Kelly Hebert explique que la nouvelle directive assure la comparabilité des différents produits. (Photo: Herve Thouroude)

Kelly Hebert explique que la nouvelle directive assure la comparabilité des différents produits. (Photo: Herve Thouroude)

Une directive européenne impose désormais aux gestionnaires de fonds de préciser leur implication dans la finance durable. Le point avec Kelly Hebert, country head Belux et directrice de la distribution ESG chez M&G Investments.

L’entrée en vigueur de la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), le 10 mars dernier, est-elle un événement important pour l’industrie des fonds d’investissement?

Kelly Hebert. – «Oui, certainement. Elle concrétise une demande importante de la part des investisseurs, ces dernières années, d’obtenir plus de comparabilité, ce qui passe par plus de transparence. Nous avons vu la demande s’accroître fortement pour des solutions d’investissement plus durables. Or, si le thème était beaucoup discuté dans ­l’industrie financière, la finance durable ­n’offrait pas de réels points de référence ni de comparabilité aux clients.

Donc, si l’Union européenne veut concré­tiser ses ambitions climatiques et durables, ­l’industrie financière a un rôle très important à jouer. Des montants de capitaux très importants y sont disponibles, elle a donc un pouvoir d’influence conséquent pour rediriger ces ­capitaux vers des projets et des entreprises qui permettront d’atteindre ces objectifs environnementaux et climatiques stratégiques.

Qui dit nouvelle réglementation, dit inévitablement nouvelles contraintes. Qu’impose concrètement la SFDR aux gestionnaires de fonds?

«Cette directive nous impose de divulguer de manière transparente un certain nombre de données sur notre approche de l’intégration des facteurs ESG et de catégoriser chacun de nos fonds sur nos documents marketing ou légaux.

Elle donne un cadre de travail identique pour tout le monde. Si l’information fournie sur la durabilité devient donc comparable, la SFDR ne nous impose en aucun cas un standard minimum de comportement durable.

Nous avons donc dû mettre à jour nos diffé­rents documents contractuels (prospectus des fonds, sites internet, rapports marketing) qui, en fonction de la classification des fonds, doivent indiquer un certain nombre de données. Dans un second temps et d’ici fin 2022, la SFDR nous imposera davantage de granularité et d’indicateurs mesurables sur notre approche ESG au sein de chacun de nos fonds.

Donc, une charge supplémentaire de travail?

«Oui, absolument. Il s’agissait de données sur lesquelles on communiquait, mais pas de la manière dont l’exige la SFDR. Il a donc fallu dédier des ressources, des équipes ont travaillé nuit et jour, ces derniers mois, afin que nous soyons prêts à la date du 10 mars. C’est une directive qui a mis du temps à se mettre en place, jusqu’au moment où tout s’est accéléré. Mais c’est aussi une directive en plusieurs temps. Il a fallu bien comprendre ce qui devait être divulgué en mars 2021 et ce qui pouvait attendre 2022.

Concrètement, quelles sont les obligations déjà en vigueur?

«Depuis le 10 mars dernier, nous devons définir la classification des produits afin de pouvoir assurer de la comparabilité entre eux. Ceux-ci sont désormais divisés en trois catégories – article 6, article 8 et article 9 – selon le degré de durabilité que propose leur stratégie. Ces ­différents articles donnent aux investisseurs une indication sur le niveau d’inté­gration ESG, de durabilité ou d’impact dans la stratégie.

Pour le 10 mars, tous les asset managers devaient avoir déclaré, pour l’ensemble de leurs produits, à quel article le produit corres­pond. Dans un deuxième temps, en 2022, il faudra rentrer dans le détail et expliquer comment on peut affirmer que tel produit est durable, d’impact ou intégré ESG.

Vous ressentez la pression des investisseurs pour obtenir plus d’informations sur les produits?

«Oui, c’est très clair. Depuis environ deux ans, il n’y a quasiment plus un rendez-vous avec un client où on ne nous interroge pas sur notre politique en matière d’investissements ­socia­­lement responsables ou sur la manière dont on intègre l’ESG.

La mise en place de ces directives a fortement accéléré le phénomène, de même que la crise sanitaire qui sévit depuis un an. Les clients ont marqué leur envie d’avoir une contribution environnementale et sociétale via leurs investissements.

Certains types de clientèle sont plus demandeurs?

«La demande pour l’ESG vient de partout. Il y a une demande des clients finaux, mais aussi de la part des investisseurs institutionnels. Le ­assu­reurs, par exemple, vont avoir des respon­sabilités de communiquer leur empreinte carbone et devront expliquer comment ils répondent aux enjeux climatiques par leurs investissements. 2020 a marqué un basculement, et 2021 verra la formalisation de ce phénomène.

C’est donc une tendance faite pour durer…

«La demande n’est pas du tout retombée, effectivement. Tous les clients sont déjà en train de s’organiser par rapport à la nouvelle directive SFDR. L’ensemble de nos partenaires nous demandent des informations sur nos produits en rapport avec cette nouvelle directive. Au ni­veau des investisseurs institutionnels, la SFDR vient renforcer une tendance déjà bien installée. En Europe, on constate que 50% de leurs investissements sont déjà gérés de manière durable. Mais ils vont désormais se concentrer de plus en plus sur l’investissement d’impact. Du côté retail, on assiste à un changement historique dans l’industrie.

Les banques et compagnies d’assurances doivent revoir tous les produits qu’elles ont mis en avant par rapport à cette directive et vont certainement, elles aussi, devoir répondre à de nombreuses questions de leurs clients. Cela veut dire qu’on ne verra probablement bientôt plus de produits qui n’offrent pas une perspective durable, alors qu’il y en a d’accessibles. Les distributeurs vont revoir complètement leurs listes de produits en s’orientant vers plus de durabilité et d’impact investing.

Vu le succès, doit-on s’attendre à un déséquilibre entre offre et demande de produits durables?

«Dans l’univers coté, un portefeuille 100% durable et diversifié est désormais possible. Au niveau des produits d’impact, en revanche, c’est davantage accessible au travers d’actions, mais on observe plus de contraintes au niveau obligataire. Il y a une telle demande aujourd’hui pour les obligations vertes et sociales que le marché est peu liquide. La forte demande fait aussi que ces produits ne sont pas tous très intéressants actuellement en termes de rendement et de prix et requièrent beaucoup de sélectivité.

On peut construire un portefeuille basé à 100% sur ces produits, mais c’est un marché qui doit encore grossir. Ce qu’il fait d’ailleurs de mois en mois. Les entreprises émettent de plus en plus de ces obligations, au fur et à mesure que la demande s’accroît. Les produits d’impact sont au début de leur histoire, mais c’est la ­partie du marché qui grossit le plus vite et qui est la plus passionnante avec l’enjeu de mesurer la contribution nette de l’entreprise.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de  qui est parue le 24 mars 2021.

Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine, il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

Votre entreprise est membre du Paperjam Club? Vous pouvez demander un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via