Daniel Richards et Bertrand Géradin, partners du cabinet d’avocats Ogier à Luxembourg. (Photos: Ogier)

Daniel Richards et Bertrand Géradin, partners du cabinet d’avocats Ogier à Luxembourg. (Photos: Ogier)

Ce 9 juin marque le 10e anniversaire de l’implantation du cabinet d’avocats international Ogier au Grand-Duché. Delano s’est entretenu avec Daniel Richards et Bertrand Géradin, tous deux partners, sur ce qui a changé au cours de la dernière décennie et pourquoi ils peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

Daniel Richards a cofondé le bureau luxembourgeois d’Ogier en 2012, et Bertrand Géradin, practice partner et head of corporate practice au Luxembourg. Globalement, Ogier compte 900 employés répartis dans 12 bureaux, dont 54 au Grand-Duché. L’entreprise est spécialisée dans le conseil aux fonds d’investissement alternatifs.

Pourquoi avez-vous créé un bureau au Luxembourg il y a 10 ans?

Daniel Richards. – «C’était d’abord une grande aventure. C’est une réponse qui peut paraitre simpliste, mais c’était le cas. Nous avons débuté à deux associés et avec un petit nombre de collègues très enthousiastes, ambitieux, dévoués et loyaux. Aujourd’hui, avec sept partenaires, nous sommes plus de 50 personnes au total.

L’équipe s’est développée à la fois en nombre et en compétences au cours de ces 10 années. Cela peut paraitre convenu, mais, personnellement, je me sens immensément privilégié de travailler avec les personnes qui sont avec nous chez Ogier Luxembourg. Parce qu’il y a un très grand éventail de talents et d’expériences diversifiés, provenant de toutes sortes d’environnements et de juridictions. En tant qu’individu, je trouve vraiment gratifiant de pouvoir travailler avec des personnes ayant une telle variété d’expériences. Point de vue curiosité intellectuelle, c’est très stimulant.

Quant à pourquoi nous l’avons créé… il y a 10 ans, le paysage des investissements internationaux était en pleine mutation… À cette époque, la directive AIFM sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs était lancée. La perspective d’un passeport paneuropéen permettant d’accéder aux investisseurs institutionnels dans toute l’UE, sur une base très uniforme, systématisée et facile à utiliser, suscitait clairement l’intérêt des clients. Nous avons senti que c’était ça, l’avenir.

Le Luxembourg, bien sûr, à cette époque, élaborait également plusieurs nouveaux instruments pour sa ‘boîte à outils’, ou ‘bac à sable’ comme on l’appelle parfois. La SCSp (société en commandite spéciale) était lancée. Elle s’inspirait expressément de véhicules juridiques de fonds internationaux sur lesquels ma société avait travaillé pendant de nombreuses années. Il était évident que cela allait intéresser les clients que nous représentions. Et je pense que l’expérience a prouvé que c’était exact.

La croissance des fonds d’investissement alternatifs (FIA), des fonds d’investissement alternatifs réservés (FIAR) plus récemment, la combinaison de différents types de structures de fonds, la combinaison de fonds structurés dans différentes juridictions répondant à différents besoins des investisseurs, mais essentiellement ciblant tous un même thème d’investissement, c’est exactement ce qu’il fallait pour nos clients. C’est ce qui a généré une grande partie de notre croissance, en parallèle à celle de la juridiction au Luxembourg et de son succès au cours des 10 dernières années.

Comment le business de vos clients a-t-il évolué au cours de la dernière décennie?

DR. – «Il est probablement juste de dire que cela a fortement évolué durant cette période. Il a grandi, il s’est développé. Par exemple, lorsque nous avons ouvert, l’investissement transfrontalier dans l’immobilier et le capital-investissement immobilier était un secteur très important, tant pour le Luxembourg que pour l’investissement transfrontalier en général. Sans surprise, nous nous sommes beaucoup investis dans cette activité. Qui aujourd’hui est toujours importante. C’est d’ailleurs toujours une partie essentielle des activités de nombreux cabinets d’avocats et fiduciaires. Mais en plus de cela, nous avons assisté à la croissance du capital-investissement. Nous voyons aujourd’hui se développer des fonds de dette, des fonds d’opportunités spéciales, des fonds d’infrastructure, nous voyons des entreprises de capital-risque… Actuellement, nous voyons aussi beaucoup de fonds d’investissement durable, et beaucoup de fonds axés sur les questions environnementales.

Je suppose qu’historiquement, dans la majorité des cas, la finance était très proches des actifs réels. Aujourd’hui, à l’instar d’une grande partie du marché, on assiste à une énorme, énorme croissance du financement mutualisé via le recours aux fonds d’investissement. Une mutation qui a entraîné un besoin de technologie juridique différente, combinant le prêt garanti, la connaissance des fonds, la connaissance de la réglementation. Cela a été un domaine de croissance massive pour nous.

Bertrand Géradin. – «Du côté des entreprises, nous avons historiquement travaillé principalement avec des investisseurs en private equity, des gestionnaires d’actifs investissant dans des structures dans le monde entier en utilisant une plateforme luxembourgeoise. Nous voyons, au cours des 12 derniers mois, de plus en plus de clients de premier ordre prendre position au Luxembourg. Mais aussi, ce qui est assez nouveau pour la pratique des entreprises, c’est qu’il y a de plus en plus de litiges autour des investissements des gestionnaires d’actifs.

Tout cela est fait au Luxembourg?

BG. – «Ici au Luxembourg, oui.

