«Depuis quand envoie-t-on une noire en classique?», s’est entendu dire un jour une élève de la bouche d’un professeur lors de son passage à la classe supérieure.
Voilà un exemple des nombreux témoignages de racisme au Luxembourg recueillis par Mirlene Fonseca Monteiro dans le cadre de sa thèse, et partagé lors de la conférence «Being black in Luxembourg», organisée par l’Asti le 13 novembre dernier au Cercle Cité.
Un témoignage qui venait corroborer les résultats, inquiétants pour le Luxembourg, de la menée par l’Agence européenne des droits fondamentaux de l’UE (FRA).
L’enquête analyse les expériences vécues par près de 6.000 personnes d’ascendance africaine dans 12 États membres de l’UE.
Quatre pays pointés du doigt
«Quatre pays ont des problèmes manifestes: l’Irlande, l’Autriche, la Finlande et le Luxembourg», résume le directeur de la FRA, Michael O’Flaherty.
De fait, 7 personnes sur 10 ont subi un acte de discrimination au Luxembourg au cours des cinq années précédant l’enquête, contre 4 sur 10 en moyenne dans l’UE. Soit le pire taux de l’UE.
Et la moitié des personnes interrogées affirmaient avoir fait l’objet de harcèlement raciste au cours des cinq dernières années, contre un tiers des répondants à l’échelle de l’UE.
«Je suis profondément choquée, je ne pensais pas que les préjugés étaient aussi forts», admet la ministre de la Famille et de l’Intégration, (DP).
«Moi, je suis choquée que vous soyez choquée», lui répond une jeune femme présente dans le public. «Cela fait des années que ces discriminations existent. Je ne comprends pas que vous n’en preniez conscience que maintenant.»
Nous sommes racisés, et cela a des conséquences.
«Parler de racisme reste difficile», tentait d’expliquer Antonia Ganeto, chargée de direction à l’Asti. «Les gens sont réticents quand on veut parler de privilèges et de discrimination. Ils veulent éviter le cliché du bourreau et de la victime. Souvent, on préfère croire que le racisme ne nous concerne pas. L’utilisation des mots ‘race’, ‘noir’ et ‘blanc’ est proscrite du débat public. Or, c’est naïf et contre-productif. Nous sommes racisés, et cela a des conséquences.»
La ministre mentionnait les solutions mises en place par les pouvoirs publics, notamment le plan national d’intégration ou la charte de la diversité pour les entreprises, en ne manquant pas de souligner que «les entreprises qui vivent dans la diversité ont de bien meilleurs résultats que les autres».
Des efforts très insuffisants
Des efforts très insuffisants, selon le président de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (un établissement du Conseil de l’Europe), Jean-Paul Lehners: «Le Luxembourg a mis tellement de temps pour élaborer son plan d’intégration… Pour l’instant, on ne peut rien en dire. Il faudrait des indicateurs pour évaluer et des projets d’action concrets.»
Quant au Centre d’égalité de traitement (CET), son «état est catastrophique en comparaison aux autres CET du Conseil de l’Europe», estime Jean-Paul Lehners, précisant qu’il critique le législateur et le gouvernement, non le CET. «Il n’a ni les moyens financiers, ni le personnel pour faire son travail.»
Il regrette aussi le manque de données, recommandant d’intégrer celles de la police. «On ne peut pas résoudre ce problème sans des données officielles précises», abonde Michael O’Flaherty.
Miser sur l’éducation
Une des clés reste l’éducation. «Mon ressenti, c’est que les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas», juge Corinne Cahen, prenant pour exemple la construction d’un foyer de réfugiés: «Les réunions d’information avec les gens du quartier étaient horribles: les pires préjugés étaient exprimés. Mais une fois installé, constatant que cela ne posait pas de problèmes, les gens ne voulaient plus que le foyer ferme.»
«Une éducation aux droits de l’Homme, de la maternelle à l’université, est nécessaire», estime Jean-Paul Lehners. «Au Luxembourg, on répond que c’est une matière transversale. Or, c’est le meilleur moyen de ne rien faire.»
Une nécessité aussi pour Michael O’Flaherty, selon lequel «nous sommes tous racistes. Chacun doit comprendre et combattre cette partie qui est en nous.»
Un débat qui n’aura pas épargné les pouvoirs publics. Mais Corinne Cahen considère qu’il est important que ces revendications s’expriment: «La société civile doit pousser les gouvernements à agir. Et pour cela, il faut parfois jeter la pierre très loin.»