Pour Frankie Thielen, directeur de natur&ëmwelt Fondation Hëllef fir d’Natur, «la biodiversité est une problématique qui concerne tout le monde et chacun peut contribuer à sa préservation».  (Photo: natur&ëmwelt)

Pour Frankie Thielen, directeur de natur&ëmwelt Fondation Hëllef fir d’Natur, «la biodiversité est une problématique qui concerne tout le monde et chacun peut contribuer à sa préservation».  (Photo: natur&ëmwelt)

Comme partout dans le monde, la biodiversité est en recul au Luxembourg. Rencontre avec Frankie Thielen, directeur de natur&ëmwelt Fondation Hëllef fir d’Natur, organisme d’utilité publique qui œuvre pour la sauvegarde de la faune et de la flore.

En marge du réchauffement climatique, les scientifiques alertent depuis plu­sieurs années sur un autre phéno­mène, celui du déclin de la biodiversité. Quelle est la situation au Luxembourg?

«Le Luxembourg n’est pas un pays isolé du reste du monde. Quand on parle de biodiversité, nous connaissons la même situation alarmante que dans nos pays voisins, et peut-être de façon encore plus accrue. L’artificialisation du sol au Luxembourg est nettement supérieure à la moyenne européenne, ce qui met beaucoup de pression sur l’environnement, et notamment sur les habitats qui permettent à la faune et la flore de s’épanouir. De manière générale, on constate que le déclin inquiétant de cette diversité biologique est essentiellement lié à l’intensification des pratiques agricoles et à la consommation foncière, qui ont engendré la perte et le morcellement des espaces naturels.

En quoi le morcellement des surfaces constitue-t-il un problème?

«La construction de zones artificielles conduit à isoler des parties du territoire les unes des autres, avec pour effet d’entraver la libre circulation de la faune sauvage et de réduire les échanges génétiques entre individus et populations. Elle est aujourd’hui considérée comme une des causes principales de la dégradation de la biodiversité et des écosystèmes. Autrefois, les haies, les ruisseaux, les bandes fleuries, les bordures de champs ou des rangées d’arbres structuraient ainsi nos paysages et offraient de l’habitat, de la nourriture et des corridors écologiques à une multitude d’insectes, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de mammifères. Outre ces fonctions profitant à la biodiversité, ces structures fournissaient également d’importants services écosystémiques, dont la protection contre les inondations et l’érosion en retenant les grands flux d’eau et les mouvements du sol.

Ce que l’on oublie, c’est que ces éléments paysagers sont bénéfiques non seulement pour l’environnement et la biodiversité, mais aussi pour le bon fonctionnement de l’agriculture elle-même. Il est donc urgent de recréer des situations ‘win-win’, à la fois pour la biodiversité et pour l’agriculture, en rétablissant une certaine hétérogénéité au niveau de la composition et de l’exploitation de nos paysages.

Les entreprises peuvent agir directement en faveur de la biodiversité en menant des actions ciblées.
Frankie Thielen

Frankie Thielendirecteurnatur&ëmwelt Fondation Hëllef fir d’Natur

Quel est le constat le plus alarmant aujourd’hui?

«Le déclin des insectes pollinisateurs doit nous alerter. Ils sont une composante essentielle des écosystèmes terrestres et contribuent à la pollinisation de 78% des plantes à fleurs en Europe.

Les secteurs économiques de l’agriculture et de l’alimentation en dépendent fortement, car 84% des cultures européennes, notamment les fruitiers, les cultures de légumes et les plantes oléagineuses, soit environ un tiers du tonnage de la consommation des humains, profitent au moins en partie de la pollinisation par les insectes. La valeur annuelle du service écosystémique ‘pollinisation’ est estimée à plusieurs dizaines de milliards d’euros en Europe. De nombreux inventaires sont menés régulièrement et le déclin de nombreuses espèces pollinisatrices est une réalité, chez nous aussi.

Les oiseaux sont directement impactés, étant donné qu’ils ont besoin d’habitats divers avec des sites de nidification appropriés et suffisamment de nourriture, notamment des insectes…

Qu’en est-il de nos forêts, nos rivières, nos sols?

«Là encore, le constat n’est pas réjouissant. Alors qu’il s’agit de ressources de premier ordre, en 2020, les masses d’eau de surface ‘naturelles’ affichaient un état écologique moyen pour 43%, médiocre pour 20% et mauvais pour les 37% restants… Du côté des sols, dont la biodiversité reste très peu connue, une forte dégradation est également constatée. Ils sont pourtant le réservoir de 25% de la biodiversité terrestre. Les phénomènes d’érosion sont également de plus en plus importants et cette terre fertile est une ressource non renouvelable. Une fois qu’elle est partie dans les rivières, elle ne revient pas.

Enfin, selon l’inventaire phytosanitaire de nos forêts du Luxem­bourg, toutes essences confondues, on constate que durant l’été 2022, 61,70% des arbres étaient nettement et/ou fortement endommagés ou tout simplement morts…

Toutes ces données sont publiques et disponibles sur le site du ministère de l’Environnement.

Quelles sont justement les mesures prises par le gouvernement pour préserver et restaurer la biodiversité au Luxembourg?

«Le nouveau Plan national concernant la protection de la nature a été adopté en janvier 2023. Selon les objectifs de la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030, au moins 30% des territoires nationaux devront être protégés juridiquement. Actuellement, 27,8% du territoire du Luxembourg sont classés en tant que zones protégées d’intérêt communautaire (Natura 2000) ou zones protégées d’intérêt national (ZPIN). D’ici 2030, un tiers de ces zones protégées, soit 10% du territoire, devront également être placées en protection stricte. Or, à ce jour, seulement 4,2% du territoire national est strictement protégé sous forme de ZPIN.

Les travaux sont en cours. Le ministère de l’Environnement, l’Administration de la nature et des forêts, l’Administration de la gestion de l’eau, les stations biologiques, les parcs naturels et des fondations comme la nôtre travaillent ensemble pour essayer d’améliorer la situation.

Comment agir?

«Les entreprises peuvent agir directement en faveur de la biodiversité en menant des actions ciblées, par exemple en mettant en place une gestion extensive des espaces verts autour des bâtiments et des sites naturels ou semi-naturels qui leur appartiennent, ainsi que par la revalorisation de sites industriels. Elles peuvent aussi fédérer et sensibiliser leurs salariés, clients, fournisseurs et partenaires pour favoriser une prise de conscience des dangers qui pèsent sur la biodiversité et partager des priorités claires, tout en favoriser les chaînes de production et consommation locales. La biodiversité est une problématique qui concerne tout le monde et chacun peut contribuer à sa préservation.

Protéger la nature

natur&ëmwelt est une organisation environnementale luxembourgeoise qui œuvre principalement pour la sauvegarde de la nature et de la biodiversité locale. Elle se compose d’une fondation et d’une asbl aux rôles distincts, mais liés et complémentaires. D’un côté, il y a natur&ëmwelt Fondation Hëllef fir d’Natur, un organisme d’utilité publique, dont les principaux domaines d’activité sont l’acquisition et la gestion de réserves naturelles, et la mise en œuvre de plans d’action pour la sauvegarde de la biodiversité dans le cadre du plan national pour la protection de la nature. De l’autre, il y a natur&ëmwelt asbl qui, avec ses 11.000 membres, réalise des campagnes de sensibilisation et d’éducation liées à l’environnement. Mais également des actions pratiques, scientifiques et politiques au niveau local, national et européen sur les problématiques environnementales.

Cet article a été rédigé pour le supplément  de l’édition de  parue le 19 juin. Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine. Il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam. 

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