Ce sont des affaires transfrontalières?

BG. – «Oui. Nous avons constaté que les clients ne font plus appel à des sociétés américaines ou britanniques ou encore à des sociétés basées à Paris pour traiter les demandes au Luxembourg. Nous constatons maintenant que le client fait directement appel à des cabinets luxembourgeois pour traiter le litige au Luxembourg, devant le tribunal luxembourgeois.

Qu’est-ce qui alimente ce changement?

BG. – «La première chose, comme Daniel l’a mentionné, c’est la transposition de la directive AIFM dans le droit luxembourgeois qui a favorisé l’augmentation du nombre total de véhicules d’investissement domiciliés au Luxembourg. Véhicules désormais régis par le droit luxembourgeois. Cela signifie que s’il y a un litige, il sera traité au Luxembourg. Mais je pense aussi que les avocats luxembourgeois sont devenus plus experts. Ils ont pu gagner la confiance des clients pour traiter l’affaire au Luxembourg.

Le marché est en pleine croissance, votre cabinet est en pleine croissance. Il doit y avoir des complications qui vont avec. Quels sont les plus grands défis? Qu’est-ce qui empêche vos clients de dormir? Qu’est-ce qui vous empêche de dormir?

DR. – «Il y a eu beaucoup de changements au cours des 10 dernières années, des cinq dernières années, des deux dernières années, et encore aujourd’hui. Je pense que l’une des choses qui a vraiment résonné en moi au cours des 10 dernières années est que le changement est inéluctable, que nous le voulions ou non. C’est comme ça. Le seul choix qui vous appartient, en tant qu’individu ou en tant qu’entreprise, est de savoir comment répondre à ce changement. Je pense qu’en tant qu’entreprise, nous avons un état d’esprit constamment positif à ce sujet. C’est l’une des choses que nous recherchons lorsque nous recrutons des personnes. Nous recherchons des gens qui ont essentiellement un état d’esprit optimiste, ouvert et curieux, qui voient le changement comme une opportunité plutôt que comme une menace. Et je pense qu’à partir de là, on arrive à un point où le changement ne devrait pas nous empêcher de dormir la nuit.

Mais il est certain que vous vous réunissez en tant qu’équipe de direction et qu’il y a sûrement un sujet qui figure régulièrement en tête de votre agenda ou qui revient sans cesse sur le tapis?

DR. – «Vous avez tout à fait raison. Il y a toujours des priorités, il y a toujours des défis. Dans un contexte de croissance, dans un contexte de changement, la liste des priorités et le contenu des priorités changent toujours. Mais cela n’empêche pas qu’il y a toujours des priorités.

Pour en venir au fait, quel est le plus grand défi auquel nous sommes confrontés? Je pense personnellement que c’est un défi qui est partagé par un certain nombre d’acteurs de la place financière. Il s’agit du recrutement, pour répondre à la demande des clients. C’est une difficulté qui est une conséquence de la croissance.

BG. – «Je pense que le défi pour nous est de continuer à construire notre réputation au Luxembourg. Être vraiment considéré comme un endroit où il fait bon travailler n’est pas quelque chose qui se fait du jour au lendemain. Nous devons vraiment nous assurer que nous restons un endroit où les gens aiment venir travailler tous les jours. Et c’est aussi la clé pour pouvoir recruter les bonnes personnes.

DR. – «Il est essentiel aujourd’hui d’avoir une proposition de valeur authentique, sincère et bien développée pour vos employés. Il y a 10 ans, de nombreuses entreprises étaient en mesure d’offrir un modèle assez ancien, où il y avait une dynamique employé-employeur très claire et où vous faisiez une offre d’emploi, il y avait un entretien, etc. Ce modèle existe encore aujourd’hui. Nous sommes très fiers de pouvoir dire aux recrues potentielles qu’en travaillant avec nous, elles travailleront avec certains des plus grands clients institutionnels mondiaux, ainsi qu’avec d’autres sociétés leaders sur le marché luxembourgeois pour des transactions très intéressantes. Du point de vue de la carrière, c’est formidable. Nous voulons aussi leur dire qu’il y a des voyages internationaux, des possibilités de détachement international au sein de notre groupe, et c’est aussi très attractif.

Mais ce n’est pas suffisant en soi. Nous devons aussi expliquer, en détail, comment nous travaillons en équipe, comment nous abordons la flexibilité, comment nous abordons la proposition de valeur aux employés. Nous devons en fait dire, comme le font aussi d’autres entreprises, 'voici pourquoi il sera formidable pour vous de travailler avec nous et voici pourquoi nous sommes enthousiastes à l’idée de travailler avec vous’. Et je pense que ce changement de dynamique est en partie le résultat de la croissance et du succès de la juridiction, et de nombreux cabinets qui la composent, y compris le nôtre. Mais il s’agit également d’un changement de dynamique au sein du marché du recrutement, ainsi que dans la relation employeur-employé. Et cela a été un changement au cours des 10 dernières années.

Avez-vous quelque chose à ajouter sur le fait de travailler au Luxembourg?

BG. – «C’est vraiment une opportunité unique au sein de l’UE. Le fait de pouvoir venir de France, du Royaume-Uni ou de Belgique et de travailler au Luxembourg est une opportunité unique que tout le monde devrait vraiment considérer. Je suis au Luxembourg depuis quelques années. Et je pense que je vais passer le reste de ma carrière au Luxembourg. C’est vraiment un endroit agréable pour travailler.»

Cet article a été écrit pour , traduit et édité pour Paperjam.