Les effectifs de l’armée luxembourgeoise tournent actuellement autour de 900 personnes (Photo: DR)

Les effectifs de l’armée luxembourgeoise tournent actuellement autour de 900 personnes (Photo: DR)

Avec la crise ukrainienne, les questions de défense ont pris une ampleur inédite au Luxembourg. Le temps où le pays pouvait se faire oublier sous le couvert du bouclier nucléaire de l’Otan est révolu. Il doit augmenter ses dépenses de défense. Un coût. Mais aussi des sources d’opportunités.

C’est une cause acquise: dans le jargon de l’Alliance atlantique, le Luxembourg est une «no-capability Nato nation», ne disposant pas des moyens propres pour défendre son territoire. Ce qui ne veut pas dire que le pays n’a pas une politique de défense et ne se donne pas les moyens d’en avoir une. C’est un chiffre peu connu, mais selon les données du Stockholm International Peace Research Institute (Sipri), le Luxembourg a dépensé en 2023, au titre de son effort militaire, 1.011,4 dollars par habitant, ce qui le situe au-dessus de la moyenne des pays membres de l’Otan (748,2 dollars). Ce qui fait aussi du Luxembourg un des pays les plus dépensiers dans ce domaine avec les États-Unis, le Royaume-Uni et les pays scandinaves.

L’effort de défense

Comment est actuellement calculé l’effort de défense du Luxembourg? Selon le rapport de l’Administration de la défense le plus récent, intégré dans le rapport annuel 2023 du ministère des Affaires étrangères, , le calcul de l’effort de défense inclut le budget de la Direction de la défense, le budget de l’armée luxembourgeoise, les dépenses du Fonds d’équipement militaire pour financer les grands projets d’investissement, une quote-part de 1,6% du budget global de la police, les pensions des militaires retraités, quatre articles budgétaires en lien avec les missions OMP (les opérations de maintien de la paix de l’Organisation des Nations unies) et certains projets de l’Administration des bâtiments publics. L’aide au développement et l’aide humanitaire ne sont pas comptabilisées dans les efforts de défense du Luxembourg, bien que le pays poursuive une politique étrangère et de sécurité intégrée dite «des 3D» (diplomatie, défense, développement). En 2024, l’effort de défense du Luxembourg se situe aux alentours des 2% de son budget étatique total, effort qui devrait être augmenté jusqu’à 7,5% pour atteindre, d’ici 2030, les 2% du revenu national brut (RNB) du pays.

Un problème de dépense

Cet effort de défense doit être en ligne avec les engagements pris auprès de l’Otan, qui a ses propres méthodes de calcul. L’Alliance a fixé deux objectifs principaux à ses membres: réserver au moins 2% de leur PIB aux efforts de défense et consacrer au moins 20% de ces dépenses à l’acquisition de nouveaux équipements majeurs.

L’objectif de 2% du PIB a été revu à la baisse pour le Luxembourg lors du sommet de l’Otan de Vilnius en 2023. Le ministre de la Défense de l’époque, (déi gréng), avait alors obtenu que l’on ne calcule plus la participation du pays par rapport au PIB, mais par rapport au RNB. Le RNB, qui est égal au PIB diminué des revenus des non-résidents et augmenté des revenus reçus du reste du monde. Cela avait permis de faire passer la facture théorique de 1,4 milliard à 1,1 milliard. Mais cela ne résout en rien le «véritable problème» du Luxembourg, à savoir comment dépenser cette somme. Pour ce qui est de l’objectif d’acquisition d’équipement majeur, le pays est bien au-dessus des objectifs de l’Alliance atlantique avec 50,3% des dépenses du pays consacrées à de tels achats. Ce qui place le Luxembourg sur le podium, derrière la Pologne et la Finlande. Mais le matériel n’est pas tout, il faut le personnel autour pour l’activer. La guerre en Ukraine rappelle que c’est au niveau de l’occupation du terrain, et donc des troupes au sol, que se joue l’issue d’un conflit. Et sur la question des effectifs, les marges de manœuvre apparaissent comme inexistantes. Ce qui limite de facto les achats de matériels militaires, sauf à les confier à de tierces parties.

Une armée de 900 soldats

Les effectifs de l’armée tournent actuellement autour de 900 personnes. Le plan de recrutement pour la période 2020-2026 fixe un objectif de recrutement de 45 personnes par année, dont 15 civils. Des objectifs partiellement atteints. Dans le projet de loi 8057 portant modification de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire déposé le 28 juillet 2022 et voté le 23 février 2023, on pouvait lire que l’objectif pour les carrières militaires n’avait pas été atteint «alors que le recrutement des civils a même dépassé les prévisions à la suite de la réattribution de postes militaires», note la cellule scientifique de la Chambre des députés. Face à ce problème, le gouvernement a prévu «de veiller à accroître l’attractivité de l’armée luxembourgeoise en tant qu’employeur». Pour l’exercice 2024, 52 recrutements ont été budgétisés dans l’armée et 90 dans la police.

Une volonté politique

Globalement, la politique de défense figure en bonne place dans l’accord de coalition, qui en fait une priorité. «Le gouvernement donne une nouvelle priorité à sa politique étrangère et européenne, pour s’impliquer davantage aux niveaux européen, bilatéral et multilatéral, pour mieux protéger nos citoyens avec une défense nationale plus robuste et un renforcement de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et pour assurer notre prospérité avec une politique de commerce extérieur plus ambitieuse», peut-on y lire. Le gouvernement indique également sa volonté «d’intensifier la coopération avec les autres États et avec les organisations internationales, afin de contribuer à la paix et la stabilité internationale et, plus généralement, afin de se préparer au mieux aux crises, menaces, tensions et défis, toujours plus fréquents et complexes à l’échelle globale». Lors du discours sur l’état de la Nation, le Premier ministre,  (CSV), a avancé à 2030 la deadline pour atteindre 2% du RNB, quatre ans plus tôt. Concrètement, l’accord mentionne plusieurs projets d’investissement. «Le centre militaire de Diekirch, le camp militaire Waldhof ainsi que le champ de tir au Bleesdall seront réhabilités et modernisés», peut-on encore lire. La mise en place d’un hôpital militaire est envisagée. De même que la mise en place d’un bataillon de reconnaissance binational belgo-luxembourgeois.

