«Nous n’avions aucun moyen de contrôler la situation sans inclure les asymptomatiques, parce que n’importe qui pouvait être infecté par une personne asymptomatique à n’importe quel moment», explique le CEO du LIH, Ulf Nehrbass. «C’est pourquoi la situation est devenue si incontrôlable.» (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

«Nous n’avions aucun moyen de contrôler la situation sans inclure les asymptomatiques, parce que n’importe qui pouvait être infecté par une personne asymptomatique à n’importe quel moment», explique le CEO du LIH, Ulf Nehrbass. «C’est pourquoi la situation est devenue si incontrôlable.» (Photo: Matic Zorman / Maison Moderne)

Alors que le dépistage massif de la population luxembourgeoise a commencé depuis fin mai, le CEO du LIH, Ulf Nehrbass, explique en détail cette stratégie complexe, les objectifs poursuivis et la méthode adoptée, qui se base sur un traçage de contacts méticuleux.

De nombreuses stratégies de dépistage se sont accumulées au fil du temps au Luxembourg. Quelles sont-elles?

Ulf Nehrbass. – «Il y a en premier lieu le dépistage classique de personnes avec des symptômes. Le Luxembourg faisait d’ailleurs déjà partie des pays qui testent le plus en Europe, et je suppose dans le monde.

En parallèle, de nombreuses stratégies additionnelles ont débuté. L’étude ‘Con-Vince’ s’intéresse à la manière dont le virus se répand à travers la population. Elle analyse aussi comment l’immunité se construit et sa présence au sein de la population.

Une autre étude, appelée ‘Predi-Covid’, est une enquête clinique qui essaie de comprendre pourquoi chez certains patients la maladie est si grave, alors que pour d’autres, elle ne l’est pas.

Le dépistage massif est une mesure de santé publique, différente des autres. Il n’y a pas besoin d’avoir des symptômes pour venir se faire tester, car l’idée est que le Covid-19 est spécifique vu qu’une personne infectée peut être complètement asymptomatique.

Le problème de ce virus est que le traçage des contacts est très difficile.
Ulf Nehrbass

Ulf NehrbassCEO du LIH

Quelle est la spécificité de ce virus?

«Le problème de ce virus est que le traçage des contacts est très difficile. Quand vous avez un cas positif, vous avez de nombreuses autres infections sans symptômes.

Par exemple, avec les autres pandémies de coronavirus, comme le SARS, le taux de mortalité, à 10%, est très élevé, mais vous devenez infectieux seulement trois jours après le début des symptômes, qui sont très sérieux. Avec le MERS, 30% des personnes meurent, mais vous ne devenez infectieux que quand vous êtes pratiquement mort. Donc ce sont des virus très inquiétants, mais en termes d’épidémiologie, c’est très évident parce que vous pouvez toujours tracer les contacts.

Le Covid-19 est différent: il est très infectieux, alors que vous n’avez pas de symptômes. Donc le principal défi est de gérer le traçage des contacts.

Comment est apparue l’idée de cette stratégie de dépistage à grande échelle?

«L’idée est devenue claire quand nous avons compris que le taux de personnes asymptomatiques était très élevé parmi celles contaminées. Pour chaque personne avec symptômes, il en existe entre 5 et 10 sans symptômes. De plus, le temps d’incubation est extrêmement long, il peut prendre jusqu’à deux semaines. Et il était clair que l’immunité mettait beaucoup de temps à se développer, et qu’une personne infectée pouvait être infectée à nouveau.

Donc il était évident que nous n’avions aucun moyen de contrôler la situation sans inclure les asymptomatiques, parce que n’importe qui pouvait être infecté par une personne asymptomatique à n’importe quel moment. C’est pourquoi la situation est devenue si ‘incontrôlable’.

Donc si vous avez peu de personnes avec des symptômes, et beaucoup d’asymptomatiques qui sont infectés, alors il n’y a qu’un seul moyen pour contrôler la situation: vous devez tester tout le monde. D’où la stratégie de dépistage massif, qui permet d’identifier les asymptomatiques immédiatement, puis de les isoler et de briser les chaînes d’infection.

La question est: qui peut actuellement organiser cela? Très peu de pays. Mais le Luxembourg peut, car c’est un pays très bien organisé, avec des ressources et de petite taille.

La mise en pratique de cette stratégie est complexe. Pouvez-vous l’expliquer?

«Nous avons divisé la population en trois catégories. La première est celle des personnes à haut risque, qui ont un risque élevé d’être infectées et d’infecter à leur tour. Ce sont les gens qui, dans leur travail, ont chaque jour beaucoup d’interactions avec d’autres, comme dans la restauration, les salons de coiffure ou la police. Ces personnes sont testées toutes les deux semaines, encore et encore, afin qu’il n’y ait aucun risque qu’une chaîne d’infection puisse apparaître sans que nous ne le sachions. Bien sûr, tout le monde ne va pas revenir toutes les deux semaines. Mais une personne sur deux ira à une session de test chaque semaine.

Ensuite, il y a les secteurs professionnels, car il est très important pour l’économie que les personnes puissent retourner au travail autant  que possible en sécurité. Nous prenons alors l’ensemble des secteurs, comme les écoles ou les banques. Dans les banques, par exemple, il y a 60.000 personnes, que nous séparons en cinq groupes de plus de 10.000 personnes. Il faut qu’ils soient représentatifs: dans chaque banque, dans chaque bureau, une personne sur cinq est testée par semaine.

