Et si Darwin et Schumpeter revenaient comme gestionnaires de fortune du 21èmesiècle? Bienvenue dans le monde de l’uchronie marqué par l’évolution disruptive, dans un monde de cygnes noirs géopolitiques et de successions browniennes de cycles de taux, de crise sanitaire et de changements climatiques.

Pour Darwin, les espèces évoluent par la sélection naturelle: seules les plus aptes à survivre dans un environnement donné parviennent à se reproduire et à prospérer. De manière similaire, en économie, les entreprises mais également les modèles économiques doivent s’adapter aux conditions de marché. Celles qui ne réagissent pas aux changements technologiques, aux préférences des consommateurs ou aux exigences des régulateurs finissent par disparaître ou par être absorbées par des concurrents mieux connectés à l’épigénétique patrimoniale des temps modernes.

En économie, les entreprises mais également les modèles économiques doivent s’adapter aux conditions de marché.
Laurent Gayet

Laurent GayetDeputy CEOAXA Wealth Europe

Rappelons-nous ces entreprises qui n’ont pas pris le tournant de l’évolution (Kodak, Nokia, Blackberry…).

Ainsi Schumpeter serait sans doute captivé par le rythme quantique de l’innovation. Connu pour son concept de «destruction créatrice», il soulignerait l’importance d’investir dans les entreprises et secteurs qui disruptent les modèles traditionnels comme l’intelligence artificielle, l’énergie renouvelable, et les biotechnologies y voyant ainsi une opportunité de croissance, mais surtout un vecteur de transformation de l’économie dans son ensemble.

Il ne cacherait pas son plaisir de voir le gestionnaire connecté 3.0, assisté technologiquement par des plateformes et outils digitaux pour le qualifier d’augmenté devenant plus un conseiller stratégique expert qu’un simple exécutant transactionnel. Il valoriserait ainsi un modèle d’interlocuteurs des clients qui, toutes générations confondues, souhaitent voir les codes de la consommation et leur immédiateté réactive appliqués à un monde financier de plus en plus régulé et limité par l’infobésité.

Il ne tarirait alors pas d’éloges sur les algorithmes, machine learning, Generative Pre-trained Transformers (GPT 4), Natural Language Processing (NLP) qui affinent la pertinence des recommandations par l’automatisation de tâches répétitives sans grande valeur ajoutée.

En effet, le développement de l’Intelligence Artificielle a porté un coup sans précédent à l’anthropocentrisme tel qu’il fut théorisé dès l’antiquité grecque par Démocrite et Aristote.

Pour Schumpeter, s’aventurer dans les méandres de l’IA c’est remonter le cours de l’histoire du génie humain tout en dessinant le monde de demain, ce à quoi Darwin rétorquerait qu’il faut aussi mesurer les dangers de cette révolution tout comme il a observé l’adaptation des espèces face à des environnements hostiles; il verrait alors le cyber risque, autre face Janus de la digitalisation, comme un défi vital pour la survie des institutions financières.

En conséquence, ces innovations décupleront les capacités de conseil et d’analyse prédictive dont on sait aujourd’hui qu’elles sont les cariatides de la fidélité des clients; le conseil patrimonial et financier ne peut se limiter à des chats bots qui offrent certes un premier niveau de support mais surtout qui libèrent le temps utile du conseiller sur des situations complexes permettant une valeur ajoutée facturable à l’heure de value for money.

Ces innovations décupleront les capacités de conseil et d’analyse prédictive dont on sait aujourd’hui qu’elles sont les cariatides de la fidélité des clients
Laurent Gayet

Laurent GayetDeputy CEOAXA Wealth Europe

La génétique darwinienne et l’holistique schumpetérien phygital incarnées par une dimension humaine et psychologique indispensable dans l’analyse patrimoniale des familles (par exemple avec rédaction de chartes familiales pour sécuriser les relais générationnels), experte et très connectée, se conjugueront alors pour des mutations, des recombinaisons mais surtout par le refus de s’enliser dans des modèles du passé… dépassés.

A l’aube d’une transhumance majeure sans retour qui verra plusieurs centaines de milliards d’euros passer des baby-boomers aux générations X, Y, Z comment ignorer qu’adaptation et innovation seront les deux mamelles de la collecte transmissive?

Or, Darwin et Schumpeter voient l’adaptabilité comme une clef de survie de la réussite. Ils inspireront donc des stratégies par typologie d’espèces qui ne se figent pas mais qui évoluent sans cesse selon un modèle agile visant à associer les critères d’une société liquide basée sur l’éphémère, si bien décrite par Zygmunt Bauman (1) avec le développement durable. Grâce au temps long que l’espérance de vie nous permet (multiplication des centenaires) et la finance responsable que notre planète exige, l’investissement à impact mènera vers une économie nouvelle dans laquelle l’éthique extra-financière sera essentielle et les outils de prévoyance primordiaux.

Si Darwin observe que la diversité est essentielle à la résilience d’un écosystème, Schumpeter regardera la diversification et ses nouvelles créations (cryptomonnaies,…) comme une manière de soutenir la dynamique économique grâce à la pluralité géographique et sectorielle associée au principe de l’instabilité constructive.

Comment ne pas partager ces citations dédiées à nos deux penseurs? : «La résilience de votre portefeuille commence par une diversification sans frontières» ou encore «Là où l’union fait la force, la diversité fait la sécurité.»

Les deux visions s’inscrivent dans un temps long favorable aux actifs ancrés sur l’économie réelle (Private Equity, …) et sur une croissance durable avec une valorisation du risque pris par les entrepreneurs qui sont les figures centrales de l’innovation pour Schumpeter; pendant que Darwin a démontré que l’adaptation implique des transformations constantes et donc également une prise de risque réfléchie sans négliger la sécurité globale des portefeuilles.

Darwin reconnaissait que les espèces n’évoluent pas isolément mais en coévolution avec d’autres espèces. En économie, il en va de même: les entreprises évoluent en interaction avec d’autres entreprises, leurs clients, leurs fournisseurs, ainsi qu’avec les régulateurs. Les écosystèmes économiques se construisent à travers toutes ces interactions.

N’est-ce pas la définition même de ce qui fait la force du Luxembourg à savoir ce creuset de proximité entre les banquiers, courtiers, assureurs, régulateurs, fonds et family offices?

(1) – La société liquide – Zygmunt Bauman