Michèle Detaille: «Je place la barre des compétences assez haut.» (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Michèle Detaille: «Je place la barre des compétences assez haut.» (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne)

Bourgmestre à 25 ans, entrepreneuse depuis 1996, Michèle Detaille revient sur sa carrière dans notre série #FemaleLeadership. le confort de ses employés? Une priorité. Son entreprise à Wiltz est allée jusqu’à louer des bureaux proches de leur domicile.

Michèle Detaille est administratrice du groupe Alipa au Luxembourg.

Quel regard portez-vous sur votre carrière?

- «Un regard amusé, car j’ai toujours trouvé de l'intérêt et du plaisir dans ce que je faisais. À la fois dans les sujets abordés , dans les fonctions occupées, mais aussi dans les rencontres professionnelles et dans la collaboration avec mes collègues.

Vous avez été bourgmestre de Vaux-sur-Sûre en province de Luxembourg durant 18 ans, députée avant d’être entrepreneuse. Quel a été votre plus beau souvenir?

«Je peux en citer deux: un des meilleurs souvenirs, c’est sans doute quand j’étais bourgmestre et qu’avec toute notre équipe, nous avons sauvé les différentes écoles fondamentales de la commune. Aujourd’hui, on se rend compte avec le recul qu’il était vraiment important de maintenir dans les villages ces lieux de vie et d’apprentissage que sont les écoles. Nous avons pris la bonne décision au bon moment et j’en suis toujours fière.

Un autre beau souvenir, c’est l’ achat par mon associé et moi-même de notre première entreprise : No-Nail Boxes. Le début d’une belle aventure qui court toujours.

Avec le rachat de la société en 1996, c’est une nouvelle carrière qui débute pour vous...

«Tout à fait. ce fut l’occasion pour nous de mettre en avant notre savoir-faire professionnel: la capacité à bien gérer une entreprise et à insuffler un dynamisme commercial. Sachez quand même qu’avant de racheter No-Nail Boxes, nous avions regardé de près au moins une vingtaine de cibles.»

Mon slogan? ‘Quand on veut, on peut’ ou ‘Just do it’. Et c’est vraiment ma conviction, pour autant que l’on soit en bonne santé.
Michèle Detaille

Michèle DetailleAdministratriceGroupe Alipa

 Bien gérer, ça signifie quoi?

«Le premier devoir d’une entreprise est de gagner de l’argent. Sans profit, pas de pérennité. Ce n’est pas très glamour, mais c’est la réalité. La bonne gestion consiste aussi à bien utiliser cet argent gagné. À la fois en payant bien les bonnes personnes et en faisant des investissements dont on est sûr qu’ils vont avoir un retour positif dans l’entreprise dans un délai pas trop long.

Est-ce qu’on dirige une commune comme une entreprise?

«Il y a beaucoup de similitudes: gérer une commune, c’est aussi gérer du personnel, c’est veiller à allouer le mieux possible les ressources disponibles aux objectifs que l’on s’est fixés.

L’honnêteté, la volonté de bien faire, le bon sens, le courage sont des valeurs essentielles, pour moi, chez mes collaborateurs.
Michèle Detaille

Michèle DetailleAdministratriceGroupe Alipa

Quant à la différence, elle réside principalement dans la détermination de l’objectif: dans une commune, le but n’est pas de faire du bénéfice, c’est une différence par rapport à l’entreprise privée. Mais quel est l’objectif de la gestion d’une commune?  Est-ce d’être réélu? Est-ce de pouvoir appliquer son programme? Est-ce rendre les citoyens heureux et contents d’y vivre?

Aimeriez-vous refaire de la politique?

«Non. J’en ai fait avec plaisir, surtout au niveau local. J’ai été bourgmestre durant 18 ans. Je pense qu’après un certain temps, c’est important de laisser la place aux autres.

En revanche, j’ai gardé une fibre politique ou sociale au sens large. Par exemple, je suis membre du conseil d’administration et vice-présidente de la Fedil, ce n’est pas vraiment de la politique, mais ça continue à être lié à la vie du pays. Ça dépasse un peu le cadre de l’entreprise. Et ça m’intéresse vraiment.

Quel est votre style de management?

«C’est souvent difficile de se décrire, mais je crois que je délègue assez facilement. Je suis à la fois bienveillante et exigeante: je place la barre des compétences assez haut. L’honnêteté, la volonté de bien faire, le bon sens, le courage sont des valeurs essentielles, pour moi, chez mes collaborateurs.

Ce que j’aime par-dessus tout, c’est aider les gens à  progresser et à faire en sorte qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes.  C’est la raison pour laquelle l’évolution interne est privilégiée dans notre entreprise.

 Pour raccourcir le temps de déplacement de nos employés, nous avons loué des bureaux à Weiswampach.
Michèle Detaille

Michèle DetailleAdministratriceGroupe Alipa

Y a-t-il une attention qui est portée sur l’égalité des genres? 

« Oui. Je crois beaucoup à la richesse de la diversité. La diversité des genres en est une parmi d’autres. Cela ne vous surprendra pas si je vous dis que nous avons peu de femmes qui travaillent dans nos ateliers. Sur 80 personnes occupées dans nos ateliers, nous comptons seulement deux femmes.

Dans les autres fonctions, nous comptons à peu près autant d’hommes que de femmes. Dans les fonctions commerciales qui nécessitent de fréquents déplacements en Europe ou ailleurs dans le monde, nous constatons que, pour des raisons de vie privée, des femmes compétentes refusent les postes, car elles ne veulent pas se déplacer régulièrement pour les missions d’export.