696,3 millions pour 2024

Une volonté politique qui se traduit en espèces sonnantes et trébuchantes. En mai dernier, le gouvernement a annoncé un investissement de 2,6 milliards d’euros dans la défense. Cette enveloppe budgétaire englobe l’acquisition de véhicules militaires dans le cadre du futur bataillon belgo-luxembourgeois. En même temps, cet investissement entend moderniser l’armée luxembourgeoise en vue de la défense collective au sein de l’Otan. Tout ne se fera pas en un jour, ou en un budget. Le budget 2024 constitue la première étape. 696,3 millions vont à la défense, ce qui permettra au Luxembourg d’atteindre le seuil de 1,29% de son RNB et 0,83% de son PIB dès 2024. Sur ce montant, 69,5 millions d’euros seront consacrés à l’aide à l’Ukraine. L’Ukraine qui, depuis le début de l’agression russe, a reçu 170 millions de la part du Grand-Duché. Parmi les gros postes de dépenses, on trouve les frais de personnel, qui sont passés de 77,263 millions en 2023 à 94,845 millions en 2024, et les frais d’armements, qui atteignent 3,797 millions en 2024 (+61% par rapport au budget 2023). La contribution du Luxembourg dans le cadre de la politique de défense de l’Otan reste stable à 35 millions d’euros. Le budget a également validé l’engagement de frais d’études pour le réaménagement de camp militaire de Waldhof.

23,847 millions pour la recherche

Mais l’effort du gouvernement n’est pas que «défensif». À côté de la consolidation des activités de l’armée figure en bonne place dans l’accord de coalition la diversification des activités de défense. L’objectif est d’investir dans des projets et des secteurs susceptibles à la fois «de renforcer la résilience du pays face aux crises» et de créer «des retombées positives au Luxembourg tant au niveau sociétal qu’économique». Afin de soutenir les projets et programmes en matière de recherche, technologie et développement à objectifs ou retombées visés dans le domaine de la défense, le gouvernement a voté une enveloppe de 23,847 millions d’euros. À titre de comparaison, cette enveloppe atteignait 14,708 millions en 2023 et 4,252 millions en 2022.

Trois domaines sont mis en avant: l’aérien, le cyber et l’espace. Le budget 2024 au titre des «développements, locations et acquisitions de services» dans ces domaines prévoit respectivement des enveloppes de 14,116 millions d’euros pour les technologies spatiales, de 2,853 millions dans le domaine de la cybersécurité et de 5,137 millions dans celui transversal des systèmes de communication et d’information. Bataillon belgo-luxembourgeois, spatial, capacités de défense antiaérienne et antimissile, cyber, médical, hub logistique multimodal à Sanem mais aussi efforts d’autres ministères en faveur de la Défense, y compris les intérêts sur des prêts de l’État ou les prestations sociales: à peine le Premier ministre Luc Frieden avait-il terminé son discours sur l’état de la Nation, le 11 juin, que la ministre de la Défense (DP) a donné toutes les pistes de dépenses, probablement validées par l’Otan la semaine précédente lors de sa rencontre avec le secrétaire général de l’organisation transatlantique, Jens Stoltenberg, et formellement présentées les 13 et 14 juin aux ministres européens de la Défense à Bruxelles, avant le sommet attendu de l’Otan les 11 et 12 juillet à Washington. En attendant que soient fixées de nouvelles demandes qui rebousculeront le calendrier luxembourgeois…

Trajectoire pour atteindre les 2% en 2030. (Photo: Ministère de la Défense)

Trajectoire pour atteindre les 2% en 2030. (Photo: Ministère de la Défense)

Cybersécurité au Luxembourg: défis et opportunités

Dans un paysage numérique en évolution rapide, le Luxembourg est confronté à d’importants défis et opportunités en matière de cybersécurité, notent Simon Petitjean, spécialiste de la cybersécurité offensive, et Maxime Pallez, expert en gouvernance de la cybersécurité chez PwC. Alors que «le secteur financier luxembourgeois est une cible de choix», les deux spécialistes insistent sur «le besoin de défenses solides». Face à ce risque, le premier défi à relever est «la grave pénurie de professionnels qualifiés en matière de cybersécurité au Luxembourg». Plus globalement, l’avenir du Luxembourg en la matière dépend de son adaptation à l’évolution des menaces, de l’exploitation de la technologie et de la promotion de la collaboration. En relevant ces défis et en s’alignant sur les initiatives de l’UE, le Grand-Duché peut les transformer en opportunités de croissance et de leadership à l’ère numérique. «En mettant en place les bonnes stratégies, le Luxembourg peut se positionner en tant que leader en matière de cybersécurité.»

3,6%

En 1954, le Luxembourg avait consacré 3,6% de son RNB, soit 2,94% de son PIB de l’époque, à la défense. Montant record à ce jour. En 1954, les dépenses militaires atteignaient 425 millions de francs luxembourgeois (soit 86,5 millions d’euros en mars 2024) et pesaient 10% du budget de l’État.

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de Paperjam paru le 19 juin. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.  

 

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