En montant les escaliers cachés derrière la petite porte, entre la boucherie Steffen et son restaurant, la Table de Frank, on arrive dans les bureaux de l’entreprise familiale. Deux bâtiments autrefois séparés, mais que le jeune CEO (pour «chief entrecôte officer»), , connaît bien. «Nous avons grandi dans le bâtiment surplombant la boucherie. Nous mangions tous les midis avec les collaborateurs», se remémore-t-il.
Il nous y accueille, accompagné de sa sœur, de dix ans sa cadette, Lisa Steffen. Elle vient tout juste d’entrer dans l’entreprise. D’une première boucherie à Steinfort, le groupe s’est agrandi pour en compter cinq à présent. Et se transformer en accueillant des activités de salaison, traiteur et restauration, pour employer environ 200 salariés et dépasser les 20 millions d’euros de chiffre d’affaires dès 2018.
Apprendre à surfer
«Le moment où Lisa nous rejoint est un peu similaire à une situation que j’ai pu connaître en 2009», rappelle Tom Steffen. Après avoir suivi des études en hôtellerie et restauration à l’Institut Paul Bocuse, à Lyon, il enchaîne quelques stages entre 2006 et 2008. «Normalement, il était prévu que je fasse d’autres expériences externes. Mais nous avons eu une discussion avec mon père qui m’a dit: ‘là, il y a une crise majeure. Si tu veux apprendre à surfer, il y a des vagues’.»
Il le rejoint donc, d’abord comme directeur des opérations, avant de passer à la direction générale. Aujourd’hui, avec la crise liée au Covid-19, «c’est un peu rebelote», sourit-il. Lisa Steffen a terminé ses études hôtelières en Suisse en février 2021, durant lesquelles elle a pu effectuer quelques stages à Londres et à Paris. Le 1er mai, elle rejoignait déjà le groupe familial. Les deux s’accordent sur un point: il ne s’agit pas du choix de la facilité, contrairement à ce que beaucoup pensent.
Après le lycée, Lisa Steffen avait songé à devenir psychologue. Elle hésite, veut prendre du temps pour réfléchir, et part six mois à l’étranger. C’est finalement depuis la jungle indonésienne qu’elle passe son entretien pour entrer à l’école hôtelière. «Tout le monde a dû couper sa connexion internet», se remémore-t-elle. Voir son père, «passionné», puis son frère rentrer dans l’entreprise a motivé sa décision de s’investir dans «une entreprise familiale dans un domaine qui [la] passionne.»
Un challenge à honorer
«On pourrait être amené à penser que c’est le choix le plus simple. Cela peut être le choix le plus évident. Mais au niveau du challenge à relever, on découvre vite que ce n’est pas le cas», complète son aîné, âgé de 35 ans. «C’est une chance, je ne vais pas m’en cacher. Que je peux, par mon comportement, honorer ou non.» Il note aussi un dévouement sans limites. «C’est quelque chose qui me passionne au point où je ne vois pas cela comme du professionnel si de 23h à 2h du matin, il y a une idée que je n’arrive pas à me sortir de la tête.»
Il raconte son choix: «Pour ma part, un peu comme Lisa, c’est un environnement dans lequel j’ai toujours travaillé – mes vacances à la plonge, à la salaison… Cela permet de découvrir cette vie en entreprise dès le plus jeune âge.» Il a tout de même pensé à l’architecture au lycée, mais dès les premiers cours de dessin techniques, «j’ai vite compris que j’aimais plus l’architecture que l’architecture m’aimait», blague-t-il.
On pourrait être amené à penser que c’est le choix le plus simple. Cela peut être le choix le plus évident. Mais au niveau du challenge, ce n’est pas le cas.
voit donc deux de ses enfants rejoindre l’entreprise. Une fierté, même s’«il ne [les] a jamais forcés». «On était libre», affirme sa fille. Avant qu’il choisisse cette voie, Tom Steffen dit même avoir été noyé sous des livres d’architecture. «Il avait juste envie que ses enfants réussissent, dans n’importe quel domaine». Leur sœur Anne a d’ailleurs pris un tout autre chemin et travaille pour un joailler en Suisse. «Cela n’a jamais été une option de venir dans l’entreprise sans faire d’études», complète Lisa Steffen.
En ce moment, elle accompagne son frère dans les réunions pour comprendre tous les départements. En plus de tâches de «project manager». «C’est cette compréhension de la vie de l’entreprise qui va faire qu’à terme, oui ou non, on va se faire un prénom en plus du nom de famille», explique Tom Steffen. Une transmission principalement du frère à la sœur, après celle du père au fils. Frank Steffen a dû s’éloigner du business quotidien, à la suite d’une chute dans l’entreprise, au milieu de l’année 2020.
Direction sans ego
Le but sera ensuite de se partager la direction entre frère et sœur. «Nous sommes très complémentaires. Je suis quelqu’un de pragmatique, alors que Lisa a une valeur dont j’essaie toujours de m’inspirer, elle fonctionne beaucoup avec son cœur.»
Concernant la transmission du capital, «c’est mon père qui le déterminera, parce que c’est son patrimoine. Nous n’avons pas de timeline fixe. Pour moi, ce n’est pas possible d’avoir une personne qui contribue énormément au bien immatériel, mais qui d’un point de vue matériel n’a pas sa part correcte du gâteau. Que je sois dans l’entreprise depuis 2009 et Lisa depuis 2021 ne change rien. Il n’y a pas d’histoire d’ego.»
Lisa a une valeur dont j’essaie de m’inspirer, elle fonctionne beaucoup avec son cœur.
Alors que la deuxième génération prend progressivement les commandes, il peut paraître tôt pour parler de la troisième. Lisa et Anne Steffen n’ont pas d’enfants, Tom Steffen a deux filles, de cinq ans et dix mois. «Ce projet, je n’y vois pas de finalité en soi. Je n’ai jamais eu en tête de vendre. Si mes filles ou les enfants de Lisa, ou même ceux de ma sœur Anne, souhaitent trouver leur bonheur dans l’entreprise, que du bonheur. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas le cas.» Une liberté de choix, là aussi, bien transmise.