à une, offrant la possibilité aux acteurs de la Place d’externaliser beaucoup plus facilement des opérations auprès d’acteurs numériques étrangers ou de recourir plus aisément à des solutions cloud, commente Jean-François Terminaux, président de l’association Finance & Technology Luxembourg, qui fédère les PSF de support et les fintech luxembourgeois. Nos membres, qui ont longtemps principalement servi le marché luxembourgeois, doivent aujourd’hui faire face à une nouvelle compétition internationale. Dans cette perspective, il est important de moderniser le statut de professionnel du secteur financier, en cherchant à saisir les nouvelles opportunités qui se présentent.»
Les acteurs du numérique luxembourgeois dédiés à l’accompagnement des acteurs financiers ont longtemps dû opérer dans un cadre contraignant, garantissant la sécurité et la confidentialité des données. «Aujourd’hui, l’Union européenne, à travers son Digital Operational Resilience Act (DORA) dédié aux activités financières, est occupée à renforcer les exigences encadrant la sous-traitance d’opérations. Dans ce contexte, les acteurs du numérique luxembourgeois, et particulièrement les PSF de support, peuvent faire valoir une maîtrise de ces contraintes, une expertise forte en matière de gestion des risques. Nous disposons d’une réelle avance en la matière. Ce cadre réglementaire luxembourgeois, qui a pu être considéré comme un frein à la digitalisation de l’activité au départ du Luxembourg, s’avère être aujourd’hui un atout sur lequel on peut capitaliser.» À condition, pour les acteurs du numérique luxembourgeois dédiés aux activités financières, de s’ouvrir vers l’extérieur et de nourrir des ambitions européennes.
Esprit de corps
Considérant les nombreuses évolutions réglementaires à l’étude, le Luxembourg doit faire preuve d’agilité pour explorer de nouvelles opportunités liées au numérique. C’est notamment ce que plusieurs acteurs de la Place sont parvenus à faire en créant Luxhub, dans le contexte de la nouvelle directive de paiement (PSD2), pour lancer une plateforme d’open banking, aujourd’hui leader en Europe. «Le Luxembourg doit s’engager dans cette économie numérique ouverte liée à l’API economy. L’open banking, soutenu par PSD2, qui facilite, par exemple, l’accès à des comptes bancaires depuis des applications tierces grâce aux API, est une réelle opportunité pour l’ouverture du secteur financier. Sa diversification passe en effet par la création de liens privilégiés avec les fintech et l’écosystème des start-up émergentes dans ce domaine», complète Jean Diederich.
Au niveau du secteur financier, il est essentiel que le régulateur, comme les pouvoirs publics, soutienne les nouveaux développements en faisant preuve d’ouverture, tout en restant intransigeant en matière de respect des règles en vigueur. «Tout évolue à une vitesse folle. Si la place financière veut rester compétitive et préserver son leadership, il faut entretenir une culture de l’innovation et faciliter les nouveaux développements, commente Jean-François Terminaux. Nous devons évoluer en restant à l’écoute des exigences des clients, en faisant preuve d’une grande agilité à tous les niveaux et en renforçant notre attractivité vis-à-vis des acteurs qui feront la finance de demain. C’est en travaillant ensemble, en bonne collaboration, que nous pourrons faire grandir la Place en profitant des possibilités qu’offre le numérique.»
Industrie 4.0
Si la transformation digitale de l’activité financière est un enjeu majeur, le Luxembourg mise aussi beaucoup sur les opportunités liées à l’émergence de l’industrie 4.0. À travers son Digital Innovation Hub porté par Luxinnovation, le ministère de l’Économie, avec ses divers partenaires, veut engager les acteurs industriels dans une démarche de transformation profonde. «Un des enjeux est de faire prendre conscience aux acteurs des possibilités liées à une meilleure exploitation des données dont ils disposent ou qu’ils peuvent générer, assure Georges Santer, head of digital and innovation à la Fedil et responsable de l’initiative Digital4Industry. S’inscrire dans une démarche de valorisation de la data doit en effet conduire à l’émergence de nouveaux business models, produits et services.»
Avec le numérique, une industrie d’un nouveau genre est appelée à se développer. L’exploitation des données doit permettre un suivi de la production en temps réel, faciliter les prises de décision et permettre d’opérer une maintenance prédictive des installations. «Grâce aux possibilités de connecter des objets, un acteur comme le groupe sidérurgique Paul Wurth peut, par exemple, suivre en continu les paramètres d’un de ses hauts fourneaux, exploité par un de ses clients en Corée du Sud, évoque Georges Santer. De cette manière, il peut contribuer à améliorer les performances de l’installation et soutenir son client dans l’amélioration de la production. À travers cet exemple, on voit comment la technologie et une meilleure exploitation des données permettent d’améliorer le suivi des clients et de proposer des services supplémentaires associés à l’expertise dont dispose un industriel.» Quel que soit le secteur, la connectivité des objets ouvre un vaste champ à explorer, avec de nouvelles opportunités à saisir. «Pour les acteurs existants, les possibilités de renforcer leur offre de valeur sont immenses, assure Georges Santer. Les industriels, notamment, ont la possibilité de créer un lien direct avec le client, en partageant avec lui une information utile liée aux produits qu’il utilise.» Un pneu connecté, par exemple, offre la possibilité de donner une indication utile en temps réel sur l’usure du produit, sur les risques de sécurité ou sur les habitudes de conduite. Les données produites par le composant peuvent aussi être directement valorisées auprès des constructeurs. «Aujourd’hui, les grands acteurs sont déjà engagés dans cette voie, avec divers projets de recherche et d’innovation menés au Luxembourg avec les acteurs de la recherche publique, comme le List ou encore le SnT de l’Université, ajoute le conseiller de la Fedil.
Au-delà de cela, il faut convaincre les plus petites structures de leur emboîter le pas, à leur échelle, en les invitant à profiter des aides existantes, à l’instar de Fit4Digital et Fit4Innovation.»
Nouvelles perspectives
Au niveau de l’industrie, le numérique permet d’innover, mais aussi d’envisager de nouveaux modes de production, moins gourmands en ressources naturelles et en énergie. Il permet d’inscrire le pays dans une démarche de réindustrialisation en tenant compte des contraintes propres au Luxembourg, au foncier limité. De manière globale, le Luxembourg et les divers acteurs de son économie doivent renforcer leur capacité d’adaptation pour bien appréhender le changement. À eux de prouver une nouvelle fois que, malgré leur taille, en faisant du numérique leur meilleur allié, ils sont en mesure de faire toute la différence.
Cet article a été rédigé pour le supplément ‘Transformation digitale’ l’édition magazine de qui est parue le 29 avril 2021.
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