Selon la ministre de la Défense, Yuriko Backes, le gouvernement décidera d’une éventuelle accélération des dépenses avant le sommet de l’Otan en juin. (Photo: Otan)

Selon la ministre de la Défense, Yuriko Backes, le gouvernement décidera d’une éventuelle accélération des dépenses avant le sommet de l’Otan en juin. (Photo: Otan)

Ce jeudi et vendredi, Luc Frieden participe à un Conseil européen dédié (entre autres) à l’avenir de la défense européenne. Le Luxembourg ne veut pas céder à une course aux dépenses militaires. Le gouvernement confirme l’objectif de 2% du RNB en 2030. Sans exclure une accélération de la trajectoire.

Permettre aux États membres de s’endetter pour la défense en sortant du cadre budgétaire européen. C’est l’idée du  présenté le 4 mars par la Commission européenne. «Si les États membres augmentaient en moyenne leurs dépenses de défense de 1,5% du PIB, cela pourrait créer un espace budgétaire de près de 650 milliards d’euros sur une période de quatre ans», a argumenté la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.

Le Luxembourg compte-t-il exploiter cette marge budgétaire supplémentaire? À ce stade, le gouvernement ne s’y engage pas. «Actuellement, la feuille de route fixée par le gouvernement en juin 2024 est toujours en vigueur: 2% du revenu national brut (RNB) en 2030», répondent les services de la ministre de la Défense, . «2% est bien le niveau d’ambition fixé et confirmé par tous les alliés de l’Otan aux sommets de Vilnius (2023) et de Washington (2024).»

Et de préciser: «Dans le contexte géopolitique actuel, le gouvernement est conscient que notre sécurité et notre défense demandent une action et un effort communs. C’est dans cet esprit que nous saluons l’orientation du récent paquet défense ReArm Europe présenté par la Commission européenne. Les réflexions quant à une éventuelle accélération de la trajectoire, ainsi que de son financement, se poursuivent au sein du gouvernement. Une décision sera prise par le conseil de gouvernement en amont du sommet de l’Otan.»

2% du RNB avant 2030?

Le passage à 2% du RNB en 2030 représente déjà «un effort très important», souligne la Chambre de commerce dans une note publiée en septembre 2024 (disponible en fin d’article). «Pour tenir cet engagement, entre 2024 et 2030, le Luxembourg augmentera son budget de défense de 728 millions à 1,461 milliard d’euros, soit un doublement de l’effort de défense en six ans.»

Atteindre l’objectif de 2% du RNB avant 2030 n’est pas exclu, a expliqué le ministre des Finances, (CSV), dans une interview accordée à 100,7 lundi 17 mars. Mais si, par hypothèse, le pays portait ses dépenses de défense à 2% dès le 1er janvier 2026, cela représenterait 400 millions d’euros supplémentaires, en plus des 800 millions d’euros déjà prévus dans le budget, selon le ministre. Le Luxembourg devrait alors investir 1,2 milliard d’euros par an dans la défense.

Comment couvrir ces dépenses supplémentaires le cas échéant? Le Luxembourg devrait mobiliser plusieurs sources de financement, répond Gilles Roth. Il cite le recours à l’endettement – en respectant la limite de 30% d’endettement maximal – et la réaffectation de dépenses d’investissement, voire des moyens extrabudgétaires.

Une remise en cause de baisses d’impôts n’est pas à exclure par principe.
Vincent Hein

Vincent HeindirecteurIdea

«L’accélération de la trajectoire – aller au-delà de 2% – se fera probablement avec un cocktail de décisions sur le plan fiscal», estime le directeur de la fondation Idea, Vincent Hein. «Un endettement plus important n’est pas à exclure par principe, de même qu’une remise en cause de prochaines baisses d’impôts que certains pouvaient avoir en tête – par exemple sur la fiscalité des personnes physiques avec la réforme attendue des classes d’imposition.»

Pour l’économiste, «si cela est permis par le cadre européen, il ne faudrait pas s’interdire d’autres initiatives comme des prises de participation de l’État dans des entreprises stratégiques, ou encore des mécanismes d’orientation de l’épargne des ménages vers de tels investissements, voire un emprunt public auprès des résidents. Tout cela pourrait être mis sur la table. Le Luxembourg a la chance d’avoir à ce jour un niveau d’endettement relativement modéré, même s’il ne faut pas mettre sous le tapis la dette implicite liée à la dégradation attendue des comptes de la protection sociale en raison du vieillissement.»

Sur le plan de l’orientation des efforts, insiste Vincent Hein, «la stratégie du gouvernement devra s’opérer en maximisant deux impacts, pas nécessairement alignés, à savoir celui d’augmenter autant que possible les retombées économiques et technologiques sur l’économie luxembourgeoise de ces dépenses nouvelles – effet multiplicateur – et celui d’aboutir à une réelle efficacité opérationnelle de la défense nationale – et européenne car c’est le but in fine. Il faudra en d’autres termes marier les objectifs économiques à la pensée stratégique, veiller à ne pas dépenser pour dépenser».

Miser sur la cybersécurité

«Une augmentation d’une telle ampleur des dépenses de défense demande une approche variée et diversifiée dans les investissements», avance le directeur d’Idea. «Concernant les retombées économiques et surtout technologiques, le Luxembourg peut, à la fois, orienter une partie de ses dépenses sur l’expertise d’acteurs nationaux – notamment dans le domaine des satellites – pour renforcer ses investissements de R&D, ce qui est fait actuellement via des appels à projet conjoints . Ou encore sur un domaine prioritaire de la diversification économique avec des retombées civiles comme la cybersécurité.»

Luxinnovation et la Luxembourg House of Cybersecurity ont répertorié, à partir de données de décembre 2019, plus de 300 entreprises luxembourgeoises actives dans la cybersécurité. «L’écosystème ne cesse de croître, étant donné l’importance accordée au sujet à l’échelle mondiale et le nombre croissant de cyberattaques. La moitié des entreprises de cybersécurité luxembourgeoises ont été créées dans les cinq dernières années, et des start-up spécialisées dans les nouvelles technologies contribuent de manière significative au développement de l’écosystème», explique Luxinnovation sur son site.

Les acteurs luxembourgeois prennent de plus en plus de place dans la défense européenne. En 2024, l’agence nationale de l’innovation dénombrait 20 entreprises impliquées dans 28 projets du Fonds européen de défense. Avec un budget d’environ 8 milliards d’euros pour 2021-2027, cet outil de la Commission européenne aide les États membres à développer des projets de défense ensemble, tout au long du cycle de recherche et développement.

Dans son rapport sur la compétitivité de l’UE, Mario Draghi appelle également les États membres à «assurer une intégration industrielle durable des entreprises européennes dans le secteur de la défense». «Les dépenses supplémentaires dans le domaine doivent se réfléchir dans un contexte européen», conclut Vincent Hein.