En matière de politique fiscale et budgétaire, le gouvernement a fait le choix d’une politique de relance économique passant par le soutien du pouvoir d’achat des ménages (Photo: Shutterstock)

En matière de politique fiscale et budgétaire, le gouvernement a fait le choix d’une politique de relance économique passant par le soutien du pouvoir d’achat des ménages (Photo: Shutterstock)

Surfant sur la bonne santé des finances publiques, le gouvernement lancera une grande réforme budgétaire pour ce premier semestre. Une réforme qui va promouvoir une gestion de l’argent public par objectifs.

Le gouvernement Bettel avait inscrit au sommet de ses priorités une réforme structurelle de la fiscalité. Cette réforme «structurelle» devait être lancée à la rentrée 2019. L’idée était de mettre au centre du chantier l’individualisation de l’imposition des personnes physiques, mais aussi d’intégrer les problématiques du logement et de développement durable. Les crises sanitaire et ukrainienne ont relégué ces préoccupations au second plan.

En mai 2021, le ministre des Finances en exercice, (DP), renvoyait la réforme à fin 2023. Autrement dit, après les élections législatives. «La gestion de crise est passée avant tous les autres projets», se défendait le gouvernement, qui estimait ne plus avoir de marge de manœuvre pour lancer ce chantier. Une position maintes fois reprise durant la campagne électorale par (DP), qui avait remplacé Pierre Gramegna au ministère des Finances.

Une réforme «made in OCDE»

Le nouveau gouvernement a repris à son compte le principe d’une individualisation de l’imposition des personnes privées et d’une classe d’impôt unique. Une forte demande de la part de la population. Mais les ambitions réformatrices ont changé d’optique. Conformément à l’accord de coalition, le gouvernement a mandaté l’Organisation de coopération et de dévelop­pement économiques (OCDE) pour réaliser une étude sur la gestion des finances publiques au Luxembourg avec l’objectif de dégager des pistes permettant de moderniser les pratiques de budgétisation et d’introduire une gestion budgétaire par objectifs au Luxembourg. L’OCDE a rendu son rapport.

Un rapport qui, s’il était suivi d’effet, aurait les effets d’une «révolution copernicienne» pour les finances publiques, estimait, à la sortie de la présentation du rapport aux députés ce 3 février, le président de la commission de l’exécution budgétaire et membre de la commission des finances à la Chambre des députés et ex-ministre de l’Économie, (LSAP).

Évolution de la confiance dans les finances du Luxembourg (Visuel: Maison Moderne)

Évolution de la confiance dans les finances du Luxembourg (Visuel: Maison Moderne)

Gestion budgétaire par objectifs

L’objectif est double: dégager des pistes permettant de moderniser les pratiques de budgétisation et introduire une gestion budgétaire par objectifs. Soit quatre axes de réformes:

· l’adoption d’un nouveau cadre budgétaire basé sur les règles simples, crédibles et flexibles, s’appuyant sur des prévisions fiables, capable de fixer des objectifs clairs et incluant des plafonds de dépenses contraignants. La formulation souligne les limites du système. L’OCDE recommande également que la responsabilité de la gestion budgétaire ne repose plus uniquement sur le ministère des Finances, mais soit partagée avec les ministères concernés;

· la mise en place d’un système structuré de performance afin d’évaluer pleinement l’efficacité et l’efficience de la dépense publique. Cela impliquerait une budgétisation par programme, une revue régulière des dépenses et une meilleure coordination des initiatives stratégiques impliquant plusieurs ministères;

· la modernisation des mécanismes budgétaires. L’OCDE recommande un transfert progressif du contrôle financier aux ministères ainsi qu’une modulation des contrôles. Elle préconise également la suppression des crédits non limitatifs, qui «modifient significativement le budget voté», au profit d’une réserve budgétaire limitative, favorisant ainsi une meilleure prévision des dépenses obligatoires. En parallèle, elle plaide pour une rationalisation de l’utilisation des fonds spéciaux.

· la modernisation de la documentation budgétaire. Celle-ci passerait par «l’utilisation des outils numériques pour une meilleure accessibilité des données» ainsi qu’une analyse systématique des besoins des différents utilisateurs des documents budgétaires.

