On parle beaucoup d’un monde de la banque privée en phase de concentration. Des rumeurs ont aussi circulé sur une vente éventuelle de Degroof Petercam. Qu’en est-il exactement?
Bruno Colmant (B.C.) «Lorsqu’on regarde le tableau global du monde bancaire, on voit que Degroof Petercam est une banque de niche. Mon intuition me laisse penser que les réelles difficultés du monde bancaire seront surtout ressenties dans les banques de détail, en lien avec la faiblesse des taux d’intérêt et avec l’émergence de concurrents non issus du monde bancaire.
En tant que banque de niche, nous sommes beaucoup moins dépendants du contexte de taux d’intérêt négatifs. Or, on ne peut pas considérer de consolidation de banques de niche comme on pourrait le faire pour des banques de détail. Deuxièmement, la spécificité de la banque Degroof Petercam est d’avoir cette combinaison d’activités qui s’auto-entretiennent mutuellement.
Mais qu’en est-il d’une vente éventuelle?
B.C. «Je peux confirmer que le groupe n’est pas en vente. En même temps, on ne peut pas reprocher à des actionnaires de s’interroger sur la liquidité de leur investissement. C’est légitime. Il existe un actionnariat familial qui vient tant de chez Degroof que de chez Petercam et qui trouve son origine il y a 150 ans. Le fait d’avoir des familles qui ont décidé de concentrer leur patrimoine dans leur banque est le meilleur signe de confiance que l’on peut donner quant à sa pérennité.
Nous serions par contre plus intéressés à traiter avec de plus petits gérants d’actifs.
À l’inverse, vous scrutez des opportunités sur le marché?
B.C. «Pas pour le moment. Degroof Petercam est dans une phase de consolidation. Nous regarderons les dossiers qui se présenteront, mais nous ne sommes pas dans une logique de transformation majeure.
Bruno Houdmont (B.H.) «Nous serions par contre plus intéressés à traiter avec de plus petits gérants d’actifs qui, par rapport à un environnement changeant, pourraient réfléchir à s’adosser de manière capitalistique à une structure plus importante. À ce niveau, nous pouvons effectivement regarder les opportunités qui se présenteraient. Degroof Petercam a un profil qui pourrait intéresser ces acteurs.
B.C. «Il faut aussi bien garder à l’esprit que la banque est un métier bien plus domestique qu’on ne le pense. Et, dans une banque privée, la nature de la relation avec la clientèle ne se prête pas naturellement à de grandes économies d’échelle. Nous restons un métier à haute intensité d’emploi. On ne peut donc pas créer d’économies d’échelle gigantesques par une structuration informatique.
Vous avez démenti dans la presse belge les rumeurs de blanchiment. Degroof Petercam n’a donc rien à se reprocher en la matière?
B.C. «C’est un problème surtout lié à la Belgique. Les exigences en matière de documentation des comptes se sont accélérées au cours des dernières années. Or, il est vrai que la banque Degroof Petercam a pris un peu de retard dans cette documentation. Nous ne connaissons pas de cas de blanchiment au niveau de la banque, par contre nous avons connu un déficit en matière de documentation des comptes. L’explication vient du fait que, les clients étant tellement connus des private bankers, cette connaissance a été entendue comme un substitut à la documentation des comptes.
La force du Luxembourg est d’avoir réussi à garder l’unité de la nation sans entretenir la légende d’un passé disparu.
Or, aujourd’hui, le formalisme est devenu beaucoup plus important. Les autorités de contrôle nous ont donc demandé de nous mettre en règle à marche forcée. Nous avons démarré en juillet et, quasi six mois plus tard, nous avons très bien avancé. Cela a créé quelques frictions dans les mouvements de fonds, mais il fallait passer par cette phase. Il s’agit d’une charge administrative lourde, mais nous l’avons assurée. Lorsqu’on est confronté à un problème, on le résout et on avance.
Quelle place tient Degroof Petercam Luxembourg dans l’ensemble du groupe?
B.C. «La place de Degroof Petercam Luxembourg est essentielle dans le groupe. De manière historique, nous ne considérons pas la banque en Belgique sans considérer concomitamment le Luxembourg. D’autant plus que les activités de la banque, essentiellement en ce qui concerne le private banking, les fonds et les asset services, sont co-pilotées entre Bruxelles et Luxembourg. C’est une union quasi consubstantielle à l’existence du groupe.
Quelle est la mission exacte de l’entité luxembourgeoise?
B.H. «La mission du Luxembourg est de se placer dans l’axe ‘Belgique-Luxembourg’, un axe aligné et complémentaire. Dans les métiers principaux qui sont les nôtres – banque privée, fonds et asset services –, nous devons nous assurer que les rôles, les centres d’expertise, les capacités s’additionnent. Sur le pôle banque privée, nous devons avant tout voir comment, depuis Luxembourg, préserver un profil de hub européen du groupe.
L’essentiel des actifs au Luxembourg en banque privée provient en effet d’une clientèle européenne et internationale. Ses besoins et attentes sont principalement gérés depuis Luxembourg. Concernant le pôle asset services, qui est notre métier phare, nous continuons à renforcer notre rôle d’administration de fonds et de banque dépositaire pour le compte du groupe et de clients tiers à partir du Grand-Duché.»
Comment analysez-vous l’évolution de la place financière luxembourgeoise depuis les grandes évolutions de la finance internationale?
B.C. «Ma première année de travail (dans les années 1980, ndlr) s’est déroulée au Luxembourg. J’ai le souvenir d’un paysage économique qui n’avait pas encore amorcé son virage économique. Je suis revenu pour diriger ING Luxembourg entre 2002 et 2004. À ce moment, j’ai commencé à voir une nouvelle réalité. Progressivement, le modèle a migré de la banque privée vers la gestion d’actifs.
Aujourd’hui, on observe l’aboutissement complet du miracle. C’est un des plus extraordinaires exemples de renaissance d’une économie. Le pays dispose de très peu d’avantages concurrentiels, mais par l’intelligence collective et l’harmonie de la vision, il est parvenu à transformer son modèle d’entreprise à plusieurs reprises au cours des 70 dernières années. C’est extraordinaire. En économie, on appelle cela un miracle.
Le pays a pourtant dû pas mal s’adapter face aux nouvelles réglementations internationales…
B.C. «La force du Luxembourg est d’avoir réussi à garder l’unité de la nation sans entretenir la légende d’un passé disparu. Il a su sécuriser sa transition. Les pays qui ont le plus de mal à réaliser cette mutation sont d’ailleurs des pays qui s’ancrent dans des traditions révolues. C’est le cas de la Wallonie, par exemple. L’ancrage culturel et parfois idéologique dans une tradition révolue est trop important. Au Luxembourg, il existe une polarisation positive des énergies vers des projets de prospérité.»