Damien Petit est responsable des investissements Banque Privée chez Banque de Luxembourg. (Photo: Banque de Luxembourg)

Damien Petit est responsable des investissements Banque Privée chez Banque de Luxembourg. (Photo: Banque de Luxembourg)

L’exceptionnalisme américain est mis à mal. Le relèvement brutal des tarifs douaniers et l’imprévisibilité de la politique économique de l’administration Trump pèsent sur la valorisation des actifs américains.

L’augmentation des tarifs douaniers aux États-Unis, brutale et nettement plus sévère qu’anticipée, est unique dans l’histoire économique. Le taux de tarif moyen américain, multiplié par un facteur de l’ordre de 10, est dorénavant au plus haut depuis plus d’un siècle. Proche de 150%, le taux s’appliquant aux importations chinoises constitue un embargo de fait intenable dans la durée sur la seconde plus grande puissance économique.

Ce retour à une politique protectionniste outre-Atlantique met un terme à une très longue période marquée par une globalisation croissante des échanges, favorable à la dynamique économique mondiale.

Des ambitions économiques complexes à mettre en œuvre

Les objectifs poursuivis par l’administration américaine sont clairement annoncés: une «réindustrialisation» des États-Unis par l’entremise d’un rapatriement d’activités sur le sol américain, une correction des déficits commerciaux américains grâce à une progression des exportations et une réduction des importations et la génération de revenus autorisant un allègement de la fiscalité.

Ces objectifs ne pourront toutefois être atteints – au mieux – que dans un horizon de long terme, se mesurant en années. Le rapatriement des chaînes de production sur le sol américain nécessite en effet des investissements conséquents qui ne peuvent être réalisés dans des délais courts. La rentabilité de ces investissements pourrait également s’avérer insuffisante. Les coûts de production seront en effet nécessairement plus élevés et les prix finaux des biens en nette progression, risquant de contraindre la demande en provenance du consommateur et les marges des entreprises. Les bienfaits à long terme de cette politique protectionniste sur l’économie américaine paraissent très incertains. À brève échéance, les premières conséquences sont en revanche d’ores et déjà bien visibles et, sans surprise, clairement négatives.

Premiers impacts sur les indicateurs de confiance

Les indicateurs de confiance s’inscrivent en net recul, que ce soit au niveau des entreprises ou au niveau du consommateur américain, le moteur de l’économie. Qui plus est, ce dernier anticipe une brusque hausse des prix à horizon 12 mois, à un niveau inégalé depuis le début des années 1980.

Il est important de rappeler qu’environ 40% des dépenses aux États-Unis sont effectuées par les 20% des consommateurs bénéficiant des revenus les plus élevés. Avec la correction récente des marchés (par rapport au point haut atteint mi-février, le S&P 500 a perdu pratiquement 20% en devise locale), ce segment de consommateurs aisés est dorénavant pénalisé par des effets richesse négatifs. En outre, les ménages moins favorisés ont épuisé l’épargne excédentaire générée lors de la période du Covid.

Évolution de la confiance des consommateurs Source: University of Michigan, Banque de Luxembourg

Évolution de la confiance des consommateurs Source: University of Michigan, Banque de Luxembourg

Évolution des attentes des consommateurs en matière d’inflation  Source: University of Michigan, Banque de Luxembourg

Évolution des attentes des consommateurs en matière d’inflation  Source: University of Michigan, Banque de Luxembourg

Plus surprenant et inquiétant que le recul des marchés actions, les taux à long terme ont nettement progressé début avril. Un signal fort pour l’administration américaine, qui fait face à des finances publiques très dégradées, rappelée ainsi à l’ordre par le marché obligataire. Le dollar faiblit également sensiblement, les critiques acerbes du président Trump concernant la politique monétaire menée par la Federal Reserve et les velléités de remplacer son président Jerome Powell faisant craindre une perte d’indépendance de la Banque centrale américaine.

Sous la pression des marchés, Donald Trump a dès lors été contraint de réagir, annonçant une suspension des tarifs réciproques – à l’exception notable de la Chine – durant une courte période de 90 jours. Une première volte-face en vue de laisser un peu de temps pour les négociations bilatérales et surtout calmer les marchés. Elle fut suivie par d’autres, dont notamment l’exemption des taxes réciproques sur des biens électroniques tels les ordinateurs, téléphones portables, ramenant les tarifs sur ces biens en provenance de Chine à 20%.

Une riposte chinoise peu appréciée

Le président Trump a peu apprécié la riposte chinoise, les autorités du pays annonçant également plusieurs relèvements successifs des droits de douane sur les produits américains pour porter ainsi le taux au niveau prohibitif de 125%.

L’administration américaine semble sous-estimer la capacité de résistance de la Chine. Les importations chinoises aux États-Unis représentent environ 450 milliards de dollars, soit environ 13% des importations totales et 1,5% du PIB outre-Atlantique. Une large portion de ces importations est toutefois difficilement substituable à brève échéance, en particulier dans les domaines de l’électronique et de la technologie. La Chine peut par contre plus aisément poursuivre la réduction de sa dépendance aux importations américaines – qui représentent 13,4% des importations totales du pays en 2024 contre plus de 20% en 2016 – notamment au niveau des produits agricoles ou de l’énergie.

Des mesures de rétorsion non tarifaires ont aussi été adoptées par la Chine, dont notamment la suspension des exportations de plusieurs catégories de terres rares, composants essentiels pour de nombreuses industries américaines (défense, technologie…). En outre, le rejet des grandes marques américaines par le consommateur chinois pèsera très probablement sur les ventes de nombreuses multinationales outre-Atlantique. Enfin, la Chine dispose également de la possibilité d’assouplir davantage sa politique budgétaire en vue de favoriser la consommation domestique.

En conclusion, la guerre commerciale lancée par la nouvelle administration Trump devrait ralentir sensiblement la croissance mondiale et générer une poussée temporaire d’inflation. Un scénario de récession ne peut être exclu outre-Atlantique. Plus les délais de conclusion d’accords bilatéraux avec les principaux partenaires s’allongeront, en particulier avec la Chine, plus les dégâts économiques s’accumuleront. Si les États-Unis continuent de disposer d’avantages compétitifs significatifs sur les plans technologique, énergétique ou encore militaire, ce retour brutal à une politique protectionniste est de nature à remettre en cause la crédibilité du pays en tant que partenaire commercial fiable.