Une retenue de 5% sur le salaire pour chaque jour passé à travailler depuis chez soi, alors qu’on pourrait retourner dans son entreprise mais qu’on ne le fait pas, c’est l’objet de la proposition formulée par les économistes de la Deutsche Bank. (Photo: Shutterstock)

Une retenue de 5% sur le salaire pour chaque jour passé à travailler depuis chez soi, alors qu’on pourrait retourner dans son entreprise mais qu’on ne le fait pas, c’est l’objet de la proposition formulée par les économistes de la Deutsche Bank. (Photo: Shutterstock)

Le coup est venu d’où on ne l’attendait pas: la vénérable Deutsche Bank propose de taxer le télétravail. Une mesure qui pourrait rapporter des milliards aux États qui adopteraient la mesure.

La Deutsche Bank vient de publier son , une série d’études économiques abordant différents thèmes pour imaginer un monde post-Covid.

Et pour Luke Templeman, l’un des chercheurs ayant participé à la rédaction du rapport, le télétravail fera partie de la nouvelle normalité du «monde de demain». Pour lui, cet essor n’est pas une conséquence directe de la pandémie actuelle, il date d’une vingtaine d’années. De 2005 à 2018, le nombre d’Américains travaillant à domicile a progressé de 173%. Mais le Covid-19 a accéléré le mouvement et l’a enraciné dans le monde du travail au point d’en faire la normalité de demain. Le chercheur s’attend à une demande de deux à trois jours par semaine. Une durée jugée maximale pour conserver le lien social avec ses collègues tout en profitant du temps libre dégagé par l’absence de trajet.

Pour les chercheurs, les télétravailleurs ont tiré de nombreux avantages de la pratique pendant la pandémie. Un véritable «luxe», presque assimilé à des vacances pour certains, qu’il convient de taxer, pour la Deutsche Bank.

5% du salaire

Le coût de ce privilège? Une retenue de 5% sur le salaire par jour passé à travailler depuis chez soi. Ce qui représente pour un salarié luxembourgeois, qui touche en moyenne 65.801 euros brut par an, 13,22 euros par journée de télétravail.

L’impôt serait à acquitter par les entreprises dès lors qu’elles ne fourniraient plus de bureau, et par les salariés qui, ayant la possibilité d’y venir, ne le feraient pas. Avec des exonérations pour les travailleurs indépendants et les personnes à faible revenu.

Les sommes ainsi récoltées – «des milliards», estime la banque – seraient redistribuées aux travailleurs à faibles revenus et qui ne peuvent pas travailler à distance. Ceux qui sont en «première ligne», selon la terminologie de crise actuelle.

Le télétravail est une machine à creuser les inégalités.
Michel-Edouard Ruben

Michel-Edouard RubenéconomisteFondation Idea

Un lien que ne comprend pas , le secrétaire général de l’Aleba. Si le principe d’une taxation peut s’entendre, il ne voit pas pourquoi une catégorie de la société plutôt qu’une autre devrait bénéficier de cette manne. Et surtout, pour lui, ce ne sont pas les salariés, mais les banques, qui sont bénéficiaires dans l’opération, en voyant leurs coûts généraux potentiellement décroître.

Michel-Edouard Ruben, économiste à la Fondation Idea, voit le fondement de cette redistribution sélective. Pour lui, «le télétravail est une machine à creuser les inégalités». De fait, le profil-type du télétravailleur est celui d’un homme, cadre ou ingénieur, alors que les femmes et les personnes moyennement qualifiées en sont écartées. Et la fiscalité sert aussi à corriger les situations déséquilibrées.


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Cet «acte de justice» serait aussi, pour Luke Templeman, une façon de compenser les dépenses que ne font plus les travailleurs qui font le choix de rester chez eux. Principalement les dépenses de transports et de nourriture. Le télétravail, en privant l’économie de ces dépenses potentielles, menace l’infrastructure d’un système qui a été construit sur le travail en présentiel. Le télétravailleur cesse-t-il de consommer? Non. Il consomme ailleurs, différemment, et, surtout, localement. Il y a donc des gagnants et des perdants potentiels dans ce changement. Et certaines activités devront repenser leur business model. On peut penser au secteur de l’immobilier de bureaux, qui risque de voir la demande fléchir. Et donc les loyers.

Vraiment un luxe?

Cette proposition, iconoclaste et controversée, veut surtout ouvrir les débats.

Et ceux-ci ne manquent pas.

Et d’abord celui de savoir si le télétravail est vraiment un luxe. La réalité de celui-ci n’est pas la même pour un couple vivant dans un appartement d’une soixantaine de mètres carrés que pour un célibataire – ou un télétravailleur isolé – dans son duplex de 160 mètres carrés. «Le télétravail à domicile peut obliger les proches du travailleur vivant avec lui à modifier leurs comportements domestiques, ce qui peut être une source de conflit», ajoute Michel-Edouard Ruben.

Pour les travailleurs concernés, le luxe se mesure aussi – surtout – en gain de qualité de vie. Mais il a déjà un coût. Laurent Mertz observe que les heures de transport économisées ont tendance à devenir des heures de travail en plus. Pire, les heures supplémentaires sont contestées par les employeurs, sous prétexte que ce temps gagné dans les transports. Une situation qui le révolte et qu’il appelle à faire cesser. Le télétravail pourrait même, selon lui, devenir une menace: «Entre télétravail et outsourcing, où est la limite? Ce qui peut se faire aujourd’hui depuis Thionville, Arlon où Trèves pourrait très bien se faire demain depuis Bombay…»

Pour lui, le télétravail n’est pas la panacée. «Pourquoi, alors, le taxer?»