La nature des règles et la structure des régulateurs nationaux peuvent amener à des divergences dans la supervision financière entre les États membres. (Photo: Shutterstock)

La nature des règles et la structure des régulateurs nationaux peuvent amener à des divergences dans la supervision financière entre les États membres. (Photo: Shutterstock)

Que les investisseurs bénéficient de la même protection partout dans l’Union européenne ou qu’une entreprise financière preste des activités transfrontalières relève d’un délicat équilibre réglementaire. Les instances européennes de supervision s’assurent donc d’une surveillance homogène du secteur financier par les régulateurs nationaux.

Né en partie de la liberté de circulation des capitaux, le marché unique européen a permis l’émergence d’activités financières transfrontalières et de standards de réglementation communs entre les différents États membres. La complexité des normes, les types de législations et leur interprétation par chaque autorité nationale de contrôle rendent difficile une approche commune de régulation. De ce souci d’homogénéité est arrivé le principe de convergence en matière de surveillance des activités financières.

La convergence de supervision – «supervisory convergence», en anglais – ne signifie pas pour autant une posture unique s’appliquant à l’ensemble des régulateurs nationaux, mais vise plutôt une mise en œuvre cohérente des règles. L’objectif-clé se résumant à ce que les autorités de contrôle obtiennent des résultats comparables les unes par rapport aux autres. «Ceci a pour but d’éviter une situation où un texte européen resterait non adressé par certaines autorités», explique Andrea Gentilini, head of market infrastructures division à la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF). Il ne faudrait pas, en effet, qu’une autorité jouisse du marché unique sans en appliquer efficacement les règles.

Le marché unique permet aux entités de prester leurs services dans d’autres pays de l’Union européenne et les investisseurs peuvent alors bénéficier de la même protection, s’attendant à ce que les entités soient supervisées de la même façon partout en Europe.
Isabelle Jaspart

Isabelle Jasparthead of division – Legal DepartmentCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

«Le marché unique permet aux entités de prester leurs services dans d’autres pays de l’Union européenne et les investisseurs peuvent alors bénéficier de la même protection, s’attendant à ce que les entités soient supervisées de la même façon partout en Europe», souligne, pour sa part, Isabelle Jaspart, head of division au sein du département Legal de la CSSF.

La European Securities and Markets Authority (ESMA), l’une des trois autorités européennes de supervision financière,  sur la supervision des activités transfrontalières des sociétés d’investissement, en mars. La CSSF faisait partie des six régulateurs évalués au cours de cet exercice de «peer review», soit l’un des trois outils utilisés dans le cadre de la «supervisory convergence». Les deux autres outils étant la publication de Q&A et de «guidelines» par les autorités de supervision européenne.

Les défis d’une supervision homogène

«Les ‘peer reviews’ constituent l’un des outils les plus puissants pour évaluer les pratiques de surveillance mises en place par les autorités», déclare Andrea Gentilini. Et il poursuit: «Elles ne doivent pas seulement être un examen de ce qui a été fait, mais doivent aussi identifier des ‘best practices’ afin d’améliorer les systèmes de surveillance. On peut ainsi s’inspirer des autres régulateurs.» De son côté, Isabelle Jaspart illustre cet objectif: «Mifid, par exemple, c’est plusieurs milliers de pages. Dans ces milliers de pages, il n’y a pas un seul article qui dit comment superviser les activités transfrontalières. C’est pourquoi il y a un véritable besoin de ‘supervisory convergence’ et de compréhension du travail de l’Esma, qui est de dégager des bonnes pratiques qui s’appliqueront à toutes les autorités compétentes et entités qui ont des activités transfrontalières.»

Les ‘peer reviews’ constituent l’un des outils les plus puissants pour évaluer les pratiques de surveillance mises en place par les autorités. Elles ne doivent pas seulement être un examen de ce qui a été fait, mais doivent aussi identifier des ‘best practices’ afin d’améliorer les systèmes de surveillance. On peut ainsi s’inspirer des autres régulateurs.
Andrea Gentilini

Andrea Gentilinihead of market infrastructures divisionCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Le contrôle des normes regorge en effet de subtilités. L’une d’entre elles provient des compétences spécifiques à chaque autorité de supervision, comme le souligne le responsable des infrastructures de marché à la CSSF: «Certaines autorités en Europe ont vu la fusion des banques centrales et des autorités de surveillance. Par contre, dans d’autres États, il y a une répartition plus claire des compétences, avec une banque centrale et une autorité de marché.» Cet élément d’hétérogénéité dans la structure des autorités et de leurs compétences se reflète dès lors dans la manière dont chaque autorité entreprend sa mission de surveillance.

Une autre difficulté dans le contrôle des normes européennes puise sa source au niveau du cadre législatif européen lui-même. En effet, certains régimes de supervision se basent sur des directives, c’est-à-dire des règles qui ne sont applicables qu’une fois transposées par une loi nationale. Dans d’autres domaines, des règlements européens deviennent immédiatement applicables. «Cette nuance dans le cadre réglementaire européen explique une potentielle différence en matière d’éléments à surveiller», précise Andrea Gentilini.

