Pendant la campagne présidentielle, Donald Trump a manifesté la volonté, notamment, de remodeler les institutions de régulation selon une vision plus favorable au marché. (Photo: Shutterstock)

Pendant la campagne présidentielle, Donald Trump a manifesté la volonté, notamment, de remodeler les institutions de régulation selon une vision plus favorable au marché. (Photo: Shutterstock)

Pendant son premier mandat, Donald Trump a allégé les obligations réglementaires pesant sur les banques et institutions financières, notamment par le biais de la révision de la loi Dodd-Frank. Avec son retour au pouvoir, les autorités européennes craignent une course au moins-disant.

«Une éventuelle déréglementation aux États-Unis pourrait avoir des conséquences importantes si elle mène à de l’instabilité. Les banques américaines sont parmi les plus grandes et les plus systémiques au monde. Une crise bancaire majeure aux États-Unis aurait inévitablement des répercussions internationales, y compris en Europe.»

Président du Conseil de résolution unique (CRU), en charge de la résolution des crises bancaires dans la zone euro, Dominique Laboureix résume le sentiment des autorités européennes face à la perspective d’une déréglementation financière aux États-Unis. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche fait craindre un possible effet domino et une course vers le bas en matière de régulation, menaçant la solidité du système financier mondial.

Pendant son premier mandat (2017-2021), le président républicain avait mis en place une politique de déréglementation du secteur financier, notamment en recalibrant les seuils définissant les banques systémiques, en modifiant les exigences de tests de résistance et en assouplissant la règle Volcker qui encadrait les opérations de trading pour compte propre. L’administration Biden, fait notable, n’a pas remis en cause ces mesures, considérant qu’elles étaient adaptées à l’économie américaine.

Les règles de Bâle dans le viseur

La réélection de Trump a donné des ailes aux banques américaines. Leur wishlist comprend l’abrogation d’un certain nombre de règles sur les prêts abusifs et les frais de carte de crédit, ainsi que des fusions plus faciles. «Mais le point le plus important de la liste est certainement celui pour lequel ils achetaient des publicités pour le Super Bowl plus tôt cette année: les règles dites de Bâle III Endgame», souligne le Financial Times.

On désigne par là la phase finale des réformes de Bâle III, un ensemble de normes internationales visant à renforcer la résilience du secteur bancaire après la crise financière de 2008. Ces réformes, finalisées en 2017, visent «à rétablir la crédibilité dans le calcul des actifs pondérés en fonction des risques (RWAs) et à améliorer la comparabilité des ratios de fonds propres des banques», selon le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire. L’UE prévoit de mettre en œuvre la majorité des nouvelles règles dès janvier 2025, tandis que les États-Unis visent une mise en œuvre progressive entre 2025 et 2028. Reste que des retards sont possibles.

La compétitivité en jeu

Les autorités américaines avaient déjà exprimé, avant même l’élection présidentielle, leur souhait d’ajuster Bâle III, notamment en introduisant davantage de proportionnalité. Rien de tel du côté de l’UE: «Ce sera Bâle III, tout Bâle III et rien que Bâle III», dit la ligne officielle. Les banques européennes ne l’entendent pas de cette oreille. En augmentant leurs besoins en fonds propres, estiment-elles, ces réformes limitent leur capacité à soutenir l’économie et nuisent à leur compétitivité face aux institutions américaines. Elles plaident pour un moratoire sur l’adoption de nouvelles réglementations.

À entendre certains de ces établissements, les précédentes réformes de Trump entre 2017 et 2021 ont attiré des capitaux aux États-Unis en incitant les investisseurs à privilégier les banques américaines. Ce qui pourrait expliquer leur meilleure rentabilité globale. Les acteurs du marché font aussi volontiers le lien entre cette divergence réglementaire et l’écart de valorisation entre les banques de la zone euro et celles des États-Unis. Alors que les premières se négocient en dessous de leur valeur nominale, leur ratio prix/valeur comptable étant inférieur à 1, l’inverse est vrai outre-Atlantique.