Réformes: un agenda chargé

Sans faire de commentaire sur le fonds, (CSV) a annoncé que la question de la réforme des textes budgétaires serait examinée au premier semestre de 2025. Avec l’accent mis sur les principes de la gestion par objectif et sur la prise en compte des données du PIB bien-être. Le ministre espère trouver, sur ce cadre budgétaire «de nouvelle génération», une majorité qui dépassera les frontières de celle de la coalition au pouvoir.

Le ministre doit d’ailleurs piloter deux autres réformes structurelles: la révision de la loi modifiée du 8 juin 1999 sur le budget, la comptabilité et la trésorerie de l’État, la mise en place d’une classe d’impôt unique – réforme promise pour 2026 – et la réforme de l’impôt foncier. Pour l’impôt foncier, aucun calendrier n’a pour l’instant été annoncé. Luc Frieden avait bien évoqué le dépôt d’un projet de loi pour la fin 2024, mais on l’attend toujours.

Les principaux indicateurs à suivre (Sources: OCDE, Tax Foundation, Eurostat, Ministère des Finances, Trésorerie de l’État)

Les principaux indicateurs à suivre (Sources: OCDE, Tax Foundation, Eurostat, Ministère des Finances, Trésorerie de l’État)

Une politique budgétaire de relance

En matière de politique fiscale et budgétaire, le gouvernement a fait le choix d’une politique de relance économique passant par le soutien du pouvoir d’achat des ménages: un haut niveau d’investissement dans les infrastructures (démographie et double transition digitale et durable); le renforcement de la compétitivité de l’économie en général et de la place financière en particulier; et la création d’un cadre favorable à une construction de logements mieux adapté à la demande.

Le 9 octobre 2024, Gilles Roth présente le deuxième budget du gouvernement Frieden, «le premier budget qui porte la signature de la coalition au pouvoir, un budget qui associe triple A et triple S». Pour ce qui est des grands équilibres, les recettes de l’Administration centrale – composée par l’administration stricto sensu, les communes et la Sécurité sociale – progresseraient de +5,2% par rapport à 2024 pour s’établir à 29,6 milliards d’euros. Les dépenses de l’Administration centrale ne progresseraient pour leur part que de 4,5% à 30,9 milliards d’euros, laissant apparaître un déficit de 1,29 milliard. La dette est annoncée stable à 27,5% du PIB pour 2025 et à 26% pour 2028. Un peu moins bien que pour le budget 2024 voté en avril – un budget transitoire – où la dette atteignait 26,5% du PIB. Un budget voté avec un déficit de 1,9 milliard.

Cercle vertueux en attente

Un budget approuvé par les députés le 16 décembre 2024. Un budget et une politique budgétaire validés pour l’instant par les agences de notation. S&P Global Ratings et Moody’s ont confirmé respectivement ce 24 janvier et ce 7 février le triple A du pays, assorti pour les deux agences d’une perspective stable.

Une politique budgétaire dont l’impact sur la croissance reste encore à mesurer. La Statec évalue celle-ci à +2,5% en 2025 et à +2,4% en 2026, soutenue par une demande intérieure et extérieure renforcée. L’OCDE parle d’une progression de 2,3% en 2025, et de 2,4% en 2026, progression portée par la consommation privée qui restera dynamique grâce à l’indexation des salaires, à la baisse de l’inflation et à la diminution des taux d’intérêt. Cela suffira-t-il pour financer la politique d’allégement fiscal du gouvernement et amorcer un cercle économique vertueux? Rendez-vous dans un an.

Les principaux indicateurs à suivre (Sources: OCDE, Tax Foundation, Eurostat, Ministère des Finances, Trésorerie de l’État)

Les principaux indicateurs à suivre (Sources: OCDE, Tax Foundation, Eurostat, Ministère des Finances, Trésorerie de l’État)

Pouvoir d’achat: la feuille de route du gouvernement

Le 27 novembre 2023, le Conseil de gouvernement donne son accord au projet de loi sur l’adaptation du barème d’imposition de l’impôt sur le revenu des personnes physiques à hauteur de quatre tranches indiciaires dès le 1er janvier 2024. Une mesure présentée comme une première étape d’une démarche plus générale visant à alléger la charge fiscale des ménages. Le projet de loi 8343 est voté en décembre 2023.

