Yves Reding, CEO, EBRC. (Photo: Maison Moderne)

Yves Reding, CEO, EBRC. (Photo: Maison Moderne)

En plus d’être une crise sanitaire, le coronavirus est également une crise économique dont les entreprises peuvent tirer des leçons. La situation actuelle montre en effet la nécessité d’avoir demain un monde digital résilient centré sur l’humain et s’inscrivant dans une perspective durable.

Rarement le mot «résilience» n’aura résonné aussi souvent qu’en cette période de crise. Cette capacité à rebondir et ressortir plus fort face à des changements d’environnement, des impacts ou des crises, est devenue une nécessité pour les entreprises. «La résilience est partout. Il faut dire qu’avec le Covid-19, le choc a été très violent et rapide», précise Yves Reding, CEO de EBRC. Énormément de leçons peuvent être tirées de cette crise. «Des leçons qui étaient évidentes avant, mais qui sont criantes aujourd’hui.»

1. Disposer de stratégies business résilientes

C’est un fait, le monde dans lequel nous vivons évolue. «Nous allons vers des changements de plus en plus rapides et une complexité exponentielle. Nous voyons de moins en moins loin et il y a de plus en plus d’incertitude.» À côté des événements prévisibles et clairs («les trends»), on observe des événements non prévisibles («les Black Swans»). Plus nous avançons dans la globalisation, plus ces derniers sont amenés à se multiplier. Ces 20 dernières années, nous avons assisté à des crises majeures: l’explosion de la bulle internet (2000), les attentats du 11 septembre (2001), la crise des subprimes (2008-2009), la crise des dettes souveraines (2011) et enfin le coronavirus (2020). «Il y en aura d’autres de nature inattendue et probablement de plus en plus rapprochées.»

Toute une série de sociétés sont en difficulté, elles n’ont pas tenu compte de ces trends majeurs ou ont basé leur business model sur des hypothèses qui étaient vraies il y a 20 ans, mais ne le sont plus aujourd’hui.
Yves Reding

Yves RedingCEOEBRC

Pour traverser ces événements non prévisibles, les entreprises ont plus que jamais besoin de construire des stratégies business résilientes en tenant compte des natures des crises, mais aussi des trends (démographie, vieillissement de la population, digitalisation exponentielle, cybersécurité…). «Toute une série de sociétés sont en difficulté, elles n’ont pas tenu compte de ces trends majeurs ou ont basé leur business model sur des hypothèses qui étaient vraies il y a 20 ans, mais ne le sont plus aujourd’hui.» Les entreprises qui disposent déjà d’un business model résilient sont invitées à le challenger en permanence pour s’adapter face à de nouveaux risques potentiels. «Pour celles qui n’en ont pas, c’est le moment d’agir avant qu’il ne soit trop tard. Il faut toujours réfléchir à la création de valeur à long terme. Après l’urgence, chacun devra challenger son business model parce que d’autres risques, souvent sous-estimés, vont se réaliser. Il faudra analyser ces risques, même les plus improbables, et les impacts et opérer les changements nécessaires.»

2. Se doter de stratégies de continuité et sécurité résilientes

Outre ce business model résilient, les entreprises devront se doter d’une stratégie de continuité et sécurité, et donc d’une culture de gestion du risque en permanence. «Les sociétés ayant mis en place cette culture sont préparées, mais d’autres ne le sont pas du tout. La résilience est à la fois de l’agilité et de la sécurité.» Un principe doit rester à l’esprit des entreprises: la loi de Murphy. «Tout ce qui est susceptible d’aller mal ira un jour ou l’autre mal. Et, cela souvent, au pire moment.»

Le pire qui pourrait arriver maintenant, en pleine crise, serait que l’environnement IT s’écroule: cyberattaques, réseaux sursaturés…
Yves Reding

Yves RedingCEOEBRC

En effet, un incident génère une probabilité plus élevée de provoquer d’autres incidents. Dans le cas du Covid-19 et du digital, il s’agit de risques de cyberattaques ou de dépendance au digital. «Le pire qui pourrait arriver maintenant, en pleine crise, serait que l’environnement IT s’écroule: cyberattaques, réseaux sursaturés… Il faut toujours réfléchir à la couverture de risque dans une perspective de cascade. Gérer un risque, c’est voir au-delà et aller jusqu’au bout, y compris ce qui n’est pas imaginable.» Réfléchir à long terme, imaginer les opportunités et menaces, et enfin construire des stratégies qui tiennent la route quoi qu’il arrive est donc nécessaire.

3. L’importance des services de proximité en Europe

La troisième leçon à tirer est la sous-estimation de la crise. «En Europe, notre système de santé et social, ainsi que les centres de recherche sont heureusement d’excellente qualité, avec des compétences exceptionnelles. Mais il est difficile à croire que des ressources-clés, comme des masques, des tests et des respirateurs, ne soient pas encore disponibles en suffisance et que l’Europe ne dispose pas d’une production souveraine et de réserves stratégiques, suite à la crise de la grippe A H1N1 en 2009.»

Ce qui arrive aujourd’hui dans le monde physique est amené à se produire demain dans le monde digital. «Si demain un supervirus est présent dans le monde digital alors que nous sommes totalement dépendants de celui-ci, que se passe-t-il? On se rend compte que l’Europe n’est pas une puissance digitale mondiale. Nous sommes totalement dépendants des géants globaux, américains, voire chinois.» Il est donc primordial aujourd’hui de construire une souveraineté numérique en Europe afin de maîtriser notre futur. Demain, face à une crise cyber majeure, nous devrons assurer la cyber-résilience de nos services essentiels qui sont de plus en plus digitalisés: hôpitaux, eau, électricité, transport, flux financiers...

4. Inscrire la transformation digitale dans une perspective durable

Le digital apparaît comme le sauveur et devrait connaître une accélération dans les prochains mois, avec des pièges à toutefois éviter. «Le digital n’est pas le Graal absolu. Si les services essentiels sont trop dépendants du digital, cela pose problème. Ce qu’il faut retenir de cette crise, c’est: plus c’est simple, plus c’est décentralisé, plus ce sera résilient. Dans le monde digital, on a tendance à faire de la complexité pour le plaisir de faire de la complexité. Il ne faut digitaliser que si cela apporte réellement de la valeur. Et la résilience doit être prise en compte en amont et tout au long de la transformation digitale.»