Les images d'accidents d'Arnold Odermatt sont d'une beauté grave. (Photo: Courtesy Galerie Springer-Berlin)

Les images d'accidents d'Arnold Odermatt sont d'une beauté grave. (Photo: Courtesy Galerie Springer-Berlin)

Raphael Montañez Ortiz

La notion de destruction, au cœur d’un manifeste qu’il publie dès 1962, «Destructivism: a manifesto», constitue un élément central de la pratique de Raphael Montañez Ortiz. Tandis qu’au début des années 1960 ses «trouvailles archéologiques», restes d’objets quotidiens détruits (matelas, meubles rembourrés, etc.), réclamaient encore le statut d’objets trouvés, les destructions de pianos, présentées pour la première fois en 1966 à l’occasion du «Destruction in Art Symposium» à Londres, mettaient au premier plan l’artiste en tant qu’acteur.
Le piano, symbole par excellence de la maîtrise et de la discipline musicale, devient ici l’objet d’un sacrifice cathartique mis en scène. Dans son manifeste de 1962, Ortiz, marqué par les cultures autochtones de son pays natal, Porto Rico, compare l’«art destructif» aux rituels sacrificiels et, à propos de ses «Piano Destruction Concerts», précise: «Le son est un aspect important des rites indigènes, et les sons percussifs des pianos qui résonnent quand je les détruis à la hache est, pour ainsi dire, une expansion de leur voix.»

Le 11 juillet, à l'occasion du vernissage de l’exposition, Ortiz rejouera sa performance de 1967. Les restes du piano resteront exposés dans le Grand Hall.

© Raphael Montañez Ortiz

Christian Marclay

«Guitar Drag» nous montre une guitare Fender Stratocaster reliée à un amplificateur, attachée à l’arrière d’un pickup et traînée le long d’une route de campagne. La bande son du film est constituée du bruit que produit l’instrument tout au long de ce remorquage. Un premier niveau de lecture nous invite à voir dans cette œuvre l’acte iconique de la star du rock détruisant sa guitare et la tension dissonante de la musique rock en général. Mais cette œuvre, réalisée au Texas, a également pour référence un événement bien spécifique: le meurtre haineux, en 1998, de James Byrd, traîné à l’arrière d’un pickup le long d’une route, dans un crime qui a tout du lynchage traditionnel. «En définitive, j’ai réalisé cette vidéo à cause de ce qui est arrivé à James Byrd, explique Christian Marclay. Mais toutes les autres références possibles m’ont permis de voir aussi la guitare comme un instrument absolument anthropomorphique, qui a toujours été associé à la violence, à la rébellion et à la jeunesse débridée.»

© Christian Marclay/Collection Mudam Luxembourg

 

Arnold Odermatt

Pendant près de 40 ans, de la fin des années 1940 à la fin des années 1980, le policier suisse Arnold Odermatt a, dans le cadre de son service, documenté les accidents de voiture survenus dans le canton de Nidwald. Ses images, qui se caractérisent par une beauté grave et des compositions travaillées, vont bien au-delà des exigences de la photographie policière. Plantées dans les décors naturels des paysages suisses, les voitures accidentées s’apparentent à des vanités rappelant le caractère fragile et éphémère de la vie. Mis à jour par son fils au début des années 1990, le travail d’Arnold Odermatt connaît, depuis l’exposition que Harald Szeemann lui a consacrée lors de la 49e Biennale de Venise en 2001 et la publication de plusieurs monographies, une reconnaissance internationale.

Courtesy Galerie Springer, Berlin

Ed Ruscha

«The Los Angeles County Museum of Art on Fire» montre le célèbre musée californien, qui vient alors d’ouvrir, tel une maquette vue d’en haut et de biais, de sorte à accentuer les lignes de fuite. Bien que l’artiste nie tout lien direct avec les émeutes qui secouèrent le quartier de Watts à Los Angeles en 1965 et se soldèrent par d’importants incendies, préférant attribuer au feu une signification avant tout picturale et esthétique, il ne conteste pas que l’œuvre puisse revêtir une dimension politique: «Vous pouvez, si vous le voulez, y voir une image politique: celle d’une révolte contre une personne d’autorité.» On retrouve cette thématique de l’incendie dans plusieurs autres œuvres de l’artiste, comme les peintures «Damage» (1964) ou «Burning Gas Station» (1966) ou son célèbre livre d’artiste «Various Small Fires» (1964).

Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Washington DC

 

Jeff Wall

L’une des premières photographies de l’artiste présentées sous forme de caisson lumineux, «The Destroyed Room» de Jeff Wall s’avère, en l’observant de plus près, être un chaos méticuleusement mise en scène pour les besoins de la photographie. La composition s’inspire d’une œuvre clé du 19e siècle qui, selon l’artiste, représente le passage du néoclassicisme héroïque au romantisme intériorisé: «La mort de Sardanapale» (1827) d’Eugène Delacroix, qui montre le roi de Ninive observant d’un regard mélancolique la fin tragique des êtres et des choses qu’il aime. La destruction mise en scène par le photographe américain reprend la composition en diagonale et la dominante rouge du tableau de Delacroix. Il crée ce faisant une œuvre au pouvoir évocateur qui doit autant à la tradition picturale qu’à la modernité de son propre support, la photographie.

© Glenstone

 

Au Mudam du 12 juillet au 12 octobre.

www.mudam.lu