Le 17 juillet 2024, le Conseil de gou­vernement approuve le nouveau «Entlaaschtungs-Pak», nouvel ensemble de mesures fiscales ciblées visant à renforcer, d’une part, le pouvoir d’achat des ménages et, d’autre part, la compétitivité du Luxembourg. Pour les ménages, le gouvernement procède à une nouvelle adaptation du barème de l’impôt sur le revenu de 2,5 tranches indiciaires au 1er janvier 2025. Le texte prévoit également une exonération fiscale totale pour le salaire social minimum non qualifié pour toutes les classes d’impôts. Enfin, jusqu’à un salaire brut annuel de 52.400 euros, les familles monoparentales ne payeront plus d’impôts au titre de l’année d’imposition 2025. De quoi faire patienter jusqu’à l’adoption de la classe d’impôt unique.

Le paquet fiscal modifie également la prime participative et le régime d’impatriés afin de renforcer l’attractivité du pays pour les talents. Il introduit une nouvelle prime jeunes salariés, de même qu’un crédit d’impôt pour heures supplémentaires pour les salariés frontaliers. Enfin, le taux de l’impôt sur le revenu des collectivités est réduit d’un point de pourcentage et les ETF gérés activement sont exonérés de la taxe d’abonnement à compter de 2025. Le projet de loi 8414 est adopté par les députés le 11 décembre 2024.

D’autres mesures sont inscrites dans l’accord de coalition: une meilleure déductibilité des dépenses spéciales et des charges extraordinaires, et notamment les pensions vieillesse complémentaires; un abattement fiscal pour les personnes entrant dans la vie active; la simplification du traitement fiscal des avantages en nature accordés par les entreprises à leurs salariés, l’augmentation du seuil du revenu exonéré touché dans le cadre d’une activité bénévole et l’encouragement de la participation des salariés dans le capital des entreprises qui les emploient.

Pour ce qui est des sociétés, deux des trois promesses de l’accord de coalition sont tenues. À savoir l’adaptation du taux de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de manière à les rapprocher à la moyenne applicable dans les pays de l’OCDE. La baisse de 1% constitue un premier pas. D’autres allégements ne sont pas exclus. De même, le nouveau régime de bonification d’impôt pour les entreprises qui investissent dans la transition durable et digitale a été voté le 18 décembre 2023. Ce texte avait été présenté par le gouvernement précédent en juillet 2023.

La dernière promesse qu’il reste à tenir est celle relative à une «analyse» de la fiscalité applicable en matière de transmission d’entreprises afin d’en favoriser la pérennité.

17,4%

C’est, selon le ministre des Finances, Gilles Roth, le niveau de réduction moyenne de la charge fiscale des ménages luxembourgeois depuis le 1er janvier 2024. De 2023 à 2024, les impôts sur les traitements et salaires ont cependant rapporté 536,6 millions de plus qu’en 2023. Soit 6,569 milliards contre 6,032 milliards. Soit également 1,9 % de plus que ce qui était budgété. Une progression que les services du ministère attribuent à l’augmentation du nombre de travailleurs et de résidents assujettis à cet impôt.

La classe d’impôt unique

La grande réforme fiscale promise en 2016 par le gouvernement Bettel n’a pas eu lieu. Cette réforme «structurelle» devait être lancée à la rentrée 2019. L’idée était de mettre au centre du chantier l’individualisation de l’imposition des personnes physiques garantissant un modèle fiscal neutre quant au mode de vie des personnes, mais aussi d’intégrer les problématiques du logement et de développement durable. Le Covid et la guerre en Ukraine auront eu raison de ce projet. Sans parler de réforme structurelle du système fiscal, le nouveau gouvernement n’abandonne pas le principe d’une classe d’imposition unique.

Le ministre des Finances, Gilles Roth, s’est engagé à arriver à un système basé sur une classe fiscale unique avec des ajustements selon certains critères, dont la présence d’enfants dans un foyer. Son objectif est de mettre le sujet sur la table en 2026. En attendant, la charge fiscale de la classe 1A à laquelle sont soumises les familles monoparentales a été aplanie. Autrement dit, la charge d’impôt a été réduite pour les contribuables.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de , parue le 26 février. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

 

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