La réponse des autorités

Du point de vue des autorités, l’argument de la compétitivité doit être manié avec prudence. Les institutions systémiques d’importance mondiale (G-SIB) sont en effet soumises aux mêmes règles aux États-Unis et dans l’UE. Et ce sont elles qui sont en concurrence sur les marchés internationaux. Selon cette logique, quelles que soient les décisions prises par Trump, elles n’ont pas affecté les G-SIB car les normes qui leur sont applicables sont harmonisées au niveau mondial.

Concernant les flux d’investissement vers les États-Unis, les autorités disent ne disposer que de preuves anecdotiques, mais reconnaissent que la réglementation a pu inciter les banques américaines à s’engager dans des activités à risque plus élevé ou à rendement plus élevé, ce qui a pu influencer les conditions du marché. Et contribuer aux turbulences bancaires de l’année dernière.

Quant à l’écart de valorisation des banques, il s’expliquerait par des disparités régionales profondes entre les États-Unis et l’Europe: cycles économiques distincts, politiques monétaires divergentes et structures économiques différentes. Aux États-Unis, l’économie d’échelle est favorisée par un marché de la titrisation avancé, tandis qu’en Europe, l’intégration économique et financière reste faible, avec des réglementations hétérogènes entre les pays.

L’Europe doit continuer à appliquer des règles solides pour protéger son système financier.
Dominique Laboureix

Dominique LaboureixprésidentConseil de résolution unique

Autrement dit, selon les autorités, l’écart de compétitivité entre les États-Unis et l’Europe ne découle pas de la réglementation financière. Elles estiment que compléter l’union bancaire et des marchés de capitaux réduira cet écart, rendant le système plus compétitif. Cela favoriserait les transactions transfrontalières et une concurrence équitable, tout en offrant aux banques davantage de liberté pour investir selon des critères économiques, sans avoir à gérer les nombreuses contraintes et barrières actuelles du système.

Un moratoire sur Bâle III n’enverrait pas un bon signal au marché et à la communauté internationale, estime-t-on dans les organismes européens de stabilité financière. Où l’on affirme la volonté de poursuivre la mise en œuvre de ces règles jugées essentielles, en soulignant la solidité des banques européennes lors des récentes crises, notamment la pandémie de Covid-19 et la crise énergétique.

On the record, les autorités européennes s’en tiennent au «wait and see». «Je ne veux pas commenter des décisions qui n’ont pas encore été prises, surtout dans un contexte aussi politisé», note Dominique Laboureix. «Ce qui est essentiel, c’est que chaque région du monde, y compris l’Europe, fasse ce qui est nécessaire pour sa propre stabilité financière. Cela signifie que l’Europe doit continuer à appliquer des règles solides pour protéger son système financier, indépendamment des choix des autres.»

Et pour ce qui est des États-Unis, les Européens placent leur espoir dans un cadre institutionnel jugé très solide. Avec la Réserve fédérale (Fed), la Société fédérale d’assurance des dépôts bancaires (FDIC) et le Bureau du contrôleur de la monnaie (OCC) en garde-fous.

Focalisation excessive sur Trump

Avocat à Genève et professeur de droit bancaire à l’Université de Lausanne, Carlo Lombardini estime que le débat sur la déréglementation financière est faussé par une focalisation excessive sur Donald Trump. «Même s’il a été plus actif en la matière que les autres présidents, il y a une certaine continuité dans l’approche américaine: les États-Unis se soucient généralement peu des règles internationales et adaptent leur application en fonction de leurs propres intérêts», relève-t-il.

L’expert observe parallèlement qu’au Royaume-Uni, malgré la promesse initiale d’alléger les réglementations financières après le Brexit, la mise en œuvre de ces changements est restée limitée. «Le seul exemple concret que j’ai pu identifier où les Britanniques se sont écartés du cadre européen, c’est l’assouplissement des règles relatives aux rémunérations variables dans le secteur financier. De manière générale, la surveillance bancaire à Londres reste très intense.»