Le déclenchement d’une «peer review»

Une «peer review» n’est toutefois pas déclenchée lorsqu’une autorité européenne soupçonne un dysfonctionnement dans le chef d’un régulateur national. Initialement, les «peer reviews» sont planifiées sur base volontaire par les instances européennes. Les choses se sont légèrement compliquées avec le temps, souligne Andrea Gentilini: «Avec la European Market Infrastructure Regulation (EMIR), le premier règlement européen qui traitait de façon transversale une activité et non pas un secteur prévoyait déjà dans le texte une ‘peer review’. C’est ce que l’on appelle une ‘mandatory peer review’. On a la même chose avec la Central Securities Depositories Regulation (CSDR), qui spécifie que les autorités doivent faire l’objet d’une ‘peer review’ périodique.»

Avec la European Market Infrastructure Regulation (EMIR), le premier règlement européen qui traitait de façon transversale une activité et non pas un secteur prévoyait déjà dans le texte une ‘peer review’. C’est ce que l’on appelle une ‘mandatory peer review’. On a la même chose avec la Central Securities Depositories Regulation (CSDR), qui spécifie que les autorités doivent faire l’objet d’une ‘peer review’ périodique.
Andrea Gentilini

Andrea Gentilinihead of market infrastructures divisionCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

En parallèle, les autorités européennes et nationales effectuent une analyse régulière des sujets à risque pouvant tomber sous le coup de la «supervisory convergence», liés davantage à des causes exogènes. Ce fut par exemple le cas de la «business continuity» des entités surveillées lorsque le télétravail est devenu obligatoire au début de la pandémie de Covid-19.

«La perspective de sujets est vaste, surtout qu’au sein de chaque sujet peut être observée une multitude de volets», indique Andrea Gentilini. De la sorte, pour chaque «peer review», l’instance européenne de supervision en charge lance un appel à candidats pour former le «peer review committee», composé à la fois d’employés de l’autorité européenne et de régulateurs nationaux.

On parle d’un exercice qui a mobilisé chez nous au moins une bonne vingtaine de personnes sur presque six mois.
Isabelle Jaspart

Isabelle Jasparthead of division – Legal DepartmentCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Toute «peer review» débute donc par un questionnaire étoffé envoyé aux autorités nationales visées par l’évaluation. Par la suite, l’analyse des réponses fournies permet au «peer review committee» de préparer des «on-site visits» auprès de chaque régulateur, sur base d’un agenda des points qui seront discutés, des documents à se voir remettre et d’un échantillon de dossiers à tester. Un tel processus nécessite de nombreuses ressources du côté des autorités nationales de contrôle. Pour la récente «peer review» sur les activités transfrontalières des sociétés d’investissement, «on parle d’un exercice qui a mobilisé chez nous au moins une bonne vingtaine de personnes sur presque six mois», rapporte Isabelle Jaspart.

Des recommandations pour tous les régulateurs

Lors d’une «on-site visit», les évaluateurs ont pour habitude de s’attaquer au fonctionnement pratique et concret d’un régulateur. Ils observent par exemple les procédures mises en place, les démarches faites vers les entités supervisées ou les volumes de notifications reçues. C’est aussi l’occasion pour l’autorité évaluée d’initier un dialogue avec les évaluateurs pour obtenir des clarifications sur leurs attentes et objectifs. En effet, il arrive malheureusement que des réponses soient parfois considérées comme non pertinentes par les évaluateurs en raison de simples problèmes de compréhension.

On a eu une entité qui a été interviewée. Ils nous ont demandé une liste des entités, de façon à ce que nous ne puissions pas leur désigner le meilleur élève. Ils se sont entretenus plusieurs heures avec cette entité.
Isabelle Jaspart

Isabelle Jasparthead of division – Legal DepartmentCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Au cours d’une «on-site visit», il arrive que les évaluateurs interviewent l’une ou l’autre entité surveillée par le régulateur national. «On a eu une entité qui a été interviewée», explique Isabelle Jaspart. «Ils nous ont demandé une liste des entités, de façon à ce que nous ne puissions pas leur désigner le meilleur élève. Ils se sont entretenus plusieurs heures avec cette entité.»

Deux ans après la publication de son rapport, le «peer review committee» fait alors à nouveau le point avec les entités évaluées pour s’assurer de la bonne mise en place de ses recommandations, qui reste toutefois à la discrétion de chaque autorité. Pour autant, «il est bien écrit dans les rapports que toutes les autorités compétentes dans l’Union européenne devraient s’inspirer des remarques et ‘best practices’», précise Isabelle Jaspart. En effet, bien que la force du marché unique des capitaux soit supérieure à la somme des 27 juridictions qui le composent, son élément unificateur ne peut fonctionner sans une supervision crédible dans chacune d’entre elles.

Cet article est issu de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous bimensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.