Emmanuelle et Serge Remy ont obtenu 5.933 signatures électroniques pour leur pétition pour un droit au télétravail. Elle sera donc débattue à la Chambre des députés dans les prochains mois. (Photo: Emmanuelle et Serge Remy)

Emmanuelle et Serge Remy ont obtenu 5.933 signatures électroniques pour leur pétition pour un droit au télétravail. Elle sera donc débattue à la Chambre des députés dans les prochains mois. (Photo: Emmanuelle et Serge Remy)

Un droit au télétravail pour la moitié du temps maximum, avec la possibilité de recours judiciaire en cas de refus de l’employeur… Serge et Emmanuelle Remy, à l’origine d’une pétition à ce sujet, précisent leur demande. Elle sera débattue dans les prochains mois à la Chambre des députés, après avoir récolté 5.933 signatures.

La question du «droit au télétravail» sera bien débattue à la Chambre des députés, mais il faudra être patient. Serge Remy, qui travaille dans le secteur financier, et Emmanuelle Remy, assistante sociale, ont déposé une le 19 avril sur le sujet, clôturée jeudi 4 juin à minuit. Elle a recueilli 5.933 signatures, bien plus que les 4.500 nécessaires à l’ouverture du débat.

«Nous allons contacter le pétitionnaire pour savoir s’il souhaite ouvrir sa pétition à la signature papier, gelée pendant la période de crise, afin d’obtenir encore plus de signatures, ou s’il préfère qu’elle soit directement débattue», explique la Chambre des députés. Ensuite, la date sera fixée «selon la disponibilité des ministres», ce qui pourrait prendre, de toute façon, «plusieurs mois».  En attendant, nous avons posé quelques questions au couple à l’origine de la pétition sur ses attentes.

Qu’allez-vous choisir, un maximum de signatures ou un débat rapide?

Serge Remy. – «Il n’y a pas d’intérêt à avoir des milliers de signatures en plus. Il y a eu d’autres pétitions sur le même sujet. On se rend compte que le débat est mûr dans la société, autant y aller maintenant.

Qu’attendez-vous de ce débat à la Chambre des députés?

Emmanuelle Remy. – «Avoir un lieu dans lequel discuter de ces problématiques. Voir où en est le pays au niveau politique et essayer de mettre en place des synergies. Pour faire évoluer la société afin que le télétravail soit plus répandu, le moyen le plus efficace sera l’ouverture d’un droit.

Justement, qu’entendez-vous exactement par «droit» au télétravail?

S.R. – «Si l’employé demande à télétravailler, que les tâches peuvent être effectuées à son domicile et que tout le reste de ce qu’il y a dans le droit du travail continue à être appliqué (une désignation et un contrôle des tâches, etc.), alors l’employé a le droit de travailler de chez lui au maximum pendant la moitié de son temps de travail.

Quand on a des droits et qu’on n’arrive pas à en bénéficier, le dernier recours, c’est le tribunal. Oui, un employé pourrait aller en justice pour activer son droit. Ce serait le reflet d’un dialogue social qui n’a pas du tout marché. Ce n’est pas notre objectif et je pense que ces cas seront très rares au Luxembourg. Le but, c’est d’arriver à faire évoluer la société dans une forme d’intelligence collective.

Que dit la loi actuellement à ce sujet?

S.R. – «Le lieu de travail est déterminé par le contrat de travail. Si l’employé veut télétravailler et que son employeur n’est pas d’accord, il ne peut pas le faire.

(ndlr: Le sur le télétravail rappelle qu’il doit être volontaire: «Le refus par le salarié d’une proposition de télétravail faite par son employeur ne constitue pas en soi un motif de résiliation de son contrat de travail. Le refus ne peut pas non plus justifier le recours à l’article L. 121-7 du Code du travail pour imposer cette forme de travail.»)

Il y a déjà des gens qui le demandent, mais qui n’ont aucun levier. Pour que les changements sociétaux se fassent, il faut qu’il y ait un droit.
Serge Remy

Serge RemyÀ l’origine de la pétition sur le télétravail

Si on donne un droit au télétravail, ne doit-il pas s’accompagner d’un devoir? 

