Les bâtiments qui ne seront pas conçus pour intégrer les nouvelles règles environnementales verront leur attractivité de vente ou de location fortement chuter. (Photo: Maison Moderne/Matic Zorman)

Les bâtiments qui ne seront pas conçus pour intégrer les nouvelles règles environnementales verront leur attractivité de vente ou de location fortement chuter. (Photo: Maison Moderne/Matic Zorman)

C’est le nouveau concept à la mode sur le marché de l’immobilier: la «décote du polluant» cherche à quantifier l’impact, pour les investisseurs, des rénovations nécessaires pour que les bâtiments existants respectent les nouvelles normes en matière de réduction des émissions.

La réduction des émissions prévue par l’accord de Paris exige que la plupart des bâtiments existants respectent davantage l’environnement. Le coût des rénovations nécessaires à cette fin pèsera nécessairement sur les rendements, mais d’après une étude de Fidelity International, «le coût d’une inaction prolongée pourrait être encore beaucoup plus lourd. Il est donc judicieux, pour les investisseurs, d’examiner à quel bénéfice ils sont disposés à renoncer, à court terme, pour protéger la valeur de leurs biens à long terme», estime Aymeric de Sérésin, country head & director pan-European Real Estate chez Fidelity International.

Environ 97% des bâtiments commerciaux existants ne pourront atteindre une consommation énergétique nette nulle dans leur état actuel. S’ils sont laissés tels quels, ils seront donc de plus en plus difficiles à vendre ou à louer.

Effets structurants

C’est ce constat qui a abouti à la théorie d’une «décote du polluant» sur le marché européen de l’immobilier.

Cette décote est encore dure à quantifier, «mais elle sera suffisamment importante pour qu’il soit prudent d’investir dans la modernisation des bâtiments», insiste Aymeric de Sérésin. Qui table, en l’état, sur une stagnation des loyers tandis que ceux des bâtiments «vertueux» pourraient croître de 2% l’an.

Et surtout, cette décote risque de structurer le marché de l’immobilier de bureaux et commercial dans les mois à venir.

Premier impact prévisible, les investisseurs vont faire de la durabilité des bâtiments un élément-clé de leurs investissements.

«À mesure que le nombre de fonds immobiliers classés selon l’article 8 ou 9 du règlement européen sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers augmentera, la qualité des bâtiments et la manière dont ils sont utilisés gagneront également en importance. L’approche de la simplicité consistera à acheter des bâtiments déjà certifiés, ce qui créera une bonification de l’écologique et une décote du polluant encore plus marquées», estime Aymeric de Sérésin.

Dans le même temps, les occupants auront plus d’exigences. Les bâtiments devront afficher un niveau de certification BREEAM (Building Research Establishment Environmental Assessment Method, méthode d’évaluation de la performance environnementale des bâtiments) au moins «Très bon» ou un label LEED (Leadership in Energy and Environmental Design, leadership dans l’énergie et la conception environnementale) «Argent».

Au-delà des critères liés à la consommation d’eau et d’énergie et à la gestion des déchets, les occupants seront attentifs aux questions de santé, estime Aymeric de Sérésin, qui met en avant des critères comme «une bonne qualité de l’air et une bonne ventilation, un accès sans contact, des aménagements tels que des salles de sport et des espaces en plein air, et des équipements pour le dernier tronçon des déplacements, tels que des parkings pour vélos et des douches». «Pembroke, un gestionnaire immobilier, a conclu à l’issue d’une étude récente auprès d’occupants que beaucoup s’attendent à ce que la demande de caractéristiques de ce type s’intensifie après la pandémie et que les bâtiments qui en sont dépourvus pourraient déplorer une faible demande, une progression moindre des locations et une baisse des loyers», rajoute l’analyste.

Les propriétaires qui rechignent à investir dans une modernisation pourraient, à terme, le regretter.
Aymeric de Sérésin

Aymeric de Sérésinc ountry h ead & d irector p an -E uropean Real Estate  Fidelity International

Enfin, les experts intègreront de plus en plus les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs estimations. «Les grands instituts d’expertise recrutent actuellement des spécialistes du domaine ESG et ils ne tarderont pas à inclure, dans leurs calculs, les investissements requis pour moderniser un bâtiment de façon à satisfaire des normes environnementales plus élevées ou les coûts de la compensation des émissions de carbone si un bien est délaissé.»

Pour Aymeric de Sérésin, «le point de bascule est en vue».

«Les capitaux commencent d’ores et déjà à affluer en direction des bâtiments durables. La perspective d’une réglementation plus contraignante amènera le marché à un point de bascule, où les évaluations pourraient être revues en profondeur. À titre d’exemple, le gouvernement britannique procède, en ce moment, à des consultations sur une modification des normes minimales d’efficacité énergétique, selon laquelle, à partir de 2030, un bâtiment ne pourrait plus être loué que s’il respecte une norme B (soit un bond considérable par rapport à la norme E actuelle), sous réserve que l’investissement nécessaire puisse être récupéré dans un délai de sept ans.»

«Eu égard à l’état actuel des liquidités, les évaluations ne reflètent pas encore la différence substantielle entre les bâtiments qui sont prêts à accomplir la transition vers une faible émission de carbone et ceux qui ne le sont pas. Cela ne durera pas éternellement, et les propriétaires qui rechignent à investir dans une modernisation pourraient, à terme, le regretter», conclut l’analyste.