Et pour le reste de la population générale, ceux qui n’ont pas de code NASS, ces personnes seront aussi invitées. Dans ce cadre, une personne sur dix est testée chaque semaine dans chaque groupe.

Dans les faits, ce que nous faisons, ce n’est pas tester un pays, c’est tester des cellules de cinq personnes.
Ulf Nehrbass

Ulf NehrbassCEO du LIH

Quel est l’objectif de cette stratégie?

«Imaginez: dans le secteur bancaire, dans votre bureau, là où vous travaillez: chaque semaine, il y a au moins une personne sur cinq qui ira se faire tester. Dans les faits, ce que nous faisons, ce n’est pas tester un pays, c’est tester des cellules de cinq. Ce sont des cellules virtuelles parce qu’elles sont statistiques. Si quelqu’un a une infection, combien de temps cela nous prend avant que nous ne le repérions? Une semaine. C’est un filet très serré qui est déployé.

Il n’y a ainsi plus d’espace pour que le virus circule et crée un hotspot. Pouvons-nous arrêter les infections? Non. Pouvons-nous détecter les infections très tôt? Oui. Donc par ce biais, nous permettons aux gens de continuer à vivre une vie presque normale.

Bien sûr, des gens vont continuer à être infectés individuellement, donc il faut continuer à porter les masques et à respecter les gestes barrières pour minimiser les risques. Mais cette stratégie ne concerne pas les individus, c’est un acte solidaire. Et si tout le monde y participe, cela maintiendra le pays en sécurité.

Ce dépistage repose sur le volontariat. Les gens sont invités, mais peuvent ne pas venir. Les gens invités viennent-ils se faire dépister?

«Quand nous avons commencé, nous étions à 2.000 personnes qui venaient se faire tester par jour. Maintenant, nous sommes proches des 8.000 par jour, pour une capacité maximale de 20.000 par jour. Sur le nombre d’invitations envoyées, nous attendons 50% de réponses, ce qui est un bon résultat.

Désormais, nous améliorons la communication et nous nous attendons à ce que ces chiffres augmentent. Nous commençons une campagne d’information, nous expliquons davantage dans les courriers d’invitation, nous participons à des interviews. Et ce que nous pouvons voir, c’est que la participation est déjà en train d’augmenter. Les personnes commencent à comprendre que c’est une bonne chose, que le test, qui s’effectue par la gorge et non par le nez, n’est pas douloureux, et qu’il est très rapide.

 Notre peur diminue, notre capacité à être disciplinés aussi, alors que le virus est toujours là.
Ulf Nehrbass

Ulf NehrbassCEO du LIH

Combien de temps le dépistage massif va-t-il continuer?

«Au début, ce qui a été annoncé est que tout le monde allait se faire tester, ce qui était vrai. Mais les gens ont aussi compris que tout le monde allait se faire tester dans les six semaines, ce qui n’a pas aidé. Parce que si on se fait infecter après les six semaines, quel est l’intérêt?

Tant qu’il y a le virus, il n’y a pas de raison d’arrêter. La première phase dure jusqu’à fin juillet. Si nous arrêtons fin juillet, le virus, lui, s’en moque: il est plutôt opportuniste. Après fin juillet, nous aurons un outil qui fonctionne pour quand la seconde vague arrivera.

Vous attendez-vous à une seconde vague?

«Je pense que c’est probablement ce qui va arriver. Les gens vont aller en vacances, puis revenir. Il va y avoir plus d’interactions dans les salles fermées. Notre peur diminue, notre capacité à être disciplinés aussi, alors que le virus est toujours là. Ce serait très étrange que cela ne revienne pas.

L’Iran a une très mauvaise deuxième vague, pire que la première. Aux États-Unis, dans certains États, cela revient. À Pékin, il y a une seconde vague. Je ne vois pas pourquoi, au Luxembourg, nous n’en aurions pas. Mais si nous avons les outils en place, nous n’avons pas à être trop effrayés.

La stratégie de dépistage peut-elle s’adapter à une remontée du nombre de cas?

«Cela fonctionnera. Si vous interceptez le virus assez tôt, si vous pouvez suivre les contacts individuels, les tracer, vous pouvez comprendre et rationaliser la chaîne d’infections et ainsi rester dans une stratégie d’endiguement.

Tant que le nombre d’infections est bas, le filet ne doit pas être trop serré. S’il remonte, il faudra alors le resserrer. Cela dépend du taux de reproduction du virus, la valeur R: si la valeur remonte, il faut que les gens viennent davantage se faire dépister.

Si je devais planifier une deuxième phase de dépistage, je l’organiserais sûrement avec un taux raisonnable, de 1 sur 10, ou de 1 sur 20. Mais avec la capacité de revenir à 20.000 tests par jour si une deuxième vague survient et que cela devient nécessaire.

Selon les projections, avec le dépistage massif, nous pouvons garder une seconde vague plate. Ce que nous devons calculer maintenant, c’est combien de tests sont nécessaires pour garder cette courbe plate, et de combien de personnes doivent être composées les cellules virtuelles pour que la courbe reste aussi plate que possible.»