E.R. – «À partir du moment où votre patron vous demande de télétravailler et que vous ne voulez pas, vous risquez de perdre votre emploi. C’est une question de rapport de force social.

Après, si un salarié demande à télétravailler, il faudra effectivement se mettre d’accord sur certaines tâches et l’employeur pourra évaluer après deux mois si le contrat a bien été rempli.

Comment vous est venue cette idée de «droit» au télétravail?

S.R. – «Nous avons regardé autour de nous et nous avons vu que le télétravail était peu ancré dans les mœurs. Une série de salariés avaient cette demande, mais les employeurs avaient une vue un peu fantasmée. On a vu dans la pratique que ce n’était pas si mal que ça. Cela a permis une fluidité de la circulation, une réduction de la pollution et un apaisement pour toute une série de gens. On s’est donc dit que si on pouvait favoriser le télétravail, cela amènerait beaucoup d’avantages.

Ne craignez-vous pas que les salariés n’osent pas utiliser ce droit si le rapport de force leur est défavorable?

S.R. – «Il y a déjà des gens qui le demandent, mais qui n’ont aucun levier. Pour que les changements sociétaux se fassent, il faut qu’il y ait un droit.

Certains , comme les impôts et la sécurité sociale à payer dans le pays de résidence au bout d’un certain temps pour les frontaliers. Ces derniers peuvent comporter des désavantages pour le salarié, mais aussi pour l’entreprise. Comment les résoudre?

S.R. – «Dans la pratique, cet effet de seuil dont tout le monde parle est un fantasme. Si on regarde les statistiques, on n’a pas des centaines de milliers de frontaliers qui ont télétravaillé 29 jours l’année passée (ndlr: Seuil à partir duquel les Français doivent payer leurs impôts dans leur lieu de résidence. Ce sont 19 jours pour l’Allemagne et 24 pour la Belgique. Le montre en effet qu’en 2018, 20% des travailleurs pratiquaient le télétravail, mais 13% moins d’un jour par semaine.)

Le premier obstacle, c’est que le télétravail n’était pas répandu. S’il le devient, il y aura dès lors un effet de seuil possible à 29 jours. La solution la plus pratique serait alors d’augmenter ces plafonds pour les trois pays limitrophes et les faire passer à 47 jours. En enlevant les cinq semaines de congés payés aux 52 par an, on arrive à 47 et donc ça fait un jour par semaine.

Le Luxembourg se pose depuis plusieurs années la question du . À la place, il pourrait renégocier le traité fiscal et payer un peu plus de ce côté-là.

Votre «droit au télétravail» s’applique uniquement aux tâches pouvant être effectuées depuis son domicile. Qui jugera de cela?

S.R. – «Nous avons écrit le texte d’une proposition de loi et nous l’avons fait relire par un ou deux juristes, donc je pense que techniquement elle tient la route. Le texte qu’on propose dit que l’employé peut demander à télétravailler et c’est à l’employeur de prouver que ce n’est pas possible. On appelle cela l’inversion de la charge de la preuve.

Si la plupart des frontaliers télétravaillent, l’effet pourrait être désastreux pour les et commerces luxembourgeois…

S.R. – «Même si on est super optimistes, les frontaliers ne pourront pas à moyen terme travailler plus de 25% de leur temps, sinon ils risquent de payer la sécurité sociale dans leur pays de résidence. Cela veut dire que les trois quarts du temps, ils viendront quand même au Luxembourg. Ceux qui font le plein, achètent leurs cigarettes ou font leurs courses au Grand-Duché vont continuer de le faire.

Après le débat à la Chambre, quel sera l’avenir de votre pétition?

S.R. – «Il y a un éventail de possibilités. La version la plus optimiste, c’est que la Chambre des députés, et à travers elle le gouvernement luxembourgeois, se dise que le débat est vraiment mûr et que la proposition tient la route. Les chambres professionnelles devront donner leur avis, et même si ça va très vite, il faudra compter quelques mois.

Au contraire, s’il n’y a pas de consensus, il n’est pas exclu que rien ne bouge. Ce serait une occasion ratée, mais on aurait quand même la satisfaction d’avoir fait évoluer le débat dans la société.»