Vous semblez être très à l’écoute de vos employés…

«Nous portons beaucoup d’attention au bien-être de nos collaborateurs et nous sommes attentifs à leurs besoins d’harmonisation de leur vie privée et de leur vie professionnelle.

Notre entreprise est située à Wiltz dans le nord et de nombreux collaborateurs viennent chaque jour de la région germanophone belge. Ce trajet leur prend parfois plus d’une heure. Pour raccourcir leur temps de déplacement, nous avons loué des bureaux à Weiswampach où le personnel peut travailler un ou deux jours par semaine. Certains sont désormais à 10 minutes, d’autres à 30 minutes de leur domicile.

Il est bon de se remettre en question de temps en temps et d’être plus en concordance avec les aspirations du moment.
Michèle Detaille

Michèle DetailleAdministratriceGroupe Alipa

Cette organisation est l’aboutissement d’une longue réflexion, elle est basée aussi sur la confiance et ça fonctionne! Les gens ne travaillent pas moins, au contraire.

C’est un coût pour l’entreprise…

«C’est un coût, bien sûr, mais c’est aussi le prix à payer pour avoir du personnel compétent et motivé. Ça a permis aussi de libérer certains bureaux à Wiltz et de réorganiser l’espace de travail: moins de bureaux attribués et plus d’open spaces, dont l’organisation a été pensée par les occupants eux-mêmes. 

Vous êtes la patronne du groupe Alipa, mais vous n’avez plus de bureau…

«C’est vrai, depuis plus d’ un an maintenant, je n’ai plus de bureau. Parce que je ne suis pas là tous les jours, je me suis dit: ‘Est-ce que finalement j’ai vraiment besoin d’autant de mètres carrés?’ Aujourd’hui, je m’installe là où il y a une place libre, dans le bureau d’un collaborateur ou dans un open space.

Depuis que je suis moi-même devenue nomade, j’ai remarqué que la barrière est aussi tombée avec les nouveaux venus que je connaissais moins bien (nous sommes 150, contre 17 au moment du rachat). Le dialogue s’engage aussi plus facilement. 

Avez-vous d’autres projets du genre?

«La prochaine étape, c’est AlipaFlex. C’est une réflexion sur le temps et l’organisation du travail. Le projet a pour but de voir s’il est possible d’aller plus loin dans la flexibilité des horaires en autorisant les employés à venir plus tard ou repartir plus tôt. Aujourd’hui, ça se fait déjà, mais à la demande.

Dans la gestion des ressources humaines aussi, il est bon de se remettre en question de temps en temps et d’être plus en concordance avec les aspirations du moment. 

Il faudrait aussi régler ce problème de mobilité pour les frontaliers.
Michèle Detaille

Michèle DetailleAdministratriceGroupe Alipa

Quels personnages vous inspirent?

 «Simone Veil. Sans doute pour ce qu’elle a réalisé, mais aussi pour sa façon d’être passé d’un rôle de magistrate à un rôle politique important, sans sacrifier trop de démagogie, pour la volonté de fer qu’elle a eue aussi pour imposer à son mari sa volonté de devenir une femme active.

Je dirais aussi Winston Churchill, car c’est un vrai personnage, avec son goût pour le whisky et le champagne, son charisme, son courage physique, ses grosses bêtises, ses bons mots. Un personnage qui n’est pas lisse du tout.

Je voudrais aussi citer Nelson Mandela, pour sa capacité à pardonner. Je ne suis pas une fan des luttes armées et des rébellions. Ce qui m’impressionne chez Mandela, c’est son absence de souhait de vengeance lorsqu’il est arrivé au pouvoir. Sa capacité à imposer à son parti et à ses alliés la politique de la main tendue à ses adversaires d’hier dans l’intérêt supérieur du pays. C’est remarquable.

Je dirais aussi Angela Merkel, pour sa rigueur et son engagement pour l’Europe. 

Le Luxembourg belge a beaucoup d’atouts.
Michèle Detaille

Michèle DetailleAdministratriceGroupe Alipa

J’imagine aussi que votre agenda doit être plein, qu’aimez-vous faire lorsque vous avez du temps libre?

«J’aime bien aller à la Philharmonie. À Paris, j’aime aller au théâtre. Je joue au golf. Je lis aussi un peu, pas autant que je le voudrais. 

Je me repose aussi, mais je m’ennuie très vite quand je ne fais rien (rires).

Quel regard portez-vous sur la province de Luxembourg dont vous êtes originaire et les relations avec le Grand-Duché?

«Je trouve que le Luxembourg belge a beaucoup d’atouts. De magnifiques paysages, une population avec une saine mentalité… Et je me dis parfois que si cette province appartenait au Grand-Duché de Luxembourg plutôt que d’être au bout de la Wallonie, on pourrait en développer des projets… Mais bon ça, c’est de l’ordre de l’utopie…

Je trouve aussi qu’avec le peu de moyens dont disposent les communes, les hommes et femmes politiques  de la province arrivent à préserver une belle qualité de niveau de vie, à créer des emplois…

Personnellement, je pense qu’on pourrait aller plus loin dans les contacts et renforcer les liens, en voyant ce qui est complémentaire entre les deux Luxembourg.

Il faudrait aussi régler ce problème de mobilité pour les frontaliers. Ça devrait être une priorité des pouvoirs politiques des deux côtés de la frontière.

Pour conclure, quel est votre slogan? «‘Quand on veut, on peut’ ou ‘Just do it’. Et c’est vraiment ma conviction, pour autant que l’on soit en bonne santé.»  

Michèle Detaille en trois dates